Sunn O))) : Ô soleil
Cathédrale sonore étouffante visant la transe rituelle, le black métal du duo californien Sunn O))) (Greg Anderson et Stephen O’Malley, chevelus habillés en moines sur scène) tétanise l’auditeur sur des plages d’une vingtaine de minutes. Que prennent les spectres au breakfast ? Coup de bigot d’outre-tombe outre-Atlantique au leader, guitariste angoissant et… graphiste auteur de la couverture du Da Vinci Code.
Bonjour Stephen, il est 9 h 12 à Los Angeles. Je ne vous dérange pas ?
Non, non, ne vous inquiétez pas. Je prends le petit-déjeuner. Café noir et smoothie [sorte de milkshake]. Vous connaissez ?
Non. Quelle est la part de concept et rock’n’roll dans la musique de Sunn O))) ?
On ne peut pas séparer les deux. Je fais le job, vous voyez. Sans être prétentieux, hein. Métal, expérimental, improvisations : le public perçoit les choses comme il l’entend. C’est votre travail à vous, journalistes, de catégoriser les choses, non ?
Oui. Comment différenciez-vous le live et le travail en studio ?
On improvise plus pendant les enregistrements, parce qu’on a plus le temps et qu’on est mieux équipé. Le live est l’aspect théâtral du son et l’enregistrement, l’aspect pictural.
Vos prestations scéniques demandent une préparation proche du rituel. Cela devient-il parfois mécanique ?
Oui. Le rituel reste la répétition d’un événement, d’une pratique, cela implique d’accorder son esprit à chaque instant. Mais la performance nous permet d’éviter le côté mécanique. Sortir de soi-même, et rentrer dans le son.
Faites-vous de la musique de performers ?
Je nous considère comme un groupe, vu qu’on a appris la musique avec une guitare et des potes. Greg et moi en sommes les constantes, les performers périphériques varient. Mais tous font partie de quelque chose de tribal, de l’ordre du culte. Peter, un ami performer, a proposé que tous ceux qui se sentent proches de Sunn portent un bandeau, pour montrer qu’ils font partie du même collectif « perceptuel ».
Parlez-nous de vos « états seconds ».
C’est une sorte d’état magique, mais pas dans la vieille tradition véhiculée par Aleister Crowley [voir l’article Le Diable, c’était lui]. Plutôt basée sur le changement de perception. Ce n’est pas très compliqué : sur scène, Sunn est une invocation. Une invocation ayant assez de gravité pour transformer l’espace physique, le plier et créer des motifs offrant des qualités magnétiques que le public perçoit pendant l’événement. Bien que parfois très intense, tout ça n’est pas si sérieux.
Stephen o’Malley, Sunn O))) : « Sunn est une invocation ayant assez de gravité pour transformer l’espace physique, le plier et créer des motifs qui offrent des qualités magnétiques. »
Comment distinguer l’œuvre de la vie privée ?
Vos questions tentent de séparer les choses, alors que tout n’est qu’un système d’imbrications. La musique est un pan de ma personnalité et de mon existence. Je ne peux pas changer de chapeau.
Quelle importance accordez-vous aux symboles ?
Je suis quelqu’un de très visuel. Les symboles sont intéressants car ils projettent un pouvoir, des émotions, des sentiments. Ils peuvent surtout projeter des idées sans utiliser le langage. J’ai toujours été intéressé par les hiéroglyphes qui représentent quelque chose au-delà de ce qu’ils sont vraiment. Notre logo [Sunn O)))] est celui d’une marque d’amplis. Il représente à la fois le son et la pression du son, son aspect physique, puissant. Un très bon logo pour nous.
Votre public va des amateurs de hard et d’expérimental aux branchés. Pensez-vous qu’ils vous prennent au premier ou second degré ? Le monde du black métal vous ennuie-t-il, parfois ?
Figurer dans l’univers du black métal n’a pas compromis notre image globale, nous avons simplement montré une de nos facettes, avec isolation, désolation, désespoir. La grandeur du vide. La philosophie de Sunn est de se revigorer grâce à la musique et à l’excitation que produit le son. C’est une musique abstraite qui projette les idées qu’on a envie d’y mettre. Il y a assez d’espace pour qu’on puisse explorer ce qu’on veut. Notre musique est directement reliée à l’esprit.
Vous multipliez les références au groupe Earth, de Seattle. Sunn O))), un hommage permanent ?
Earth n’a pas eu le succès qu’il méritait et le public le réécoute grâce à l’intérêt que nous leur portons. Nous les vénérons. Leur musique est une force magique. Pareil, nous ne sommes pas un groupe purement contributif, c’est une question d’adoration.
Parlez-nous de la pièce que vous montez en France en septembre.
Du théâtre signé Gisèle Vienne, très inspiré de Robbe-Grillet [voir l’article littérature]. Nous travaillons sur le design sonore avec Peter Ling. C’est une expérience incroyable… avec des idées de structures du temps.
On raconte que vous utilisez « le son qui tue »…
C’est une légende. Nous n’utilisons pas le son qui tue mais celui qui vit, qui nous fait se sentir bien.
Entretien David Herman
Terrestrials, ( Sunn O))) & Ulver ) 2014, (Southernlord)
La Reh 012, 2014 (Southernlord)
Sunn O))) sera en tournée en Europe du 28 mai au 18 août 2015