Chesterton déconcerte. Plus de cent livres publiés, une vie assez courte (1874-1936) et tous les genres concernés : articles de journaux, romans (Un nommé Jeudi, Le Napoléon de Notting Hill), théâtre, poésie, philosophie, critique littéraire, critique d’art, économie, controverses religieuses (Hérétiques), voire littéraires avec ses adversaires ou complices (H.G. Wells et G.B. Shaw en particulier), roman policier (Enquêtes du père Brown), essais d’inspiration catholique (L’Homme éternel). Pour le comprendre – osons l’hypothèse tautologique – il faut, d’abord, l’aimer : « Quand on lit Chesterton, on se sent submergé par une extraordinaire impression de bonheur. Sa prose est le contraire d’académique : elle est joyeuse, physique » écrit Alberto Manguel. Il a raison : le secret, pour lire Chesterton et accéder à la profusion et à la diversité de son œuvre, c’est de le fréquenter jusqu’à en devenir un (presque) familier, s’imprégner de son tour, de sa manière, deviner le sourire derrière la facétie et comprendre que Chesterton est un état d’esprit – une fantaisie étayée par une pensée très cohérente (clé de l’œuvre) et très claire qui fait l’ensemble du corpus subsumé par une vista dont son catholicisme serait la note de tête, de coeur et de fond. Etincelant, pragmatique, aux antipodes de l’aristocratisme anglais qui ne l’accueillera pas, plutôt libéral avec une continuelle préoccupation de la justice sociale, de l’honnêteté et de la commune decency qui consonnent avec sa foi chrétienne, apôtre lui-même du paradoxe fécond, Chesterton est le contraire du « rouleau convertisseur » (Gide, à propos de Claudel). Les essais et chroniques qu’il a disséminés dans la presse, leur diversité, leur suggestivité, l’esprit d’enfance qui les caractérise, le font cousin, certes très anglais et catholique, de Vialatte : c’est encore Manguel qui ose la comparaison – et on entérine en le citant, tant la comparaison nous semble non pas aventurée, mais judicieuse. Le cercle de ses lecteurs n’a cessé de s’entretenir voire de s’étendre : Russel, Shaw, Kafka, Hemingway, Larbaud, Gide, J. Green, Paulhan, Klossowski – jusqu’aujourd’hui Michéa ou Finkielkraut. Borges est sans doute celui qui se l’est le plus précisément, le plus profondément, le plus justement approprié : « Il aurait pu être Kafka ou Poe mais, courageusement, il opta pour le bonheur, du moins feignit-il de l’avoir trouvé. De la foi anglicane, il passa à la foi catholique, fondée, selon lui, sur le bon sens. Il avança que la singularité de cette foi s’ajuste à celle de l’univers comme la forme étrange d’une clé s’ajuste exactement à la forme étrange de la serrure ». On réédite L’Homme à la clé d’or, son autobiographie – qui renseigne autant sur l’homme que sur l’époque (éd. Les Belles Lettres) – et François Rivière se tire avec les honneurs de la première biographie en langue française de Chesterton : cursif, inspiré et scrupuleux, son livre atteste sa longue fréquentation du colossal bonhomme.

Par François Kasbi

François Rivière
Le Divin Chesterton – Biographie
Ed. Rivages, 224 pages, 21 euros