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Raymond Depardon
Raymond Depardon : Pas fait pour le petit écran
  • 24 June 2015/
  • Posted By : Richard Gaitet/
  • 0 comments /
Photographe et documentariste du patrimoine, Raymond Depardon, 66 ans, toujours entre deux films, deux expos et deux avions, clôt via le magnifique La Vie Moderne dix ans d’observation du monde rural. Quel est le regard de téléspectateur de ce semeur d’images ?

Dans Standard n°21 – spécial télévision, octobre 2008

Dans la cour d’un immeuble du quartier latin, un pharaon sculpté tient deux amphores. C’est le matin, Raymond Depardon reçoit chez lui – chez eux : nous rencontrons sa première collaboratrice, Claudine Nougaret, ingénieur du son depuis Urgences (1988) et coproductrice dès Afriques, comment ça va avec la douleur (1996) ; son épouse, par ailleurs fan de Radiohead et de Prince. Claudine et Raymond s’envolent demain pour Sao Paulo, elle craint l’enlèvement, il la taquine sur sa peur des fourmis rouges. La table est longue et en bois épais, comme à la campagne, le café vite servi. Depardon a la pudeur des taiseux de son film. On parcoure l’ouvrage La Terre des paysans, réunion de photos des héros de sa trilogie paysanne, parmi lesquelles quelques-unes de ses propres parents. Pendant l’entretien, les coursiers défilent, livrant de nouveaux tirages, de nouveaux plans. Près du canapé, la vieille et grosse télé grise est éteinte.

Regardez-vous la télévision ?
Raymond Depardon : Oui. Faut se tenir au courant des évolutions. J’ai été formé par les agences et il faut regarder beaucoup d’images pour pouvoir en faire. Néanmoins, je regarde surtout de vieux films, trois quatre par mois. Pour quelques euros tu peux prendre le téléphone avec l’ADSL et cinquante chaînes, dont certaines permettant d’assouvir une cinéphilie. Je n’avais jamais vu Les Mines du Roi Salomon [Compton Bennet & Andrew Marton, 1950] par exemple, et en technicolor à 20h30, c’est sublime.

A travers vos reportages frontaux et silencieux comme Reporters ou Faits divers flagrants, reconnaissez-vous une filiation, dans le concept de l’émission Strip-tease ?
Je regarde un peu. Ils tombent sur de bons documents, c’est évident. Le direct a toujours sa force, même au journal télévisé. Un accent régional, une colère – du brut –, c’est toujours formidable par rapport à un texte écrit par un journaliste. Ça montre aussi quelquefois sa limite : on ne sait plus qui filme. Caméra participante ou observante, c’est une réflexion que je me suis faite il y a bien longtemps. Sur le monde rural, j’aurais pu chercher des scènes d’engueulades entre deux paysans ; ça aurait été un peu caricatural. Il faut dire qui on est, on ne peut pas rester protégé, éternellement, derrière son appareil. Sinon on est à la merci de la tricherie, quelque part. Les intellectuels des années 80 ont beaucoup accusés ce cinéma-vérité d’être « faux ». Jean Rouch avait trouvé la bonne réponse : il se servait du cinéma d’observation, par exemple sur un rite, puis il prenait la parole.
Claudine Nougaret : L’œuvre de Raymond est à la fois personnelle et impressionniste. Ces reportages Urgences, Délits flagrants sont des touches, avec un auteur derrière. Strip-tease, c’est intéressant mais j’ai l’impression qu’on va jusqu’au fond de la salle de bains, de la chambre à coucher. Et au bout de trois ou quatre, on a la nausée.
Raymond : Les Américains furent les pionniers du genre, du fait de leur rapport naturel à l’image, dont j’étais jaloux : rien à cacher, aucun regard caméra, alors que les Français se demandent ce qu’en penseront leurs voisins. Je ne pourrais pas faire ce cinéma-là, « piéger » les gens modestes, comme dans Strip-tease, particulièrement les gens du Nord et les Belges, très généreux donc victimes idéales. A chaque fait divers dans la Somme, les gens craquent, du pain béni. Et plus on descend dans le Sud, plus c’est difficile ; dans le Midi, silence total, les gens sont méfiants et vous incitent à foutre le camp. Pareil en Bretagne : ils nous disaient « heureusement que vous n’êtes pas de la télé, on vous aurait dit niet. »

Comment observez-vous l’évolution de la télévision ?
Le service public s’améliore et n’a jamais été aussi bon que maintenant. On l’a vu sur les Jeux Olympiques : les commentaires en voix off ont une certaine liberté, ils ont habillés les compétitions de séquences intermédiaires qui montrent la Chine, tournées et montées sur place. J’ai trouvé que c’était très proche de Godard, de Chris Marker. Finis les hommes-troncs, on voit des Pékinois à vélo, des titres défonçant l’image, marquant les temps, il y a un point de vue. Le Président de la République lui reproche de s’être approché du consommateur, qui ferait mieux d’être un peu citoyen. Il a tort, ils ont fait beaucoup d’efforts et il faut qu’ils continuent. Il manque encore cette réelle démarche de se dégager de l’audimat.

TF1, M6, Canal+ ?
Je regarde. Ils ont encore besoin de se libérer de leurs modèles américains. Pour les informations, les caméras sont de mieux en mieux, mais on dirait qu’ils courent encore derrière le sommaire du Monde ou les nouvelles du journal local ! Je déteste en revanche les émissions de cinéma, toujours axées sur la promo. Je me souviens d’une interview très belle du temps de l’ORTF avec Antonioni, pas très bavard, en présence de Monica Vitti, la présentatrice parlait peu, on sentait pourtant quelque chose.

Raymond Depardon : « Les plus touchants, les plus pathétiques, les plus intéressants, ce sont les taiseux, ceux qui ne parlent pas beaucoup. » 

Et la téléréalité, le repli sur l’individu ?
Claudine : Certains proches de nos agriculteurs nous parlaient beaucoup de L’Amour est dans le pré. C’est du sous-Daniel Karlin [documentariste télé passé au cinéma, connu pour ses entretiens proches de la psychanalyse de personnes lambda sur leur quotidien]. Ça fait parler du monde rural, mais il n’y a pas énormément de respect des personnes filmées.
Raymond : Quatre millions de téléspectateurs. J’ai regardé un peu, mais ça ne m’intéresse pas trop.

Vos enfants ont 17 et 21 ans. Des différences entre vos comportements télévisuels ?
Claudine : Je suis assez fascinée. Ils téléchargent de la VOD pour 1,20 euro, en parlent sur Internet, regardent les infos, mais pas la télé, surtout des films, des séries et beaucoup de jeux vidéo. Parallèlement, ils ont accès à un champ musical hallucinant, que nous, nous avons mis des années à construire ; ils ont intégré notre discothèque et la leur. L’acuité sonore et visuelle du spectateur d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’hier.
Raymond : Parce qu’on est membres des Césars, on reçoit aussi en DVD la centaine de films nommés. Il y a quatre-cinq ans, ils se jetaient dessus, maintenant ils les laissent traîner. Le format est déjà dépassé, l’objet disparaît.

Et la télé en tant qu’invité ?
Raymond : Je dois passer dans l’émission de Frédéric Taddéi pour La Vie Moderne. J’aime pas trop ça, les talk-shows. Le Cercle de Minuit avec Laure Adler, plusieurs fois, c’était bien. Chez Pivot, je n’ai jamais pu en placer une. Je suis pas très à l’aise, je n’arrive pas à me lâcher. Plus à la radio. Sur la photo, Cartier-Bresson n’étant plus là, ils leur manquent un point de vue de cinéaste, une échelle humaine, et j’en suis une – a priori.

En bouclant cette trilogie sur le monde paysan entamée en 2001, avez-vous l’impression d’avoir réglé votre « dette » envers votre milieu d’origine ?
A priori. C’était difficile. J’avais un problème de mémoire : j’ai commencé par les choses que j’avais peur d’oublier, via un récit de l’enfance [le livre La Ferme du Garet]. Puis des rencontres forcées, des commandes pour Le Pèlerin et Libération m’ont redonné le déclic de retravailler sur ce sujet-là. Un voyage aux Etats-Unis a aussi été très important : les directeurs artistiques de Life et du New York Times me disaient de continuer. Vu de New York, la France est un pays d’origine rurale. Nos Indiens à nous, la presse en parle un peu – la télé aussi, avec un certain folklore, au journal de 13h.

Raymond Depardon

© Richard Bellia

Raymond Depardon : « Les plus touchants, les plus pathétiques, les plus intéressants, ce sont les taiseux, ceux qui ne parlent pas beaucoup. »

Comment se positionner par rapport aux images habituelles du monde agricole ?
Claudine : France 3 est une grande référence pour nous – je rigole.
Raymond : L’objectif était de laisser une trace de dix ans sur l’agriculture française de moyenne montagne. Les gens les plus touchants, les plus pathétiques, les plus intéressants, ce sont les taiseux, qui ne parlent pas beaucoup. Leur silence a une puissance proche, quelquefois, de quelque chose qu’on connaît en théâtre ou en littérature, d’une « résistance à sortir » dont Deleuze dit qu’elle est très cinématographique – alors qu’un débit plus rapide ressemble davantage à de la télé. Je ne suis pas fait pour le petit écran. Sur grand écran, la perception est meilleure, on a du temps, une dimension. C’est comme en photo : plus elle est agrandie, plus elle doit être bonne.
Claudine : Les télés restent sur des thématiques, des mots-clés. Les chaînes décident d’une soirée sur le téléphone portable ou la cueillette des fraises, on a trois vingt-six minutes et l’auteur s’efface derrière l’impératif d’information, façon Envoyé Spécial. Notre grande liberté par rapport à elles, c’est le droit ne pas être exhaustif, et le point de vue de l’auteur. Mais le cinéma d’auteur documentaire audiovisuel a perdu des galons.
Raymond : Et encore, Envoyé Spécial, c’est du luxe. Trois semaines pour réfléchir au sujet et approcher les gens, trois semaines de tournage, trois semaines de montage.

Dans votre livre Errance, vous dites : « La télévision nous donne tellement d’êtres humains, mais c’est son rôle, et je comprends bien qu’elle ne peut pas montrer un écran vide, du temps. Elle se substitue à la photographie d’une certaine manière, qui la débarrasse et c’est peut-être une chance, de la nécessité de s’approcher, d’être toujours sur les visages. »
Oui. Laissons la télévision s’occuper de tout ce qui est portraits, situations. On est obsédé par l’humain ; toujours, toujours, la peur du vide. Les photographes devraient se reculer, prendre de la distance, ne pas systématiquement mettre de l’humain dans la photo. Actuellement je parcours toute la France avec mon camping-car, c’est une mission que je me suis donné : je photographie en couleurs, j’ai fait beaucoup les frontières, le Nord, l’Alsace, la Franche-Comté, les Alpes-Maritimes, le Languedoc-Roussillon et le Poitou-Charentes, il me manque encore le littoral breton, normand, une partie du Centre et le bas du Sud-ouest. Et le boulanger devant sa boutique, on se laisse l’imaginer. Ce qui est important, c’est de voir comment sont installés ces gens, comment s’installe notre territoire. C’est la France d’aujourd’hui, normale, des petites villes ; les grandes n’ont pas besoin de moi. On aura assez de trace de nos êtres humains : les journaux locaux en sont remplis, la télé régionale est assez présente. En revanche, j’avais l’impression que personne ne photographiait la sandwicherie qui vient de se monter, la boucherie qui pourrait partir. C’est étrange, cette relation avec notre territoire.

Y a-t-il encore des gens que vous aimeriez photographier ?
C’est toujours lié à des gens : quand je vais au désert, j’aime la population – peut-être par timidité –, la palmeraie, les dunes, les chameaux, la façon de vivre, quelque part la modernité de n’attendre plus rien de nous, cette résilience de ne pas consommer des choses inutiles. Ces images qui les présentent comme les derniers hommes libres, heureux, ce n’est pas vrai, et dangereux. Chacun sa croix à porter : moi je crois qu’il a des gens qu’il faut défendre plus rapidement que d’autres, en trouvant, c’est toujours la question, la bonne distance.

Prochains voyages ?
J’ai la France à finir, et on lance un autre tournage, l’année prochaine, sur le voyage en camping-car, sur mon passé, une espèce d’autofiction, voilà.

La Vie Moderne
La Terre des paysans (Le Seuil)

 

Raymond Depardon Terre Natale Exposition 2008
L’expo
« Ces gens qui disparaissent »
Hyperactif, Depardon participe en novembre à l’installation Terre natale. Making-of.
 « Avec certains chercheurs, Paul Virilio [philosophe et urbaniste] travaille sur des architectes américains, le numérique, Internet, c’est très ludique. Avec Claudine, à travers des movement pictures sur trois écrans, et surtout du son, on rencontre des gens menacés (un peu) et leurs rapports à leurs vies, leurs territoires. Au rez-de-chaussée, un premier volet traitera des langues maternelles. On reconstituera de manière très forte la Bretagne, mieux qu’au cinéma. J’ai fait les Occitans, aussi. On part en Amazonie demain, filmer les Indiens Guaranis qui ont transposé la forêt dans des banlieues, et qui conservent leurs coutumes sans se mêler aux Blancs. Puis on va chez les Yanomamis vivants sur des territoires très riches (en pétrole, diamants, bois précieux), à cheval sur le Venezuela. La société veut les intégrer, mais s’ils acceptent, ils seront clochardisés – plus de trente mille êtres. Ce sont eux qui supportent le plus les changements climatiques, qui dérouillent à cause des tempêtes, des tsunamis. On est tous un peu responsables, pas seulement les pollueurs. Ces gens qui disparaissent, je trouve ça très émouvant. »

Terre Natale – ailleurs commence ici, du 21 novembre au 15 mars 2008. Fondation Cartier, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris. 


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Il n’y a pas de vrai Andy Kaufman
  • 29 April 2015/
  • Posted By : Standard/
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Métaphysique anarchiste de la télévision américaine, Andy Kaufman (1949-1984) fit du bouddhisme une arme cathodique et pratiquait le sabotage jusqu’à faire douter le public de sa propre existence. Analyse passionnée de spectacles toujours invisibles en France.

Andy Kaufman

Ce qu’Andy Kaufman n’est pas
Andy Kaufman n’est pas un comique. Il prétend n’avoir jamais réussi à raconter une histoire drôle de sa vie et c’est probablement vrai. Il a toujours détesté les blagues, l’ironie, les traits d’esprit et la connivence avec le public. Aucun discours politique explicite, aucune allusion grivoise dans toute son œuvre – à la différence de la plupart des stand-up comics, dont la complicité avec la foule vient des remarques assassines ou des copulations verbales. Kaufman est le roi du mindfuck : une machine à vous détruire la tête, toujours présentée avec un sourire mielleux et une voix doucereuse de fanatique extasié. Vous vous croyez d’un côté du miroir, et vous êtes déjà de l’autre.

En France, jusqu’à ce que Milos Forman réalise Man on the Moon en 1999, nous ignorions jusqu’au nom d’Andy Kaufman. Mais son biopic – accessoirement un des plus beaux films des dix dernières années – n’a malheureusement pas entraîné le dépoussiérage escompté. Aucun de ses sketchs n’a été diffusé en France : ni le Andy’s Funhouse de 1977, ni le Live at the Carnegie Hall de 1979, ni même le monstrueux Andy Kaufman Show de 1982. Trois monuments introuvables aujourd’hui, même en anglais, et dont seuls les extraits sont visibles sur Internet. C’est dommage, parce qu’aujourd’hui que nous assistons aux derniers jours de la télévision comme medium privilégié de la manipulation et de la domination des foules, il serait loisible de se replonger dans l’œuvre d’un des plus grands artistes du genre, dispensateur d’une anarchie métaphysique si radicale qu’elle déborde systématiquement des limites habituellement assignées à la subversion idéologique ou politique.

 Il n’y a pas plus dangereux qu’un homme qui ne croit pas à la réalité de sa propre existence.

Ce qu’Andy Kaufman n’a pas fait
C’est très difficile de dire ce qu’à fait Andy Kaufman. Son premier show, Andy’s Funhouse, est déjà d’une étrangeté extraordinaire : dès le prégénérique, Foreign Man (venu d’une île imaginaire de la mer Caspienne) explique devant un décor vide qu’il n’y aura pas de spectacle parce qu’il a dépensé l’argent de la chaîne en se payant des vacances. Maladroitement, « L’Etranger » s’excuse. Il nous conseille de changer de chaîne, se tait et attend longtemps… Si longtemps qu’on devrait déjà avoir éteint… quand il nous rattrape et nous explique qu’il a dit ça pour « faire fuir tous les idiots qui ne comprendraient pas » et que « maintenant que nous sommes seulement entre nous, nous pouvons commencer ». Le générique est lancé et on continue avec lui, planté devant un décor d’une abyssale pauvreté, enchaînant les blagues ratées et les imitations lamentables (la voix de l’imité est filtrée par l’accent de l’imitateur)… jusqu’à celle d’Elvis que Kaufman parfait désastreusement au-delà de toute espérance. Deuxième masque : celui de « Oncle Andy », dans le format conventionnel du talk show, avec des interviews qui pataugent, des sketchs qui ne vont nulle part, des petites chansons malingres et, cerise sur le gâteau, des sautes d’images et un passage de neige télévisuelle… Selon une source, ce serait cette neige et les sautes d’images qui le firent refuser par la chaîne (pour finalement le diffuser deux ans plus tard, lorsqu’il devint célèbre grâce au sitcom Taxi). Selon une autre, c’est qu’on ne savait pas « qui était le vrai Andy Kaufman dans tout ça ». Et c’est vrai que l’animateur y est alternativement gentil, agressif, méprisant, délicieux, humiliant, bête ou d’une vivacité telle que personne ne peut le suivre, transformant la perception du spectateur à son sujet.

Ce que Kaufman démontre magistralement dans son Funhouse, c’est l’angoisse du public dans l’impossibilité d’avoir accès à l’« identité profonde » d’une personnalité publique figurée par sa batterie d’opinions et le simulacre de ses manies. Une star ment plus que la moyenne des gens, mais elle fait semblant de dire la vérité encore plus souvent en multipliant les déclarations. Kaufman, en se refusant à mentir (ou en ne faisant que ça, mais de manière si ostensible que cela annule le mensonge), dérobe le simulacre au spectateur qui se retrouve seul, devant l’écran vide d’un téléviseur qui ne répond plus. Le show opère comme un miroir, et confronte le téléspectateur à la vanité de son désir, qu’il délègue temporairement à la star ou au médiateur contemplé…

La cible principale de toutes les performances kaufmanienne, c’est la notoriété, soit le « rêve américain » lui-même. Un fantasme que tous ses spectacles – mettant l’accent sur le ratage de tout – défont ; le plus cruel étant le Has Been Corner, une séquence où un has been évoque publiquement le moment de sa vie où il a failli devenir célèbre avant de passer à côté de son destin. Et Kaufman, passant de la mièvrerie à une méchanceté excitée, en rajoute pour l’humilier : «… Et maintenant, vous revenez sur scène après tant d’années. On vous souhaite de réussir cette fois-ci (personnellement, je ne crois pas que vous allez y arriver, mais bon, on vous le souhaite quand même…). » C’est un climax d’une obscénité radicale, où le public en vient à haïr ce mielleux présentateur qui le confronte à la triste réalité d’un rêve qu’il partage avec l’invité : la célébrité. Jusqu’au moment où on en vient à se demander si cet invité a jamais existé ! Et les recherches se révéleront si infructueuses qu’on en viendra nécessairement à se demander ce qui peut bien être vrai ou faux dans ce que Kaufman nous montre.

Andy Kaufman shows

Andy Kaufman a défait tous les principes du showbusiness par un hyperconformisme plus cruel que tout anticonformisme…

Ce qu’Andy Kaufman a défait
C’est très difficile de dire ce qu’Andy Kaufman a fait ; ce qu’on peut dire, c’est ce qu’il a défait. A savoir tous les principes du show-business, un à un, par un hyperconformisme plus cruel que tout anticonformisme, une littéralité plus dissipatrice et plus destructrice que toute allégorie, et un pseudo-amateurisme qui relève de la précision architecturale la plus démoniaque. Après une succession d’invités, dont la grâce tient, donc, paradoxalement à leur amateurisme, et la projection d’un obscur court-métrage des années 30, Mary Ann, où des cow-boys chantent pendant que des cow-girls dansent en levant la jambe, Andy invite « la dernière survivante » de celui-ci, une vieille dame de plus de 70 ans nommé Eleonor Cody Gould dont personne n’a jamais entendu parler et à qui Kaufman demande, avec une politesse obligeante quasi-asiatique, de refaire son numéro de jambe en l’air. Alors que Kaufman fait progressivement accélérer l’orchestre qui accompagne sa danse, Eleonor succombe à une crise cardiaque. Pas de doute : Kaufman est allé trop loin cette fois. Le showman part brusquement, et le producteur du spectacle déboule sur scène, suant d’effroi. Les derniers rires s’étranglent quand il fait rallumer la salle et appelle un médecin qui surgit du public pour confirmer la mort de la danseuse. Silence interminable. Puis Kaufman revient sur la scène, avec un chapeau d’Indien sur la tête… Il fait une ghost dance autour du corps de la vieille dame devant l’audience traumatisée, et Mme Gould se relève… Elle revient d’entre les morts pour saluer la salle… Et c’est comme ça toute la soirée, de numéro en numéro, dissipant une illusion pour la remplacer par une autre, donnant l’impression d’une improvisation continuelle quand il s’agit, en réalité, d’une technique hyper-précise visant à défaire, un à un, tous les leurres suspendus dans l’atmosphère. De minute en minute, ce que nous appelons réalité s’effondre un peu plus sous les coups de burin que le sculpteur Kaufman enfonce dans le plâtre de notre perception.

Le « Vrai Andy Kaufman »
Andy Kaufman est un bouddhiste offensif, un maître de l’illusion sans délivrance. Ce qu’il n’a cessé d’accomplir, dans sa très courte carrière – avant de mourir d’un cancer des poumons à 37 ans (la dernière blague de quelqu’un qui ne fumait pas, ne buvait pas et ne mangeait pas de viande) – c’est de plonger ses spectateurs dans un état de torpeur, un poids de mille atmosphères et une mélancolie saturée d’interrogations. Où s’arrête le show business et où commence le monde réel ? Quels événements révèlent le « vrai Andy Kaufman » ? Ses scandales célèbres dont on n’arrive pas à découvrir s’ils sont le fruit de son impulsivité ou une stratégie savamment orchestré ? Le sketch médiocre que Kaufman s’arrête soudain d’interpréter dans l’émission Fridays – avant de sauter à la figure de son partenaire ? Le mea culpa qu’il prononcera ensuite, accompagné de la chanteuse Kathie Sullivan qui annonce leur mariage et la foi retrouvée d’Andy avant d’entonner une déchirante ballade de christian reborn ?…

En vérité, il n’y a pas de vrai Andy Kaufman. Car, s’il a tant de facilité à nous faire croire aux subjectivités de ses personnages successifs, c’est parce qu’il a une conscience très nette de l’illusion de sa personnalité. Et c’est cette absence de moi patente qu’aucun n’a supporté de son vivant et qui explique ses exclusions successives et ses scandales. Le stand-up comic a tous les droits : provocation, transgression, colère, vulgarité, mauvais goût – mais pas celui de ne pas croire en lui (ce qui veut dire, par ricochet, ne pas croire non plus dans la subjectivité de son spectateur ni dans la réalité du monde). C’est autour de cet interdit que Kaufman tourne dans tous ses sketchs comme un chat qui demande à son maître de lui donner à manger. On comprend dès lors l’usage très particulier qu’il fit de la méditation transcendantale pratiquée sous les auspices du douteux Maharishi Mahesh Yogi, enfarineur notoire des Beatles, des Beach Boys, de David Lynch et auteur légendaire de La Science de l’Etre (le gourou est mort au moment même où je rédige ces lignes ; guerre à ses cendres !) : une organisation dont Kaufman eut le privilège de se faire exclure parce qu’il en donnait une mauvaise image publique.

A la différence des hippies, Andy Kaufman a transformé le bouddhisme en arme. Il a perçu la puissance destructrice de sa technique, et la possibilité de suspendre le monde visible par de simples gestes chargés de toute la force de l’illusion se révélant à elle-même. Il n’y a pas plus dangereux qu’un homme qui ne croit pas à la réalité de sa propre existence. Cette violence, canalisée par les yogis, Kaufman la déchaîne à la télévision comme un apprenti sorcier. Il transforme une pratique de sagesse en son contraire : un exercice de folie décapante. Nous laisserons au lecteur le soin de décider si ce danger est plus grand que celui d’accepter sagement la marche du monde, et si notre Terre a besoin de davantage de saints que de sorciers. Pour notre part, nous remercions Andy Kaufman d’avoir plus d’une fois fait imploser l’écran comme on soulève le voile de Maya, éclairant soudain l’illusion qui sous-tend l’ordre du monde, nous laissant voir la beauté qui n’apparaît que sur ses ruines.

Par Pacôme Thiellement dans Standard n°19

A lire : Andy Kaufman Revealed! de Bob Zmuda (Little Brown and Compagny, 1999) et Andy Kaufman: Wrestling With the American Dream de Florian Keller (University of Minnesota Press, 2005).


Matt Groening : Rire jaune
  • 3 February 2015/
  • Posted By : Standard/
  • 0 comments /
Juste pour le plaisir, un des premiers interviews Standard : Matt Groening dans notre numéro 3. A l’époque, on bredouillait encore en anglais sans Skype, sans Facetime, sur  la friture des lignes transatlantiques…
Matt Groening portrait Yellowhands Courtesy of UCSB Arts and Lectures

Courtesy of UCSB Arts and Lectures

Qui aurait imaginé que « cartoonist » était un métier riche et prospère ? De fait, le créateur des Simpson est aujourd’hui milliardaire, dépositaire du visuel pop art le plus décliné de l’histoire du merchandising et heureux géniteur de deux séries d’animation diffusées en prime-time. Mais si Les Simpson approchent de leur 14e année [nous sommes en 2004 !], de quoi bientôt prétendre au titre de doyenne des séries télé, Futurama, sa petite soeur SF, vient de mordre la poussière aux Etats-Unis. Alors Matt, Groening ?

Salut Matt. Que faites-vous là maintenant ?
Matt Groening : Je roule sur La Cienega Boulevard en direction des studios Fox.

Pas trop abattu par l’annonce de l’annulation de Futurama ?
Non, car tout n’est pas tout à fait perdu. Fox n’en veut plus, mais il faut se rappeler qu’elle n’en a jamais voulu. Au cours des cinq ans d’existence de Futurama, la chaîne n’a rien fait d’autre que nous snober, omettant délibérément de faire de la pub autour de la série. Mais elle actuellement rediffusée sur Cartoon Network et connaît un succès inespéré. Il se peut qu’elle renaisse de ses cendres, ici ou là, sous une forme ou sous une autre. On en discute.

Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
Rien, vraiment. Tout s’est déroulé comme prévu. On a travaillé comme des chiens, on a porté nos petits cerveaux de scientifiques frustrés en ébullition pour finalement créer la série dont j’ai toujours rêvé, à la fois parodie de science-fiction et contribution émue et sincère au genre. Tout le monde adore Futurama sauf la Fox. C’est aussi simple que ça.

C’est incroyable de penser que vous, qui avez ressuscité la série d’animation en prime-time 25 ans après Les Pierrafeu et avez créé la sitcom la plus populaire de ces 15 dernières années, vous en chiez avec les dirigeants d’une chaîne. De surcroît celle qui abrite Les Simpson…
Vous ne pouvez pas imaginer à quel point les gens, dans ces hautes sphères capitalistes, peuvent se comporter comme des enfants. C’est vraiment comme au lycée. Chaque fois que je me suis montré conciliant avec les gros emmerdeurs de la récrée ça a été pris pour un signe de faiblesse. Et chaque fois que je leur ai gueulé dessus, on m’a traité avec respect. C’est impensable de les voir répéter inlassablement les mêmes conneries ; personne à la Fox n’agit dans l’intérêt de la chaîne. C’est dans leur intérêt que Futurama fonctionne, pourtant ils font tout pour nous mettre des bâtons dans les roues. Les Simpson rencontrent un succès grandissant depuis 14 ans mais Fox n’a rien à voir là-dedans, du moins sur le plan créatif. Du coup, ils n’aiment pas la série. Ecoutez bien ça : Fox n’aime pas Les Simpson !

Comment ça se manifeste ?
Un total manque de soutien pour tous les aspects extérieurs au business de la série. Mais bon, j’ai appris à ignorer l’ignorance. Hollywood enfante des bataillons de costards-cravates en culottes courtes dont le seul boulot est de dire d’un air pénétré : « mmm… non ».
Matt Groening interview francais futurama

Matt Groening : « Notre futur est à mi-chemin entre un mélange de merveilleux et d’horrible, un peu comme ce qui existe aujourd’hui. »

Matt Groening interview france futurama
La satire, en général, prend sa source dans la politique et la société. Elle émane d’une forme d’indignation. Comment s’est construite votre fibre satiriste ?
J’ai grandi avec la télé. Immergé dedans 24/24. Je fais de la télé aujourd’hui en partie pour m’amender de toutes ces heures gâchées devant le poste. Je peux maintenant regarder derrière moi et affirmer que tout ce temps perdu était de la recherche. Pour moi, ce n’est pas suffisant de savoir que ce qui passe à la télé est nul, stupide ou pernicieux. J’ai besoin de comprendre ce que je peux faire pour y remédier. Est-ce la nature même du médium ? La manière dont fonctionnent les grands networks aujourd’hui ? Ou un échec des créateurs de programmes ? Je me sens un peu comme un poisson qui analyserait l’eau de son aquarium, mais j’aspire surtout à montrer de quelle manière la télé est inconsciemment structurée pour nous garder.
Du mouvement steampunk des années 30 aux visions cyberpunk des années 80-90, les images du futur dans la SF disent traditionnellement plus de choses sur l’époque à laquelle elles ont été crées que sur l’époque qu’elles sont censées représenter. Que dit Futurama sur maintenant ?
En SF, c’est très simple, vous avez d’un côté la vision optimiste très chambre de commerce avec cités prospères et couleurs éclatantes et de l’autre un futur sombre, terrifiant et glauque à la Blade Runner. Notre futur est à mi-chemin, un mélange de merveilleux et d’horrible, un peu comme ce qui existe aujourd’hui.

Quel rôle ont joué Les Simpson ces quinze dernières années dans l’évolution de la société américaine ?
J’aimerais dire qu’il y a un peu plus de scepticisme envers le gouvernement et toutes les formes d’autorité. Malheureusement, je ne trouve la preuve de ça nulle part. Le monde du divertissement s’est engagé au contraire dans une frénésie consumériste qui exclut tout discernement. Pour le pire ou pour le meilleur, Les Simpson ont participé sur la durée à l’accélération de la culture.

Matt Groening interview france les simpson
Pensez-vous être encore crédible en tant que franc-tireur satiriste maintenant que Les Simpson sont devenus un tel monolithe culturel ?
Ce que la série ne cesse de dire, encore et encore, c’est que l’autorité morale n’agit pas forcément dans le meilleur intérêt des individus. Profs, proviseurs, hommes d’Eglise, politiciens… Pour la famille Simpson, ce sont tous des rigolos, et je pense que c’est un super message pour les gosses (rires). Le grand paradoxe est là : on tape sur les institutions tout en acceptant le fait que les gens s’y réfugient à la première occasion. Il y a certaines règles tacites à la télévision : les personnages ne peuvent pas fumer, doivent mettre leur ceinture de sécurité au volant, et l’alcool est bien sûr prohibé. Dans Les Simpson, tous les personnages boivent, fument et ne mettent pas la ceinture. D’un autre côté, Homer et les siens aspirent à un idéal protestant. Ils vont à l’église tous les dimanches. Ils parlent même. Dieu de temps en temps. Notre Dieu a cinq doigts. Pas comme les Simpson, qui en ont quatre.

Et finalement vous vous en tirez à bon compte parce que ce ne sont que des dessins…
Oui, bien sûr. On se cache toujours derrière l’argument : « hé, ce n’est qu’un dessin animé ! ». On a un épisode cette saison o. les membres de la famille Simpson s’endorment les uns après les autres à l’église et font chacun un rêve en rapport avec la Bible. Homer et Marge sont Adam et Eve, Bart est David dans David et Goliath. Il y a aussi Moïse caché quelque part.

Etre original, c’est encore possible ?
Après 300 épisodes, il est presque impossible de ne pas se répéter. On s’est fait une raison. La première règle chez nous : si ça date d’avant la saison 4, alors on peut le refaire. Les mecs de South Park ont réalisé récemment un épisode appelé The Simpson did that ! dans lequel Cartman et ses potes essayent d’inventer de nouveaux gags pour s’occuper, mais s’aperçoivent un peu désespérés que Les Simpson l’ont déjà fait. Sympa.

Matt Groening interview france the simpson
Homer est-il stupide ?
C’est un vrai problème parce que si Homer devient trop primitif, trop animal, la série n’existe plus. Il doit conserver des émotions et des motivations authentiquement humaines.

Propos recueillis par Benjamin Rozovas


Philippe Val dessiné par Cabu caricature
Philippe Val : « La paranoïa est la chose la mieux partagée du monde »
  • 8 January 2015/
  • Posted By : Richard Gaitet/
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Directeur de Charlie Hebdo (de 1992 à 2009, toujours actionnaire), Philippe Val nous avait reçu dans les bureaux du journal durant son été le plus lourd. C’était pour « l’affaire Siné », à la rentrée 2008. Le dessinateur Sine accouchait d’un concurrent au moment de la sortie d’un documentaire relatant le procès des caricatures de Mahomet publiées un an plus tôt dans le journal satirique. Sept ans ont passé jusqu’à cet hiver à la mine noire.
Philippe Val caricature Cabu

© Cabu

On ne sait plus sur quel pied danser avec Philippe Val. On respecte le journaliste engagé (contre l’extrême-droite, les intégrismes religieux, les tests ADN). On soutient le défenseur de la liberté d’expression qui tient bon malgré les menaces, comme on le voit dans le documentaire de Daniel Leconte C’est dur d’être aimé par des cons. On est plus circonspects devant son attitude dans l’affaire Siné, vieux râleur viré par Val pour une vanne pourrie mais finalement anodine dans un journal ayant l’outrance pour ligne éditoriale. Nous sommes reçus par un homme austère que l’on sent usé par les polémiques. Un intellectuel pas dénué de contradictions qui dit se méfier de la paranoïa ambiante tout en sautant dedans à pieds joints.

Un an et demi après l’élection présidentielle, constatez-vous l’amplification du sentiment de défiance des Français vis-à-vis de leurs journalistes ?
Philippe Val : [soupir] Je n’ai pas vu de variation. Le problème n’est pas lié, conjoncturellement, à un changement de présidence. Il s’agit plutôt d’une question structurelle au sein des démocraties en général – au sein de la démocratie française, ça s’observe bien. Il y a une méfiance, peut-être de mentalité, qui va s’amplifiant du fait de la précarité économique, du mauvais enseignement à l’école et du mauvais niveau de culture générale, pour les représentants constitutionnels (élus, députés) mais aussi les journalistes, les artistes, les écrivains, les gens qui de manière générale s’adressent à un public, et que l’on nomme, pour une raison déjà louche, « les élites ».

Pourquoi cette méfiance ?
Le travail d’un journaliste, c’est de dire « c’est plus compliqué que vous croyez ». Ils compliquent les choses simples : « les étrangers dehors », « moins d’impôts », « pas d’Europe car Bruxelles nous empêche de vendre du camembert à la louche ». Les gens aiment la propagande qui les flattent, et les journalistes, s’ils disent le contraire, sont considérés comme des menteurs. C’est, idéalement, quelqu’un pour qui la vérité est une valeur primordiale. Faut s’en approcher au plus près, au prix de l’impopularité. Le discrédit est-il augmenté par le fait que dans notre métier, on préfère bénéficier d’une popularité qu’affronter une opposition ? Je suis mal placé pour parler de ça car je ne fais qu’affronter des oppositions – je pense ainsi que je fais mon métier.

Jusqu’à cet automne, Charlie n’avait pas de site Internet. Comment intégrer la parole des citoyens dans le processus informationnel ?
Je suis contre ça, c’est du temps perdu. Internet est un outil formidable, je m’en sers et j’aimerais vivre dans cent ans pour voir la forme que ça prendra. Mais c’est très difficile, le métier d’un journaliste. Il n’a pas à discuter ses articles avec les lecteurs ; à moins d’un débat particulier, mais au quotidien, il n’a pas le temps.
Les sites d’information existent grâce au nombre de clics, qui ne s’obtient que par des infos transgressives souvent liées à la vie privée ou aux fausses rumeurs ; par exemple « le 11-Septembre, il n’y avait pas de juifs dans les tours ». Du sensationnel qui alimente la chose la mieux partagée du monde : la paranoïa. Quand les grands journaux ont bâti leurs sites, leurs patrons avaient déjà un certain âge, ils se sont dit « ça fait jeune » et ils ont embauché des passionnés d’Internet. Mais qui apprend le métier, les méthodes, la rigueur, à l’autre ? Pour aller vite, 80 % des journaux sont faits par des types qui ne sortent pas de leur burlingue et qui se font une idée des choses en tapant Google. Ce qui donne une info sujette à caution, avec des erratums dramatiques par moments. J’ai lu dans L’Obs des choses fausses sur moi, des papiers construits sur des rumeurs qu’il y a vingt ans le journal n’aurait jamais acceptés.

La qualité de l’information vous paraît donc en baisse ?
Ah bah tiens ! Bien sûr ! Le journalisme au nombre de clics doit rendre des comptes sur l’authenticité des informations, non pas au lecteur, mais à son financier, qui n’en a rien à foutre et qui veut du passage pour vendre ses brosses à dents. Mediapart, c’est un échec journalistique. Je l’ai éprouvé pour moi. Edwy Plenel [directeur de la rédaction] a fait un papier qui a fait du clic, assez sensationnel, disant que le limogeage de Siné par Charlie Hebdo est la « preuve » – mot fort dans la bouche d’un journaliste d’investigation – de la « reprise en main de la presse française par Sarkozy ». Pure rumeur. Sarkozy m’aurait appelé pour que je vire Siné ? Pure folie. Dans les jours qui ont suivi, sur leur blog, une chronique [signée d’un lecteur, vivement contestée par la rédaction] sur la « non existence du sida » a été publiée puis reprise dans Google News ; c’est parti en flèche.

Pour vous informer, vous n’utilisez jamais Internet ?
Si j’ai une référence historique à chercher concernant le rôle de l’amiral Coligny au moment de la Saint-Barthélemy, je sais vers quel site d’histoire me tourner. Concernant les news, jamais. Wikipedia, laisse tomber.

Philippe VAL Portrait Jean Luc Bertini-11

© Jean-Luc Bertini

Philippe Val : “Je ne savais pas que ça pouvait être aussi inflammable, en France.”

Pourquoi créer le site de Charlie ?
C’est un cas particulier : nous n’avons pas de ressources publicitaires. Notre seul lien d’insubordination, c’est avec le lecteur et quand on ne remplit pas ce devoir, on est sanctionnés. Longtemps, je ne voulais pas payer quelqu’un à l’année pour quelque chose qui ne rapportait rien. Maintenant, il faut avoir quelque chose à cet endroit, c’est évident.

Comment l’affaire Siné a-t-elle influé sur les ventes ?
Sur les deux mois d’été : +10 %. La moyenne des ventes de cette année, par semaine, c’est 60 000 en kiosques et 20 000 grâce aux abonnements et à l’export.

La sortie de Siné Hebdo (notre article), c’est vexant et/ou dangereux économiquement ?
Non. Il y a de la place pour tout le monde. Plus il y a de journaux dans les kiosques, plus je suis content. Celui-là, je le lirai pas trop.

Aucun regret ?
Aucun. Je referai la même chose, éternellement. Je suis choqué, mais je n’ai pas d’amertume. Choqué, pas tellement par la violence des attaques personnelles, mais par le fait que puisse s’exprimer de cette façon le droit à des propos borderline teintés d’antisémitisme ou pouvant être interprétés comme antisémites. Toucher à ce droit, je savais que ça allait être un peu lourd, chaud, pas simple, mais je ne savais pas que ça pouvait être aussi inflammable, en France. La vitesse à laquelle ça a pris et les gens qui s’y sont ralliés modifient… la façon dont je perçois la société française, un peu. La sensibilité et l’étendue du problème, ça me fout mal à l’aise – ça m’affecte plus que tout, ouais.

Cet été, vous écriviez : « j’ai l’impression que ça fait deux semaines que je rame dans un océan de merde ». A cause du ralliement à Siné de beaucoup d’artistes et d’intellectuels comme l’entarteur Noël Godin ou… 
C’est un intellectuel, Noël Godin, un artiste ? Que vous aimiez ou pas BHL n’est pas la question, mais il a entarté combien de fois BHL ?

Sept fois.
Vous trouvez ça normal ? Vous savez ce que c’est qu’un entartage ? Ils sont dix, quinze, c’est une vraie agression. OK c’est très drôle, et Bernard-Henri Lévy est peut-être quelqu’un qui agace par son narcissisme, sa richesse ou sa beauté. Ses prises de position politiques, c’est déjà plus compliqué parce qu’il s’est rarement gouré : il est juste antitotalitaire, du côté des musulmans bosniaques pendant la guerre en Bosnie, il a plutôt du nez, fidèle à ses idées ; il aurait pu être ministre de je ne sais pas quoi chez Sarkozy et il a choisi de se battre avec la perdante. Admettons qu’il soit con et désagréable – et riche. Il y a énormément de cons dans la société française, plus nuisibles et présents. Cauet, Ardisson, combien de fois ils ont été entartés ? Jamais. Sur BHL, c’est de l’acharnement. Tu l’entartes une première fois il est ridicule, mais après, il est toujours juif.

Vous exagérez : Godin entarte ceux qu’il juge crétins. Ce qui l’agace chez BHL, c’est son omniprésence médiatique. Et puis, suite à leur bagarre multidiffusée lors du premier entartage, ça se transforme en rituel idiot.
OK les gars. Pourquoi sept fois BHL et pas Jean-Pierre Pernaut ? Je me fous que les entarteurs existent, je n’ai rien contre ceux qui critiquent BHL sur le plan des idées, mais la haine qu’il déclenche est très louche.

Qu’il y ait des antisémites parmi les adversaires de BHL, d’accord. Mais de là à penser que c’est le cas de Godin, vieil anar irrévérencieux…
Alors pourquoi ?

Parce que c’est rigolo – et c’est tout le problème de l’humour. Charlie aussi a des cibles récurrentes.
De toute façon, je ne vous convaincrai pas ; laissons tomber.

Philippe Val : “De toute façon, je ne vous convaincrai pas, laissons tomber.”

On pose des questions, c’est tout.
Je sais bien, vous n’êtes pas là pour avoir un point de vue, mais vous en avez un [ambiance glaciale].

Parlons du documentaire de Daniel Leconte, C’est dur d’être aimé par des cons. N’est-il pas un peu trop partial ? On entend peu la parole des plaignants, la Grande Mosquée de Paris.
S’ils avaient présenté plus de témoins, on les aurait plus entendus. C’est un journalisme engagé, partial, oui, biaisé, mais pas de façon malhonnête. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris n’a pas voulu apparaître parce qu’il trouvait ce procès con. Si vous lisez mon livre, Délit de blasphème, où je raconte ça de l’intérieur, vous trouverez tout ça.

Vous avez été chanteur, comédien, auteur-compositeur et chroniqueur avant de devenir  journaliste. Quand « basculez-vous » ? Un article agit-il comme un déclic ?
Ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Avec d’autres artistes comme Higelin, on a aidé à la création de Libé. Quelques temps après, je faisais des tournées de spectacles et j’ai écrit deux, trois reportages avec Cabu, moi pour Libé, lui pour Charlie. Serge July m’a proposé de faire une chronique hebdomadaire, mais ça m’a fait peur. Et quand Charlie Hebdo a disparu [en décembre 1981], Cabu m’a proposé de faire un journal. Les années ont passé, il a trouvé un éditeur, on a lancé La Grosse Bertha [1990-1992] puis relancé Charlie [en 1992] – ce qui a plutôt bien fonctionné. J’avais tenté ça par plaisir d’écrire, puis je m’étais retiré car la demande était trop forte. Je suis musicien, je ne peux pas vivre sans faire de musique chaque jour, mais je n’ai plus envie de faire de la scène.

Mais la formation de votre « esprit » journalistique ?
J’ai appris sur le tas, comme ça. En lisant. J’avais deux-trois copains journalistes et je regardais comme ils faisaient.

Vous avez été très violent avec Denis Robert. C’est quoi le problème?
Beaucoup de choses pourraient nous mettre dans le même camp. Je suppose – j’en sais rien – que Clearstream a pu commettre des choses énormissimes, des trafics d’armes, des rémunérations occultes, c’est possible. Le problème, c’est que Denis Robert n’en sait pas plus que moi là-dessus. Il a fait de ses suppositions une vulgate, une rumeur, et c’est anti-journalistique à mort, hyper dangereux, et même si l’intention est bonne, le principe n’est pas bon. Il a dit que je ne parlais pas de l’affaire parce que Richard Malka, l’avocat de Clearstream, était aussi le mien*. Aberrant. D’abord, je n’en parlais pas parce que je n’en avais rien à foutre de cette histoire de chambre de compensation dont je n’ai pas le temps de savoir à quoi ça servait techniquement ; depuis, je me suis renseigné… par sa faute. Le dossier que j’ai eu montre l’amateurisme de Denis Robert – alors que je partage certaines de ses idées politiques. Tu ne peux pas dire sans preuve que les 1 500 employés de Clearstream travaillent dans une entreprise de gangsters. Il a affirmé des choses qui passent au tribunal et contrairement à ce qu’il dit, il perd à chaque fois. Les tribunaux ont des défauts, mais ils ne sont pas achetés par Clearstream, faut pas déconner, c’est du pur délire. Tout est truffé d’erreurs et de contre-vérités. J’ai l’intuition massive que d’ici à l’été prochain, les gens qui se sont battus pour Denis Robert vont se dire qu’ils auraient dû s’abstenir.

D’où vous vient cette intuition ?
Du dossier, qui est lourd, pour ce à quoi j’ai eu accès.

Par l’intermédiaire de votre avocat ?
Pas que, mais oui. Ça va lui exploser à la gueule et les gens qui l’ont défendu vont être éclaboussés. Ce n’est pas un mauvais mec, hein. Mais il est parano et ce n’est jamais bon pour un journaliste. Il y a deux sortes de journalistes, ceux d’information et ceux de révélations. Les révélations, ça voudrait dire qu’il y a des choses cachées derrière la réalité. La réalité est compliquée, mais il n’y a rien derrière.

Philippe Val : “Je veux que l’air soit respirable. Je ne veux pas vivre dans un pays de merde où les étrangers se foutent par la fenêtre quand ils entendent une voiture de police.”

Vous lui reprochez de se faire l’avocat de la théorie du complot en luttant contre la corruption. Les deux ne sont pas forcément liés : on peut dénoncer la corruption sans crier à la conspiration.
C’est le Spectre dans James Bond. Avec les suppositions, on est dans le mouvant, plus dans les faits. Faut étayer. J’ai fait beaucoup de reportages et à peu près le tour du monde, et dans les démocraties, la vérité est un outil de débat. De ma petite expérience de débatteur à la télévision [notamment dans N’ayons pas peur des mots sur I-Télé], j’ai discuté avec à peu près tous les politiques. De Besancenot à Sarkozy, ils disent tous leur vérité avec plus ou moins de bonne foi, qu’ils étayent d’arguments. Les hommes politiques peuvent être retors, machiavéliques, mais 90 % d’entre eux disent ce qu’ils pensent être vrai.

Et ça ne s’applique pas au travail de Denis Robert ?
Non, à mon sens, il a un vrai problème. Il a trouvé ce qu’il cherchait, c’est très bizarre pour un journaliste.

Et vous, vous cherchez quoi ? Qu’est-ce qui vous pousse à continuer avec tout ce que vous prenez dans la gueule ?
Moi, je ne veux pas vivre dans un pays de merde, je veux que l’air soit respirable. Je ne veux pas vivre dans un pays où les étrangers se foutent par la fenêtre quand ils entendent la voiture de police, où l’antisémitisme prend feu comme une nappe d’essence quand on vire un dessinateur. Parce que je paye des impôts et que j’ai envie que la justice, l’éducation, les hôpitaux fonctionnent comme je le voudrais. Je paie des impôts pour vivre dans un trois étoiles, pas dans un Formule 1. Là, je vis dans un Formule 1 qui pue, il y a des cafards et les lavabos ne sont pas propres.

Là, vous êtes amer.
Non, non. Quand je roule en scooter, je ne peux pas supporter de voir les flics arrêter toujours les mêmes. Ça me fait chier, ce n’est pas de l’amertume, c’est de la combativité. Je me bagarre pour essayer de vivre dans un monde décent. Ce n’est pas par bonté d’âme, c’est parce que je ne me plais pas dans la merde, que je ne veux pas savoir que ça existe à ma porte.

Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Je suis bon client pour la déconnade. Pour mes copains, Borges, Shakespeare, les films très cons. Et les dessinateurs de Charlie : l’été n’était pas rigolo et le journal était plein de santé, j’ai bien aimé.

Entretien Julien Blanc-Gras & Richard Gaitet

 

* Dans son dernier livre, Une affaire personnelle (Flammarion), Denis Robert – interviewé dans cette rubrique dans Standard n°18 – revient sur la désolidarisation de Charlie Hebdo par rapport à son travail.
A lire :
Charlie Hebdo, tous les mercredis en kiosques, 2 €
Charliehebdo.fr
Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous (Grasset)
C’est dur d’être aimé par des cons, de Daniel Leconte

 

 
Charlie Hebdo, c’était ça.
Pour répondre à la question de la fin : pas d’objections. Votre honneur.


Jacques Chancel par Caroline de Greef entretien Richard gaitet pour le magazine Standard
Les mille vies de Jacques Chancel : Asie soit-il
  • 23 December 2014/
  • Posted By : Richard Gaitet/
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Mathusalem de l’audiovisuel, Jacques Chancel, disparu à 86 ans, a vécu mille vies. La première, initiatique, nous intéresse : le « périlleux apprentissage », dans l’Indochine de 1948 à 1958, d’un correspondant de guerre de 19 ans, bombardé parmi les mines, les livres, l’opium et – oh – un éléphant.

Jacques Chancel par Caroline de Greef entretien Richard gaitet pour le magazine Standard

Sa première petite-fille, dont il nous présente le berceau, s’appelle Philippine. Comme un clin d’œil à l’archipel voisin de cette mythique Indochine où l’interviewer poli de Radioscopie (1968-1988) et du Grand Echiquier (1972-1983), co-fondateur d’Antenne 2, inaugura sa vie d’adulte. Dans le petit bureau d’un vaste appartement, ne coupant que le son de la télévision diffusant du football africain, Chancel évoque son aurore dans l’horreur – le paradoxe d’une seconde naissance dont il fera, un jour, un livre.

« Je voulais comprendre la saloperie de la guerre, comment les bons peuvent être minables et comment dans les salauds, quelquefois, il y a des pépites de fabuleuse moralité. J’aurais pu m’effondrer s’il n’y avait eu ce copain, un jeune médecin, qui m’a averti du mauvais départ que je prenais. Pendant trois mois, « pour faire bien », avant le café, je m’étais mis au « perroquet ». Trois pastis-menthe chaque matin. Ça faisait mec engagé dans l’aventure – affreux. Puis il y avait les sorties : on allait dans les fumeries d’opium comme on va dans les boîtes aujourd’hui. Au début, je me suis laissé aller pour connaître. L’ambiance était formidable : beau décor, velours rouges, les tapis, ces femmes sublimes, pour la plupart des métisses d’Anglais et de Chinois de Hong-Kong. C’est dans la fumerie de la mère Choum que se tramaient tous les complots, que se rencontraient les officiers viets et français pour arranger certaines situations. De ses années pleines, j’ai compris beaucoup de choses. Je l’avais noté dans un carnet, en 1955 : “J’ai tout vu, j’ai tout connu, j’ai tout souffert. Ce matin, vaniteusement, je me persuade que mon existence est finie : j’ai 24 ans.” »

« Ces dix années m’ont fabriqué. Ma famille était très impliquée dans les affaires de l’Extrême-Orient. Ma tante et marraine était proviseur du lycée Chasseloup-Laubat, un lycée français de Saïgon, et mon oncle, inspecteur général des forêts d’Indochine avec le titre de gouverneur. Ils ont passé cinquante ans sur place, je n’entendais parler que de ça. Ça me permettait d’être zazou : ils rapportaient des chaussures à semelles de crêpe, énormes ! Puis j’ai lu Les Trois Mousquetaires. La France, l’évasion ! Je pensais à D’Artagnan quittant notre bonne province du Gers – je suis né tout près de son assez minable petit château. Lui, a osé partir. Puis j’ai découvert Rubempré [Illusions Perdues] et Rastignac [Le Père Goriot]. Ce n’était pas la célébrité ou le pouvoir : je voulais mener une aventure. Je n’ai rêvé que de ça. J’avais 17 ans quand j’en ai parlé à mon oncle. J’ai fait l’Ecole militaire des transmissions de Montargis, auxquelles je ne comprenais rien. Ma mère ne voulait pas d’un départ précipité, mon père n’était pas content mais… “S’il veut vraiment s’exprimer…“ ».
Jacques Chancel par Caroline de Greef entretien Richard gaitet pour le magazine Standard

Jacques Chancel : « J’avais cette curiosité de môme, j’engrangeais, boulimique, sans objectif. »

En arrivant, William Baze, le président eurasien, celui qui apprit à l’Empereur viêtnamien Bao Daï à chasser le tigre et l’éléphant, m’a pris sous sa coupe. Baze avait une plantation de xuan loc [du caoutchouc] et une éléphanterie d’une centaine de têtes. J’ai pris la chambre de sa fille, ma copine, qui, elle, partait à Paris. Et j’ai hérité, en même temps, de deux gibbons, un noir, l’autre, blanc. Le soir, quand je rentrais, ils passaient par les toits pour venir me chercher. Plus tard, j’ai eu « Niok », un petit éléphant de deux mois au destin terrible : on a fait un film sur lui, c’est devenu une vedette, il a fait le voyage jusqu’à Paris, les cocktails, on le promenait partout, c’était très chic, puis il a maigri. Il est mort six mois après. »
« J’ai d’abord été grièvement blessé. J’ai sauté sur une mine – c’est le livre que j’écrirai peut-être cet été. A 18 ans, j’étais à la fac de droit et j’avais une heure et demie d’émission avec une fille, Marina, une quotidienne de musique et de chansons sur Radio France-Asie. Ça s’appelait Jacques et Marina. J’étais heureusement condamné à dévorer la presse qui arrivait de France avec beaucoup de retard. Ça a duré jusqu’à Diên Biên Phû [1954], la grande explosion après laquelle j’ai collaboré à des journaux, je rendais des papiers sur le Tonkin. J’étais toujours étudiant, je lisais les grands classiques : Balzac, Zola, Chateaubriand, Dostoïevski, Tolstoï, les nouvelles de Maupassant. En face de l’hôtel Continental, lieu de tous les complots et de tous les bonheurs, il y avait une librairie pleine du matin au soir, pour oublier l’horreur. Ça canardait toutes les nuits. Lorsque le soir on rigolait, on entendait les bombes à quelques kilomètres. Ceux qui dansaient partaient le lendemain se faire tuer. Toutes les guerres provoquent cette ébullition. »

« Puis j’ai rencontré Raymond Cartier, la grande plume de Match. Ça a été ma chance. J’avais écrit deux romans, L’Eurasienne [1950] et Mes Rebelles [1953]. L’écriture me sauvait de la folie des boîtes et de l’opium. Lucien Bodard, correspondant pour France-Soir et auteur de La Guerre d’Indochine, faisait de grands articles sur moi qui disaient : “Chancel, il connaît aussi bien l’Empereur, les généraux, les putes et les salauds.” J’avais cette curiosité de môme, j’engrangeais, boulimique, sans objectif. Voyant ma folie – je l’ai entraîné pendant trois jours sur toutes les routes de Cholon, l’enfer du jeu à dix kilomètres de Saïgon, trente mille personnes qui jouent en même temps à des trucs tout à fait insensés, au Grand Monde, un bordel géant doté d’un orchestre de dix musiciens – il m’a désigné correspondant de Paris-Match pour tout le Sud-Est asiatique, rattaché à la Légion étrangère. Ma règle, c’est de dire la vérité, mais la censure, là-bas, préservait de la mort. J’apprenais de Bodard, de Jean Lartéguy, de Graham Greene. Ils avaient vingt ans de plus, j’étais le bébé, je n’avais pas de certitudes, je creusais tout ce que j’entendais. »

 Jacques Chancel : « Je suis un peu Asiate, moi. »

« Je ne travaillais que pour Match, parfois un papier par semaine, parfois des photos : un jour, sur la terrasse en flammes d’un grand restaurant, j’ai photographié toutes les chaises renversées avec une pauvre femme accroupie, qui pleurait. Double-page dans Match, la photo passa dans le monde entier ! [Il rit] Le hasard ! Généralement je faisais de longues légendes des photos et des événements. Je ne me prenais pas pour un immense journaliste donnant ses lueurs sur la guerre. J’étais un témoin, un observateur, j’apportais les nouvelles. Pour vous dire à quel point j’étais gamin : un jour, je rentre de l’ancien palais des empereurs et je vois, dans la rue, une dizaine de cadaves et des gardes en armes dans les tranchées. Quelque chose se prépare. J’arrive à l’hôtel Continental où je retrouve Lucien Bodard pour déjeuner, comme tous les jours depuis trois ans. Je lui raconte. Le lendemain, billet de mon rédacteur en chef : “Plutôt que de faire les folles nuits de Saïgon, il serait convenable de nous dire ce qu’il se passe.” Il ne s’était rien passé : des morts comme ça, c’était tous les jours. Mais France-Soir titrait : « Le sang coule à Saïgon ». Cinq colonnes à la Une ! Bodard s’était rencardé avec les services secrets en partant de mon intuition. Huit jours après, quinze mille morts. Le journalisme, c’était prévoir. »

« Si j’étais amoureux ? Non, à cet âge-là, on court toutes les montures. Si : il y a une femme que j’ai beaucoup aimé et qui, hélas, est morte une nuit de beuverie. A 19 ans. Tuée par des imbéciles qui jouaient avec des revolvers. Je n’y étais pas, mais je suis allé la reconnaître à la morgue. Une Eurasienne d’une beauté extraordinaire, que j’aimais comme on aime à cet âge. »

« Je pars un an après la fin de la guerre. Je passe six mois au Cambodge, à la frontière chinoise, dans un rendez-vous de chasse. Le paradis des tigres, des éléphants, des buffles sauvages de plus de deux tonnes. Mais il fallait rentrer. Tout ça je l’ai vécu bellement et dangereusement. Il y a un endroit, au Nord du Viêt Nam, dont tout le monde parle : la baie d’Ha-Long, une merveille. Pour moi, c’est d’abord un cimetière : une dizaine de mes amis, vingt ans à l’époque, auxquels on prédisait des avenirs fabuleux, y sont enterrés. Vous ne pouvez pas savoir le calme de cette baie… la sérénité dans la mort. J’avais l’inconscience d’un jeune homme. »

« J’ai fréquenté les grandeurs et les bas-fonds. C’est une époque un peu insensée, de presque aventurier. Ce qui m’importait, c’était de vivre chaque minute – aujourd’hui encore ! On en parle souvent avec [Bernard] Pivot : tout ce qu’il nous est arrivé, c’est par hasard. J’étais écrivain, je suis devenu journaliste, homme de radio, homme de télé. Je n’aurais jamais cru. Les choses se sont improvisées. C’est venu de l’appétance que j’avais pour la littérature et la musique – Wagner, Mozart, ça me transportait. Je me félicite d’avoir connu tout ça. On est tous condamnés à mourir, mais il y en a si peu qui auront vécu. »

Entretien Richard Gaitet Photographies Caroline de Greef dans Standard n° 19

Les Années turbulentes, 2005-2007 (Plon).


voici
Fabrice Argelas : « La dérive people fait vendre »
  • 7 August 2014/
  • Posted By : François Perrin/
  • 0 comments /
Cet été, Standard revisite l’analyse de la culture people de son numéro 27 , spécial Gossips, publié en avril 2010.
Episode 2 : après le paparazzi Pascal Rostain, le rédacteur en chef adjoint de Voici capturé en pleine rue.
voici

© Caroline de Greef

Fabrice Argelas, « la quarantaine », ex-rédacteur en chef de L’Echo des Savanes (1998-2005), est soucieux de nos procédés : « Vous prendrez que ce qui est sur le magnéto, hein ? » Promis.

Comment expliqueriez-vous les ficelles du métier à un journaliste qui débarque dans la presse people ?
Fabrice Argelas : Ça va faire bondir, mais le travail de base est le même qu’au Nouvel Obs, à l’Express ou au Point : on vérifie les infos. On est juste sur un autre matériau qui est le people, le potin, certes, mais aussi la révélation. La différence, c’est un second degré qu’on cherche à développer sur l’actu, un ton. On n’est pas sur les comptes d’exploitation de Disney, sur l’EPAD, on ne fait pas Capital, on travaille sur la vie privée des personnalités. Si Robert Pattinson est avec Kristen Stewart, on essaie de voir comment tourner l’info d’une manière un peu drôle – on ne perd jamais de vue qu’on est un magazine de divertissement, on ne se prend pas pour ce qu’on n’est pas. On sait qu’on est feuilleté, il faut qu’on s’en amuse.

Votre intérêt, en embauchant un Beigbeder, consiste donc à entretenir ce second degré ?
Beig, c’est un ami de la famille, depuis longtemps. Il était là, il est parti, il est revenu… Ce qui nous intéresse chez lui, c’est sa notoriété, son esprit, sa façon de regarder le monde, sa façon de se mettre en scène. Beig, c’est Beig, avec son côté incontrôlable, libre – il peut écrire parfois des choses qui nous horrifient, on les publie quand même. Il n’est jamais censuré, enfin quasiment jamais. Il est dans cet esprit qu’on veut donner à Voici, de décalage, de légèreté, de gravité aussi, parfois.

Et comment ça se récupère, un Beigbeder ?
Un coup de fil. Des bruits, on entend que tiens, avec Voici, pourquoi pas. Alors on l’appelle : « Salut Fred, on prend un verre ? » et puis on prend un verre, et la semaine d’après il est dans le journal. Sa rubrique, on ne l’a pas travaillée pendant six mois, avec quatorze essais de maquette et du concept, on l’a conçue après cinq verres de blanc.

Ah oui, il boit ? Premier scoop.
[Rire] Euh… Uniquement ce jour-là, parce qu’il retrouvait ses copains de Voici.

Fabrice Argelas : « Ça fera son chemin : peut-être qu’un jour, quelqu’un de Voici se retrouvera au Monde. »

D’autres écrivains travaillent pour vous ?
Philippe Jaenada, mais il ne signe pas. De temps en temps, on fait appel à Patrick Besson, qui signe. Pour moi, c’est le meilleur chroniqueur français. On fait attention à la qualité d’écriture, c’est pas parce qu’on parle de Sharon Stone, Adeline Blondieau et Jenifer qu’il faut que ce soit mal écrit. On ne se moque pas des gens avec sujet, verbe, compliment.

Vous faites appel à eux parce que vous avez peur de manquer de profondeur ?
Oui, on est peut-être un petit peu trop dedans. J’aimerais bien voir ce que Patrick Besson pourrait écrire sur La Ferme, par exemple. Je suis sûr qu’il aurait des choses à dire que nous, on ne peut pas exprimer, par manque de temps ou de recul. Il a certainement un point de vue à contre-courant, il pourrait dire que c’est l’émission la plus intelligente de ces dix dernières années, en le justifiant. Et nous, la prouesse intellectuelle qui nous scotche, comme ça, on adore.

En termes de concurrence, que pensez-vous des sites comme Purepeople.com ?
Ils peuvent révéler des choses plus rapidement que nous – le print doit se poser des questions par rapport à ça, opérer sa mutation et apporter autre chose. Plus d’originalité dans les angles, des maquettes plus travaillées… Le Net, c’est un robinet, il y a à boire et à manger, on touche tout le monde sur tout et n’importe quoi… En papier, on fait des choix, on ne parle pas de tout, on met à la poubelle 80 % des trucs.

Comme ?
On est moins axés sur les gens issus de la téléréalité, les gens de Secret story. La cible des sites est peut-être plus jeune, en tout cas ils sont très friands des people américains comme Lindsay Lohan [Lolita malgré moi, Machete], Taylor Momsen [Gossip Girl].

Et avec Closer, Public, c’est la guerre ?
Il n’y a pas de guerre, c’est une saine concurrence. Il y a une offre démultipliée sur la presse people depuis trois-quatre ans. C’est une autre des composantes qu’on a à gérer – on était tout seul pendant vingt ans. Je suis plutôt ravi, ça force l’émulation, ça contraint à ne jamais s’endormir, à être inventif. On se distingue sur la façon d’aborder les sujets, sur l’originalité, peut-être un peu aussi sur la prise de risques. Ce qu’on sait faire, nous, c’est trouver des angles super intéressants, on se concentre là-dessus.

Vous arrivez à conserver vos troupes [des salariés de Voici ont migré vers Grazia] ?
Pour beaucoup de journalistes, le people, c’est ce vers quoi on va quand on ne sait pas trop quoi faire. Je regrette qu’on ait tendance à croire que sans domaine de compétence particulier, il vaut mieux envoyer son CV à Voici qu’au Nouvel Obs. Il y a beaucoup de journalistes sur ce marché : mais des bons, malheureusement, peu. Donc, on fait rester des gens deux, trois semaines, en piges, et puis on ne les recontacte plus, jusqu’à ce qu’on tombe sur une pépite – un petit jeune, 25 ans, qui assure. Lui, pour le garder, il n’y a pas que l’argent, il y a les conditions de travail, l’ambiance. Notre rédaction, c’est une bande d’amis, on se retrouve par petits groupes autour d’un verre, les plus fêtards restent jusqu’à deux heures du matin.

Fabrice Argelas : « Elsa Zylberstein nous a attaqué pour une photo d’elle dans les mots fléchés. »

Ah bon, il boit Beigbeder ?
[Rire] Il faut être fier de travailler à Voici, ce n’est pas une honte. C’est fini le temps où certains lecteurs nous cachaient à l’intérieur Le Monde, au kiosque, comme Playboy dans les années 70. Le people est partout, à la télé, au Nouvel Obs qui fait d’ailleurs une couv’ people tous les étés, en titrant, pour se dédouaner : « Où va la presse people ? »

Vous pensez quoi de cette dérive people ?
Ça fait vendre, il y a une demande, un appétit. Tout le monde y va, certains avec des pincettes, d’autres, comme nous, franco. La presse généraliste le fait avec son regard à elle – j’adore lire des papiers people dans Le Point ou dans Libé, ça m’apprend plein de trucs. C’est comme de lire un papier « sport » dans Le Monde – les chroniques de Greg LeMond sur le Tour de France, elles étaient juste géniales –, les papiers de Luc Le Vaillant dans Libé, sur la voile…

Comment faire du people en prenant des pincettes ?
Il y a le côté, « nous, anthropologues, on va se pencher un peu sur ce village, regarder un peu qui sont ces extraterrestres… » On est souvent contacté par des chaînes de télé qui veulent assister à une conférence de rédaction, parce qu’ils pensent qu’on est complètement allumés. Alors que ça se passe comme partout ailleurs. On est considéré comme de la presse de caniveau – plus au niveau du grand public, mais chez les professionnels –, comme le cinéma comique par rapport au cinéma d’auteur. Ça fera son chemin : peut-être qu’un jour, quelqu’un de Voici se retrouvera au Monde.

Ça pourrait être vous ? Vous envisagez de travailler ailleurs ?
Je n’ai aucune envie, pour l’instant. Je suis content de faire ce que je fais, il y a encore plein de choses à faire. Je connais trop bien ce métier, comment ça fonctionne, pour oser vous garantir que je serai encore à ce poste dans dix ans, ou que je n’aurai pas envie, à un moment, d’aller m’amuser ailleurs, différemment. Pas même forcément dans le journalisme, mais peut-être dans l’écriture, ou autre chose. Même s’il y a des moments durs, de la tension, je m’amuse dès le matin.

Des moments durs ?
En prenant des photos de gens sans autorisation, et en les publiant, on viole la loi toutes les semaines. Mais si on ne la viole pas, on ne fait pas Voici. Certains attaquent, d’autres pas, ils comprennent qu’il n’y a pas de méchanceté, de volonté délibérée de nuire. Il n’y a rien de grave à montrer un people en vacances à Saint-Barth…

voici

© Caroline de Greef

Vous ne montrez pas que ça…
Dans ces cas-là, ils attaquent, ils gagnent, ils prennent leur argent, on a une PJ [publication judiciaire] en couverture et on est punis, on se fait taper sur les doigts, voilà, the show must go on.

Votre CV, vous l’assumez donc très bien.
A 200, à 2000 %, bien sûr. Après, quand je dis ce que je fais, il y a évidemment, parfois, des réactions de mépris, des gens qui te traitent de raclure. Mais viscéralement, les gens montrent surtout une curiosité forte, un besoin de savoir comment ça se passe. A tel point qu’il m’arrive de moduler un peu, j’évite de parler de mon boulot – pas parce que j’en ai honte, mais pour ne pas devenir le centre d’intérêt. Là, ce que je fais avec vous, je n’ai pas forcément envie de le faire tout le temps.

Vous avez déjà eu l’impression d’avoir dépassé les limites ?
Bien sûr, il est arrivé qu’on écrive des choses qui n’étaient pas totalement vraies. Mais jamais sciemment. On a pu annoncer un mariage qui n’a finalement pas eu lieu, mais quand on avait réuni les éléments, nos quatre sources recoupées allaient toutes dans le même sens : il devait se faire. Ou récemment, on s’est trompé de nana sur une photo avec Arthur. On n’a pas dit qu’ils étaient ensemble, on a dit que c’était une « bonne copine » – parce que Voici se lit aussi entre les lignes, hein… C’était la femme de Dany Boon, Yaël, qu’on n’avait pas reconnue. Ça peut arriver, et on ne dort pas bien la nuit suivante.

Qui vous a intenté le plus de procès ?
On fait le palmarès chaque année. De mémoire, en 2009, Jenifer, Laurence Ferrari, Jamel, Mélissa [Theuriau], Obispo, Arthur, Claire Chazal.

Et ceux qui ont perdu ?
Romain et Angie, de Secret Story, condamnés à nous payer un euro. Elsa Zylberstein, qui nous a attaqué pour une photo d’elle dans les mots fléchés. Il fallait deviner son nom dans les cases : « Elsa » en vertical, « Zylberstein » en horizontal. Et elle perd sur toute la ligne.

Quelles stars sont abonnées à Voici ?
Ah, c’est une bonne question. Super idée de sujet que vous me donnez [il la note et s’emballe]. Merci, François… François Perrin ? C’est un nom de Pierre Richard, ça [rires]. Je peux me permettre de la prendre ? Et puis vous ferez le papier pour nous, je vous donnerai le fichier.

Et quelles sont celles qui quémandent pour obtenir un papier ?
C’est un peu une légende urbaine, les gens qui nous appellent pour nous dire qu’ils seront à tel endroit… J’ai jamais vu ça en quatre ans. Si, ça arrive pour les gens de la téléréalité, ces pseudo-sous-sous-sous people qui ont eu dix jours de célébrité et qui veulent l’entretenir.

A part le coup de boule de Diam’s et la livraison de fumier par Sandrine Bonnaire, des manifestations de haine ?
Guillaume Depardieu est venu casser les ordinateurs du standard avec quelque chose comme une batte de baseball. Sinon, il y a des gens qui viennent et avec lesquels ça se passe très bien, mais je ne peux pas vous dire qui. On discute et ça s’arrange.

Si, cet acteur brun, là, donc le nom commence par un M… Non, un L… Ou un V ?
[Rire] C’est vrai, il y a lui. Quant à Diam’s, elle était un peu à cran à l’époque, elle l’a reconnu. On avait dit en couv’ qu’elle avait une grosse fatigue, et elle a, en venant, montré qu’elle était vraiment en état de grosse fatigue. Ça s’est arrangé, peut-être que dans un an, on en rigolera.

De quoi êtes-vous le plus fier, par rapport au journal ?
Notre liberté de ton, de travail. La possibilité de traiter tous les sujets. On n’est muselé par personne, la direction nous fiche une paix royale, tout en étant présente. Ce qui ne nous empêche pas d’être responsables : on n’est pas des têtes brûlées ni des cow-boys. Et le people n’est pas un ennemi, on ne les déteste pas. On a juste envie de s’amuser avec eux dans les interviews, de rire d’eux dans les sujets d’actu, mais jamais méchamment.

Avez-vous des scrupules ?
Si j’ai des scrupules, je fais autre chose. C’est peut-être horrifiant, mais c’est une question de caractère : j’y mets les deux pieds, pas un orteil.

Un scoop, enfin ?
Angelina Jolie a une histoire d’amour torride avec Barack Obama. Ça vous va ?


Pascal Rostain Mouron Kate Moss
Pascal Rostain : le paparazzi vérifie ses infos
  • 31 July 2014/
  • Posted By : Standard/
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Cet été, Standard revisite l’analyse de la culture people de son numéro 27 , spécial Gossips, publié en avril 2010.
Episode 1 : les photographes de caniveaux dont on essayait de réanglé la démarche avec le plus couru d’entre eux, Pascal Rostain. Quatre ans plus tard, l’exposition Paparazzi !, qui s’est terminée en juin au Centre Pompidou Metz, en réhabilite d’autres .
Jean Pierre Raffarin vie privée Pascal Rostain paparazzo

Après son départ de Matignon Jean-Pierre Raffarin a touché le fond. Pascal Rostain, 2005

Pascal Rostain, 51 ans, dénicheur de scoops retentissants – Cécilia Sarkozy et Richard Attias pour la France, Beyonce et Obama pour les USA –, se voit comme un « journaliste d’investigation, un chasseur d’images qui vérifie les infos.» Clic-claque.

A vos débuts, quelle était l’image des paparazzis ?
Pascal Rostain : Quand j’étais jeune, je ne connaissais même pas le mot, inventé par Fellini dans La Dolce Vita [1960]. Ça n’avait pas cette connotation agressive : on faisait partie de l’environnement des célébrités, on était moins nombreux et pas du tout cachés. Si Romy Schneider n’était pas bien, on la laissait tranquille, et quand elle allait mieux, on refaisait des photos. C’est justement l’objet d’un livre que nous aimerions publier cette année avec Bruno Mouron [avec lequel il travailla dix ans à Paris-Match avant de fonder ensemble l’agence Sphinx].

Des clichés de « l’âge d’or » des stars ?
Ce seront nos photos d’archives prises entre 1960 et 1985, c’est-à-dire avant que la presse magazine passe massivement du noir et blanc à la couleur. On verra Grace Kelly, Steve McQueen, Jackie Kennedy et ses enfants pieds nus à Saint-Tropez… Quand tu regardes celles avec Liz Taylor, Richard Burton ou la Callas, tu vois qu’on n’est pas cachés derrière des téléobjectifs : c’est au flash, avec les stars sur le trottoir, dans la rue, devant chez Dior. Une autre ambiance.

Pascal Rostain : « Pourquoi ils ne nous ont pas attaqués ? Parce qu’ils savent ce qu’on n’a pas montré. »

C’est quoi la presse people aujourd’hui ?
L’Express, Le Nouvel Obs, Le Point. Ils ne font que des couvertures sur les people ! J’en parlais l’autre jour avec Christophe Barbier [directeur de la rédaction de L’Express], en demandant : « Vous allez vous arrêter où ? » Il a répondu : « On reçoit trois lettres de vieux réac’ qui se désabonnent, mais ça marche. A chaque fois, on fait 20 % de ventes en plus ! »

Poubelle de Jack Nickolson par Pascal Rostain

Les poubelles de Jack Nickolson, 1990

A partir de quand est-on rangé dans la case « people » ?
Je préfère le mot célébrités. Dans les années 90, les top-modèles étaient très médiatisées. Après, il y a eu les présentateurs télé puis les sportifs. Les politiques qui utilisent leur vie privée pour promouvoir leur carrière, ça a toujours existé : regardez les photos de J. F. K. avec son gamin sous le bureau. Ou Jack Lang qui annonce sa candidature à l’élection présidentielle de 2007 dans Voici ! Quand Ségolène Royal dénonce Paris-Match pour des photos d’elle en maillot de bain, c’est la même qui invitait le même magazine et Antenne 2 pour la  naissance de sa fille [en 1992]. Aujourd’hui, le drame, c’est qu’on vend des gamins issus de la téléréalité qui n’ont rien fait à des magazines populaires tels que Closer ou Public.

Et quand vous avez un scoop que personne ne veut le publier ?
Ça m’attriste. La presse française appartient à des marchands de canons : Libération à Rothschild, Le Point à Pinault. Il ne reste de libres que Marianne et le Canard Enchaîné.

Qu’est-ce qui vous plaît dans ce métier ?
Révéler des choses auxquelles le public n’a pas accès. Quand je fais le premier une couverture de Paris-Match avec les photos officielles Nicolas Sarkozy et Carla Bruni à l’Elysée, je suis seul avec eux. Ça n’a été vu nulle part.

Pascal Rostain Prince William vie privée WINDSOR

1999. Le prince William tel personne.

Avec Bruno Mouron, vous êtes entrez dans l’art grâce à Trash, photos de poubelles de stars reprises dans Vanity Fair ou El Mundo. C’est parti de quoi ?
En 1988, un article du Monde révélait qu’un sociologue avait étudié les poubelles de dix familles françaises. On découvrait la personnalité des gens à travers leurs déchets, ce qu’ils mangent, boivent, fument, lisent, s’ils ont des enfants, des animaux… A l’époque, je faisais des photos de Gainsbourg et un jour, je lui ai pris une poubelle. Au studio, je l’ai étalé façon taxidermiste, sur fond noir. Une telle caricature de Serge ! Des paquets de Gitanes, les bouteilles de Ricard… On a décidé de le faire avec d’autres. Comme c’est très intime, on l’a fait de façon élégante, le principe n’étant pas de dévoiler un scandale. Donc on a enlevé tout ce qui avait une connotation médicale ou sexuel (les anabolisants pour les sportifs, le Viagra, des sextoys…)

Quelles ont été vos cibles ?
Brigitte Bardot, Jean-Marie Le Pen, Bernard Tapie, Depardieu. Puis à Los Angeles : Madonna, Sharon Stone, Michael Jackson, Ronald Reagan, Jack Nicholson, Marlon Brando…. Qui ne nous ont pas attaqués. Pourquoi ? Parce qu’ils savent ce qu’on n’a pas montré. On n’est pas là pour leur porter préjudice mais pour faire un portrait.

Trash continue ?
Avec Bruno, depuis cinq ans, on réalise la première étude de la mondialisation : on fait les poubelles d’une famille ordinaire dans quarante pays. On voit ainsi l’effacement des identités culturelles des pays à travers leurs ordures : pour caricaturer, partout du McDo et du Coca-Cola. Le Malawi, l’un des pays les plus pauvres du monde, c’est très propre ! Pas de plastique, pas d’emballage, principalement des déchets naturels. En Polynésie : feuilles de coco, arêtes de poissons. On cherche des financements. Mais nous ne sommes pas les premiers à nous intéresser à ce qu’on appelle la rudologie.

Vous avez un scoop ?
Comme ça, là ? Gratos ? Carla est enceinte… depuis maintenant trois ans. Et le bébé sera directement élu président de l’EPAD.

Pascal Rostain Marlon Brando-en-famille

Marlon Brando vit-il dans un Palace ? Est-il devenu énorme ? Introuvable ? Ben non. ©Sphinx, PR, 1984

Quelle est la rumeur la plus tenace ?
En 1987, Jean-Noel Kapferer est invité à Nulle part Ailleurs pour son livre Rumeurs, le plus vieux média du monde. Il y avait aussi Sheila. Elle a eu cinq minutes de pur génie ! Elle a dit : « Je vais expliquer aux téléspectateurs pourquoi ça ne sert à rien d’acheter votre livre. Tout le monde connaît la rumeur me concernant : je serais un homme. (Elle se lève) Donc je vais soulever ma robe et baisser ma culotte… » Elle attend quinze secondes et se rassie : « Vous savez pourquoi je ne vais pas le faire ? Parce que la rumeur va dire l’opération a bien réussie ! »

Pourquoi y-a-t-il tant de rumeurs dans la presse ?
Le problème, c’est que la source principale d’information des journalistes, c’est Internet. Peu de gens se déplacent pour un papier. J’ai eu un portrait de moi dans Le Monde 2, un papier très bon mais ils ne m’ont jamais rencontré ! Pas un coup de téléphone ! Et c’est Le Monde !  J’ai aussi suivi le couple présidentiel l’année dernière à New York [Pascal Rostain est ami avec Carla Bruni depuis vingt ans]. En trois jours, on s’est fait pas mal de musées, lui faisait du jogging et elle a acheté un nounours pour son fils dans la boutique de l’hôtel. Libé a titré « Après le shopping, Sarkozy parlera de la crise financière » [le 23/09/2008]. Genre, la pétasse qui fait du shopping sur la Ve Avenue !

Le scoop dont vous rêvez ?
Mon obsession : retrouver Ben Laden. Je ne sais pas combien paieraient les Américains pour ça. Mais si je l’ai, Obama n’aura qu’à dépenser un dollar dans un magazine au coin de la rue pour voir où il se trouve.

Par Margaux Duquesne

Trash Pascal Rostain
Trash
Catalogue d’exposition
Maison Européenne de la Photographie, 2007
Bruno Mouron & Pascal Rostain

Pascal Rostain livre scoop flammarion
Bruno Mouron & Pascal Rostain
Scoop – Révélations sur les secrets d’actualité
Flammarion, 2007

Pascal Rostain livre voyeur grasset
Pascal Rostain
Voyeur
Grasset, 2014

Pascal Rostain bande dessinee scoop
Bruno Mouron, Pascal Rostain, Christophe Régnault
Chasseurs de scoops : L’histoire vraie des photos qui ont secoué la République
Glénat, 2012

 

Depuis janvier, la « loi Britney Spears » fait trembler Los Angeles.

britney spears is leaving x factor after 1 season buzz
Votée à l’automne dernier, une loi dite « anti-paparazzi » est entrée en vigueur en janvier dans l’Etat de Californie. Surnommée « loi Britney Spears » en raison de l’acharnement de certains vautours à harceler la chanteuse, elle permet de condamner à hauteur de 50 000 dollars le fait de photographier ou enregistrer les stars exerçant une « activité personnelle ou familiale ». Fini les images des « Branjelina » au supermarché ? Les médias qui publieraient ces clichés sont également condamnables. Egalement sur la sellette, tout paparazzi utilisant des méthodes qui mettraient en danger la vie d’autrui (notamment des courses-poursuites en voiture, comme celle qui causa début octobre un accident à Nicole Richie).
Soutenu par Jennifer Aniston, le gouverneur Arnold Schwarzenegger a joué un grand rôle dans la promulgation de cette loi, lui dont l’automobile fut encerclée, en 1998, par des photographes alors qu’il s’y trouvait avec sa femme pour chercher leur fils à l’école. On attendra de voir son application par la justice US avant de sonner la révolution dans la presse hollywoodienne – il y a fort à parier que les tabloïds dépenseront simplement plus d’argent pour voir Kirsten Stewart au Starbucks. M. D.


Laurent Joffrin Standard Blaise-Arnold
Laurent Joffrin : « Entre deux trapèzes sans filet »
  • 22 July 2014/
  • Posted By : Richard Gaitet/
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Nouvelle très bonne archive en ligne : Laurent Joffrin (re)nommé en juin à la tête de la rédaction de son journal, était interviewé dans Standard n°23.
Alors qu’un nouveau Libé fleurissait en mai 2009, Laurent Joffrin, 56 ans alors, directeur de la publication et de la rédaction, signait Média-paranoïa, court « plaidoyer » en faveur d’un journalisme trop souvent associé aux « puissants ». Il écrivait : « Les informations sont presque toujours fiables, mais une majorité du public les met en doute. » Vous y croyez ?
laurent-joffrin-2-standard-©-Blaise-Arnold

C’est un détail, mais : Laurent Joffrin passera la première moitié de cet entretien les deux pieds sur le bureau.

Média-paranoïa naît-il d’un agacement à l’égard des « procureurs du journalisme », de la « défiance » devenue « phénomène trop massif » ?
Laurent Joffrin : De l’incompréhension, plutôt. Dans certains débats, le public nous considère tous comme les marionnettes d’un pouvoir occulte, économique ou politique. Et si la presse commet beaucoup d’erreurs, ça, ce n’est pas vrai. Faut regarder média par média au lieu de juger à l’emporte-pièce. Même dans les milieux intellos, c’est implanté, rarement argumenté ou démonté. L’accueil du livre est plutôt bon, avec cette nuance : je serais trop optimiste. C’est une défense, probablement trop indulgente à l’égard du système médiatique.

C’est une commande ?
Non, on m’a demandé un truc sur l’économie de la presse, ça me faisait chier, j’ai proposé ça, écrit l’été dernier, en deux mois. Comme un long éditorial. Il y a des dépendances, des pressions, évidement, mais pas de manipulation parce qu’on est en démocratie. Et aussi cette idée paralysante qu’il faudrait sortir de l’économie de marché pour avoir une presse libre ; on a essayé, ça a donné des journaux asservis à l’Etat. Ça peut s’améliorer avec des idées simples, évoquées lors des états généraux de la presse en janvier : des chartes de production de l’information et la reconnaissance d’une communauté rédactionnelle.

Un contrat qui permettrait de savoir comment sont faits les journaux ?
Oui. Des principes de bon sens connus depuis un siècle : respect des sources, ne rien publier sans deux, trois vérifications, et si on met en cause quelqu’un, on l’appelle, et pas une demi-heure avant le bouclage. Si cette charte est violée, le lecteur peut le signifier publiquement. Cela permettra de hiérarchiser les journaux en fonction de leur crédibilité.

Ces règles sont-elles majoritairement respectées, en France ?
Ça dépend. Dans Le Monde, Le Figaro, Libération, à peu près ; et encore, ici, il faut se battre pour éviter les billets militants, les préjugés – un truc positif pour Sarkozy, on en fait une brève, ce n’est pas très bon. Ce métier implique de confronter ses idées à la réalité. Certains universitaires pensent que nos articles sont des cours, vérifiés vingt-deux fois. Faux, on travaille en trois, quatre heures, sinon le quotidien paraîtrait tous les trois jours. A fortiori pour la radio, la télé, Internet. A l’inverse l’AFP, fiable et reconnue, produit les traits essentiels d’un événement pour que chacun puisse s’en faire une idée indépendante – comme des grossistes en nouvelles.

Ces « billets militants » sont pourtant liés à l’histoire de Libé.
On peut faire des campagnes pour une cause importante. Mais dans le cours ordinaire du temps, il faut être crédible, honnête avec au minimum de candeur, en sachant que ce sera toujours imparfait.

« La tradition française, c’est le commentaire, non l’enquête. » Arriverons-nous à le séparer de l’information pure, à l’anglo-saxonne ?
C’est le combat de la profession, actuellement. Montrer qu’on a des règles indépendantes de production de l’information. C’est difficile : ma génération est d’accord, parce qu’ils ont été militants dans leur jeunesse et qu’ils en sont revenus, en se disant qu’il fallait raconter le monde avant de le transformer. Les journalistes des années 90-00, très marqués par les combats liés au grand mouvement social de 1995, sont plus radicaux. A Libération, cette génération, c’est très « gauche », politiquement correct et un peu chiant, je trouve. Ça implique une pédagogie constante, « non, cet article est trop biaisé, etc. »

Les journaux d’aujourd’hui seraient moins bons, moins documentés.
Ce n’est pas vrai du tout, ils sont bien meilleurs. Il suffit de reprendre les vieux numéros. La presse s’est continument améliorée sur trente ans ; moins maintenant, faute de moyens. Mais Le Monde est plus fiable et objectif qu’il y a vingt ans. Le Nouvel Observateur, c’était catastrophique : sur la contre-culture rock, on a cherché ce qu’ils avaient écrit sur Woodstock en 1969, huit lignes ! Les mecs étaient passés à côté.

Cette évocation d’un supposé « âge d’or » est assez fréquente vis-à-vis de Libé.
Il y a toujours la nostalgie des origines : les gens disent que Libération était un journal très engagé et qu’il est devenu mou. Quand on va chercher les numéros des années 70, c’est épouvantable : d’abord c’est moche, en noir et blanc, très peu d’illustrations, ce n’est pas très bien titré, mal écrit – enfin pas toujours, on sent que ça va évoluer et que certains écrivaient très bien. Un canard maoïste, ce n’est pas une garantie de sérieux. Lutte ouvrière et la contre-culture étaient mises en exergue, il y avait de la vie. Mais sur le plan de la qualité journalistique, je le répète, c’est épouvantable. Prenons l’affaire Bruay-en-Artois (Pas-de-Calais) : en avril 1972, on retrouve le corps d’une jeune fille d’ouvriers, nue et violée, derrière la maison d’un notaire accusé par le juge d’instruction. L’organisation maoïste fait campagne sur le « crime de la bourgeoise ». Très vite, les flics s’aperçoivent que le notaire est innocent, que la fille a été tuée par son copain, mineur, nommé Jean-Pierre. La thèse, tentante, de la lutte des classes était bidon – et pourtant Libération titre en énorme « Jean-Pierre est innocent » avec en tout petit « affirment ses avocats ». Ridicule ! On n’aurait pas même pas l’idée, aujourd’hui, de faire ça !

Pareil pour Le Monde ?
De la même manière, je vois mal comment Le Monde pourrait reproduire son erreur tragique d’avril 1975, quand Phnom Penh est prise par les Khmers rouges qui, en vingt-quatre heures, évacuent toute la ville y compris les malades dans les hôpitaux : violence extrême, exécutions sommaires, mise en place d’un système concentrationnaire et fou. Le Monde a présenté ça comme une « libération », analogue à celle de Paris, de la joie, des pleurs. Il a fallu un an ou deux pour que la vérité se fasse. Alors que leur journaliste était sur place, qu’il voyait ces gamins en noir, armés de mitraillettes… Ça n’arriverait plus : il y aurait toutes les télés, les radios, ou alors rien et cela créerait de la suspicion. Il y a maintenant tellement de journalistes qu’on finit toujours par connaître les faits, même si on se trompe sur les interprétations.

Le « niveau » augmente avec la technologie ?
On peut défendre l’idée, oui, que ça a progressé.

Pourtant vous écrivez : « Internet est présenté de manière fallacieuse comme le refuge de l’esprit critique et de la liberté de parole, alors que la plupart des informations importantes, des enquêtes approfondies, sortent toujours dans les médias classiques. » Vous n’apprenez rien sur la Toile ?
Si, j’apprends des trucs, ça dépend de quoi on parle : les sites des grands journaux, alimentés à 80 % par les agences, sont réalisés par les mêmes équipes. Le reste est fait uniquement à partir des dépêches – désormais accessibles à tous, nouveauté. Ce qui est écrit est juste – grosso modo – et rédigé selon les règles traditionnelles. Donc la presse sort les infos. Après, des francs-tireurs comme Bakchich révèlent de petits trucs. Le Net est plutôt source de documents bruts, de vidéos. C’est la mise à disposition qui est nouvelle, pas les modes de production. Et les blogueurs – comme nos chroniqueurs – sont de parti-pris, il faut constamment vérifier.

Vous dites que « Libération refuse les publi-reportages pour tel ou tel pays que Le Monde, lui, accepte. » Pourriez-vous préciser ?
Il y a des pays – le Maroc, ceux du Golfe – qui se font de la pub en achetant des pages, « Le Sultan explique que le développement de son pays est formidable. » C’est écrit au-dessus « publi-information » en petit. On fait aussi du publi-rédactionnel, mais pas sur les pays, encore moins concernant les régimes dictatoriaux. C’est un peu emmerdant, quand-même. Et si ça trouble le lecteur, s’il ne voit pas ça comme de la pub, c’est douteux, moralement.

Vous écrivez aussi : « Si rien ne change, l’avenir est tracé : les médias seront de moins en moins capables d’entretenir des rédactions nombreuses, expérimentés, talentueuses. » Inquiet ?
Un peu, oui. Notre modèle s’effrite, et il n’y en a pas d’autre. On ressemble à des trapézistes volants entre deux trapèzes – et sans filet.

Toute la presse ne peut pas s’écrouler d’ici trente ans, si ?
Non. Un quotidien, c’est un peu cher à l’année, mais c’est synthétique, professionnel. Dans le cas de la tuerie de mars dans un lycée allemand, la dépêche tombe sur le Net à 10h, on a la photo, le commentaire d’un blog et si on veut du recul, on trouve l’historique de vingt ans de massacres dans les écoles. Le lendemain, chez nous, tout le travail est fait, complété par des entretiens avec des experts, se lisant vite. Si on fait ça sur cinq ou six sujets tous les jours, on garde une utilité et un avantage commercial. L’autre supériorité des journaux, c’est le style, la qualité d’écriture, le récit raconté comme un roman, prenant. Un long reportage sur le Net, on ne le lit pas vraiment puisqu’on ne passe, en moyenne, qu’onze à douze minutes sur les sites d’infos. On a donc une chance. Mais peut-être que les gens préfèrent composer leur menu eux-mêmes.

laurent-joffrin-portrait-standard-©-Blaise-Arnold

Laurent Joffrin : « Ma fille, 24 ans, veut être journaliste en presse écrite. Je ne l’encourage pas, mais ne veux pas la décourager non plus. Je suis inquiet, ouais. »

Si vous aviez 25 ans, seriez-vous journaliste en presse écrite ?
[Il rit] Ma fille a 24 ans et veut être journaliste en presse écrite. Je ne l’encourage pas, mais je ne veux pas la décourager non plus. Je suis inquiet, ouais : les emplois dans la presse nationale, il n’y en a pas beaucoup. Même la télé et la radio n’ont pas des débouchés formidables.

Dans nos colonnes en 2008, Florence Aubenas remarquait que certains papiers de Libération (l’ouverture, les portraits) avaient diminué d’un tiers, voire de moitié. « L’avenir de la presse doit investir dans la longueur », dit-elle. Les textes longs sont-ils compatibles avec l’époque ?
Elle a tort et elle a raison : si on fait long, faut pas être chiant. Si vous avez le récit complet de la tuerie, on publie vingt feuillets* sans problème ; enfin, non, à Libé, on en ferait dix. Le format moyen est à deux et demi, trois. C’est comme un repas, s’il n’y a que des plats de résistance, on s’ennuie. On ne peut pas faire que du long, quoique La Croix a pris cette option.

Pourquoi ?
Le problème, c’est que le lecteur est double : il a un moi et un sur-moi, il veut des papiers de fond, et on s’aperçoit qu’il ne lit que les brèves people. Mais s’il n’y avait que ça, il serait mécontent. Il faut parler aux deux, à la vision idéale et à la pratique réelle. Les pages du milieu de Libé contiennent beaucoup de petits articles, ça nous a longtemps handicapés parce que ça ressemble vaguement aux gratuits. On a changé pour des ouvertures plus longues avec encadrés, mais l’image est restée. Notre début est assez fort, et après, l’œil n’est pas accroché, on tourne les pages et on pense qu’il n’y a rien, alors qu’il y a beaucoup.

Quels seront les enjeux de la nouvelle formule ?
On va jouer uniquement la plus-value, en considérant que les gens savent à peu près ce qui se passe. On leur vendra soit des choses qu’ils ne savent pas du tout, soit des choses qu’ils ne savent pas sur des sujets connus. Ça demande plus de travail, de clés, de la compréhension – avec la même équipe.

Vous mentionnez la fausse liste de détenteurs de compte à l’étranger dans l’affaire Clearstream. Avec le recul, quelle est votre opinion sur Denis Robert ? Il dit que vous le traitez « avec des pincettes ».
[Il soupire] C’est est un peu gonflé, on l’a défendu tout le temps, à Libé, à L’Obs, il n’est jamais content, lui. Il a balancé un listing trafiqué par d’autres, il n’y est pour rien. En revanche, il n’a pas démontré que Clearstream était la grande boîte noire du blanchiment de l’argent mondial. Il y a peut-être eu des opérations frauduleuses avec fonds délictueux, mais il n’a pas apporté de preuve décisive. Il est un peu dans la psychologie du complot, à travers un journalisme subjectif, moins crédible. Il faut des infos – et il en a, avec sa taupe – mais il en a fait trop. Et ses adversaires, qui se sont battus comme des chiens, ont quand même gagné une grande partie de leurs procès.

Savez-vous quel mot revient le plus souvent dans le livre ?
Non.

« Puissant(s), puissance(s) », vingt-neuf occurrences.
Comment vous savez ça, vous ?

Je l’ai remarqué par hasard. Il apparaît parfois trois fois par page.
« Puissant » ?

Pensez-vous que Libération soit un journal puissant ?
Oui, quand même : pas sur le plan économique – c’est le moins qu’on puisse dire – mais par son influence. Les puissants regardent le journal. Suite aux violences étudiantes en Grèce de décembre 2008, Fabius évoque un « risque de contagion » et parallèlement, il y a des affrontements étudiants à Brest, plus quelques échauffourées en Allemagne. Pas de quoi parler d’Europe embrasée, mais, bon, on publie un sujet. Quinze jours après, je dîne avec [Xavier] Darcos chez des gens – je ne le connais pas bien, hein – et il me raconte que la Une de Libé a déterminé Sarkozy à retirer le lendemain son projet de réforme des lycées, parmi d’autres indicateurs. Là, il y a une influence, involontaire. Et c’est un peu satisfaisant – mais ça le sera quand on aura augmenté nettement nos ventes [il sourit].

Où en sont-elles ?
On diffuse à 120 000 exemplaires, dont la moitié en kiosques, auxquels s’ajoutent les abonnés, les agences, notre présence dans les avions. Mais l’audience est plus importante : selon les sondages, chaque numéro serait lu par huit personnes. Ça me paraît beaucoup.

Quels médias consultez-vous ?
Quand je me lève, Europe 1 pour la Revue de presque géniale de Nicolas Canteloup, et Claude Askolovitch. Puis France Info par patriotisme, puisque j’y parle [trois fois par semaine à 8h40]. Je regarde ensuite les sites de Libé et celui de L’Obs, dont je suis l’un des créateurs. Puis je lis Libé et Le Figaro que je reçois chez moi. Quand j’arrive ici, je feuillette tous les autres et je regarde LCI. Il y a parfois de bons sujets dans Marianne, beaucoup dans Les Echos.

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Laurent Joffrin : « Le lecteur est double, moi et sur-moi : il veut des papiers de fond et ne lit que les brèves people. »

Comment avez-vous appris ce métier ?
J’ai voulu être journaliste à 7, 8 ans, en lisant Tintin. C’est trompeur : Tintin n’écrit jamais d’articles. J’ai fait Sciences Po avec l’intention de poursuivre via l’ENA puis, un jour, sur un bateau – je fais de la voile –, je me suis dit que si je devenais fonctionnaire, j’allais me faire chier. J’ai appris le métier au CFJ [diplômé en 1977]. Et puis j’étais militant [aux Jeunesses socialistes] : on apprend beaucoup en répondant à ses adversaires sur des notions apprises à toute vitesse et aussi précises que le budget de l’Etat. Après mon passage à l’AFP [1978-1980], je me suis aperçu je pouvais écrire des éditos assez vite, pas trop mal. Mon premier article réel, c’est un scoop pour Le Matin : Giscard avait lancé un emprunt à succès indexé sur l’or, dont le remboursement lui avait coûté 80 milliards de francs. Des potes dans la finance m’ont raconté cette histoire, je l’ai amené au Matin qui l’a mise en Une, pas mal. Mais j’ai vraiment appris lors de mon arrivée à Libération en 1981. Le journal était tout petit et progressait beaucoup. Il y avait une grande liberté, on allait au bout du monde.

Meilleur souvenir de reportage ?
La Pologne, au moment de l’état de siège [proclamé le 13 décembre 1981] quand tous les syndicalistes furent jetés en prison. J’ai couvert ça un mois, à Varsovie, seul pendant quinze jours. J’allais voir les militaires, c’était une révolution, on voyait l’Histoire se faire, bien. Mes dix jours à Sarajevo encerclée par les snipers serbes, moins. C’était un peu effrayant, on se faisait tirer dessus tout le temps.

Le pire ?
Je n’ai que de bons souvenirs en reportage. Mes plus mauvais, c’est d’avoir attaqué les gens injustement. Dans les pages économiques de Libé, au sujet de Pierre Bérégovoy alors ministre des Finances, j’avais écrit « le brave Bérégovoy » parce qu’il avait l’air un peu bonhomme et que tout le monde disait qu’il n’avait « qu’un » diplôme d’électricien. Il me téléphone le lendemain : « Mais pourquoi le « brave » ? Parce que je n’ai pas fait l’ENA, c’est ça ? » J’étais un peu gêné [grimace embarrassée]. En tant que rédacteur en chef, c’est quand on se plante ; au début de l’affaire Baudis, on l’a accusé, un désastre ; on a corrigé le tir, mais on a mis le temps. Une autre fois, [l’ancien ministre de l’Industrie] Gérard Longuet me fait venir dans son bureau très tôt et me dit, tout blanc : « On m’accuse de malversations mais les apparences sont trompeuses. » Je rentre dans une salle avec une table immense jonchée de documents. « Regardez ce que vous voulez, vous verrez que je suis innocent. » Il tremblait. Je suis parti, je ne suis pas flic.

Vous regrettez ?
On voyait la cruauté du métier : il ne s’en est jamais remis. C’est le plus dur, quand on assassine les gens. On a aussi poursuivi Strauss-Kahn avec un acharnement incroyable sur l’affaire de la MNEF [en 1999], mais il le méritait. Il a obtenu un non-lieu, la Justice nous a désavoués. J’aime pas ça. Je me mets à leur place, ils sont tout à coup salis et ne peuvent rien faire. On n’influence pas tellement l’opinion des gens mais sur les individus, on a un pouvoir destructeur. Quand on balance [en décembre dernier] les dépenses et la vie privée de Julien Dray, le mec est mort – enfin, mal. C’est ravageur.

Enfin, quelles sont vos règles ?
Elles sont dans le bouquin. En tant que directeur, j’en ai d’autres : il faut faire du journalisme, et que ça se vende. C’est chiant, le journaliste ne devrait pas s’en préoccuper, dans un monde idéal.

Une secrétaire de rédaction l’intercepte. La chronique hebdomadaire de Daniel Schneidermann le mentionne comme candidat potentiel à la direction de Radio France. Dans l’ascenseur, pestant contre cette rumeur « ridicule », Laurent Joffrin évoquera la possibilité d’un « leurre » : « le successeur serait déjà nommé, on laisse filtrer des noms pour semer le trouble et créer la surprise. » Paranoïa ? On verra.

* Un feuillet compte 1 500 caractères, espaces compris.

Laurent joffrin portrait standard Média paranoïa

Média-paranoïa (Seuil, 14.20 euros)


Loïc Prigent
Loïc Prigent : « La mode n’a pas besoin de la télévision »
  • 9 July 2014/
  • Posted By : Magali Aubert/
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Loïc Prigent s’est taillé un beau costume trois pièces : auteur, réalisateur – Signé Chanel ou Marc Jabobs & Louis Vuitton diffusés sur Arte, les bi-annuels Habillé(e)s pour l’été et Habillé(e)s pour l’hiver sur Canal + – et producteur : La Mode la mode la mode sur Paris Première. Tout ça grâce à Lalala production, boîte qu’il a lancée en 2000 avec Mademoiselle Agnès. En plus, il est très drôle sur Twitter.
Ces questions étaient posées en 2008 pour Standard 21. Rien a changé : en cette semaine de haute couture parisienne, toujours pas de mode à la télé.

Loïc Prigent

Vous êtes arrivé à la mode par le documentaire, est-ce le meilleur format pour en parler ?
Loïc Prigent : C’est en tout cas celui qui me convient parce qu’on y voit une réalité tangible. Faire une série de mode en mouvement, je ne suis pas sûr que la télévision s’y prête, les magazines sont là pour ça. En revanche, capter l’ambiance, ce qui se dit, les attitudes qui règnent, c’est quelque chose qu’on peut faire, et très librement parce que la pression annonceur est presque inexistante.

Vous pensez que la mode est suffisamment représentée à la télévision ?
Je ne vois pas « la mode à la télévision » comme une cause ou un combat à mener. La mode de luxe a besoin de papier glacé, d’images arrêtées et contrôlées surtout pas en mouvement.

Ce serait quoi l’émission idéale ?
Une présentatrice folle qui peut tuer pour le sarrouel parfait, un ton libre, de la musique, un montage rapide, des chiffres effarants, des bons ragots sur Anna Wintour. Je n’ai pas beaucoup d’imagination, je sais.

Une émission semestrielle ça suffit pour traîter de l’actu ?
Habillées pour l’hiver parle du prêt-à-porter de luxe, mais pas de Haute Couture. Oui, ça peut suffire pour raconter les histoires de la saison, les emballements, les mini scandales, les évolutions.

Loïc Prigent : « Même l’immense Marianne Faithfull à un défilé Galliano ne dit que des choses sans intérêt. »

Les places sont chères ?
Si la télé sait faire quelque chose, c’est assurer le renouvellement perpétuel des équipes.

Le téléspectateur est-il assez friant de mode ?
Les chaînes aiment à penser que le public veut qu’on lui parle de pouvoir d’achat et de ce qui fait la Une du Parisien. Le dernier défilé Calvin Klein par Francisco Costa n’entre dans aucune de ces catégories, je sais c’est un scandale.

Est-ce que dans ce domaine, la télé est devancée par le web ?
Le web, en mode comme dans tous les domaines, peut se permettre d’être plus pointu quand la télévision est condamnée à fédérer. En gros, la télé n’est pas un média d’anticipation mais de confirmation.

Vous trouvez qu’il y a une dérive people dans le traitement de l’info mode à la télé ?
Le problème est plutôt : quelles questions poser aux vedettes assises aux premier rang. Sans rire, la bonne question à une vedette, c’est impossible. « Etes vous contente d’être là ? Qu’aimez vous dans cette maison ? Avez vous réussir à lire les Bienveillantes jusqu’au bout ? ». En général, leurs réponses sont nulles à chier « Oui. J’adore. Non ». La plus grande actrice ou chanteuse n’a, en général, rien à dire à part « Je suis venu choper un sac à main en croco à la sortie » et ça elles ne le diront pas. Même l’immense Marianne Faithfull à un défilé Galliano ne dit que des choses sans intérêt.

Pourquoi ne produit-on pas en France une émission de real TV haute couture comme Project Runway ?
Il est évident que trouver en France des dingues créatifs et narcissiques débitant de très grandes phrases hystériques et dessinant des robes atroces et belles à la fois ne serait pas un problème. Projet Haute Couture est produit aux Etats-Unis sur le câble. Le câble français est encore loin d’avoir les mêmes ressources financières.

Que regardez-vous à la télévision ?
Christophe Beaugrand, Melle Agnès, Laurence Ferrari, Daphné Bürki, Rebecca Manzoni, Alexandra Golovanoff, Sébastien Folin.

Que pensez-vous de fashion TV ?
Peux-t-on en penser quelque chose ? Les comptes rendus de soirée sont très bien, on voudrait pouvoir entrer dans la soirée et parler à ces gens.

Loic Prigent interview The day Before
Signé Chanel en 2 volume Edition Prestige (Arte Vidéo)
Marc Jacobs & Louis Vuitton (Arte Vidéo)
The Day Before – Sonia Rykiel, Karl Lagerfeld (Coffret)
The Day Before vol. 2 


La team Retard ©Garland Gallaspy
Retard : un webzine fièrement déréglé
  • 27 June 2014/
  • Posted By : Standard/
  • 0 comments /
Retard Magazine, c’est un site web qui parle de Claude François, de pilule contraceptive, de twerk et du Salon de l’agriculture dans un style kitch et sincère, trash et touchant, comme celui du journal intime que l’on tenait au collège. Rencontre avec sa fondatrice et rédactrice en chef génialement retardée, Marine Normand.
Marine Normand Retard Magazine

Illustration Anna Wanda

Marine Normand, 27 ans, parle vite, un peu fort aussi, et se met des miettes de pain dans les cheveux à force de gesticuler. C’est que l’exercice est ardu : expliquer, le temps de sa pause déjeuner, le pourquoi du comment de Retard Magazine, ovni du web qu’elle a créé en 2011 avec ses trois copines, Anna, Ophélie et Elsa. « Ça faisait longtemps que je voulais écrire et monter une plateforme hybride » confie cette ex étudiante en Lettres Modernes, obligée de cotoyer « des gens qui se prennaient pour Jean-Paul Sartre », et qui avait peur de ne pas trouver de travail dans le journalisme. Une série de petits boulots plus tard, dont assistante de production pour le spectacle de Philippe Candeloro (qui fera peut-être l’objet d’un prochain article), elle est aujourd’hui responsable éditoriale de la plateforme You Need To Hear This aux Inrocks. Un parcours complètement décalé, à l’image de Retard, intitulé au départ Boobs Magazine, « ce qui aurait pu aider à remonter plus facilement dans Google ». Entrepris au départ comme un blog perso lu par « les copains et ma mère », le site est vite devenu un journal intime sponsorisé par Vice, alimenté par une trentaine de rédacteurs et d’illustrateurs. Initiateur des soirées Kara-Okay à l’Espace B, il en faudrait peu pour que Retard accède à une plus grande célébrité mais voilà, Marine se refuse à obéir aux règles (relous) du journalisme web. Explications d’une rédactrice en chef passionnée, ultra poilante et délibérément têtue, autour d’une omelette au fromage.

C’est drôle comme nom Retard Magazine.
Marie Normand : On l’a retenu parce que ça regroupe des problématiques féminines comme le retard des règles ou l’angoisse d’un rendez-vous qui ne se pointe pas. Il y a aussi le jeu de mots avec « retardé mental » et la référence à Jay Reatard [qui faisait du garage punk US] dont je suis fan. Et puis je ne supporte pas les deadlines.

Comment t’organises-tu alors ?
Je ne fixe aucun sujet, les contributeurs me proposent ce qu’ils veulent. Sur internet, on est soumis au buzz : si on n’en parle pas dans les trois heures, on est déjà old. Je ne veux pas que Retard colle à cette réalité. Si le papier est périmé mais le point de vue intéressant, je laisse le temps qu’il faut.

Marine Normand : « Je n’ai pas envie d’écrire vingt-sept fois “Kanye West” et “seins” pour remonter dans Google. »

Quels sont vos sujets de prédilection ?
Les contenus culturels. Mais les articles du type « journal intime » fonctionnent bien mieux que les reportings de festival. Des papiers comme La fille Comptoir des cotonniers ou Ma plus belle
histoire d’amour platonique ont eu beaucoup de succès. On s’est donné pour objectif d’en publier au moins deux fois par semaine.

C’est rentable ?
On aurait voulu, mais on en a fait le deuil ! Donc, on ne peut pas publier plus, et les illustrateurs ont besoin de temps pour terminer leurs dessins. Résultat, on percute beaucoup moins que si on faisait cinq news par jour.

Retard magazine Team

La team Retard ©Garland Gallaspy

Marine Normand : « Refuser d’acheter Elle, Be ou Grazia, c’est devenu du militantisme. »

Le SEO et Google Analytics, tu kiffes ?
Je m’en contre-branle. Je sais exactement comment m’en servir, mais je n’ai pas envie d’écrire vingt-sept fois le mot « Kayne West » et « seins » pour que mon article remonte dans le search. Pas moyen de publier des papiers racoleurs comme sur Melty.fr.

Que reproches-tu au journalisme web ?
Google détruit tout avec ses algorithmes qui ne remontent pas les contenus de qualité. Les réseaux sociaux pouvaient être une alternative mais Facebook est en train de tout bousiller : plus tu as de « fans », plus il faut payer pour que ton contenu soit visible. Avec le premier, il fallait être malin, avec le second, il faut juste être riche.

A quels magazines ressemble Retard ?
J’aurais voulu monter un titre comme 20 ans [1961-2006] qui faisait des articles incroyables du type « Je suis moche, que faire ? ». Pour moi, c’est le meilleur féminin du monde. On s’est également inspiré du site Rookiemag.com de l’Américaine Tavi Gevinson. Elle a commencé par un blog de mode en 2008 à 13 ans puis a fondé un site pour ado auquel on s’identifie beaucoup. De très bonnes plumes y contribuent comme Lena Dunham [créatrice de la série Girls], Bethany Cosentino du groupe Best Coast, l’humoriste Sarah Silverman… Tant le graphisme que l’idée de faire collaborer son entourage nous plaisait. Et j’adore Xojane.com de Jane Pratt, une éditrice qui dirigeait Sassy magazine dans les années 90, un magazine féminin et féministe.

Féminin et féministe, c’est comme ça que tu définis ton site ?
C’est un site de meufs, on parle de nos règles et de nos petits cœurs brisés, tant pis si les gens trouvent ça trop girly. Le vrai féminisme, c’est faire ce qu’on veut, de porter le voile jusqu’à s’exhiber sur Instagram. Les revendicateurs, ça me gonfle. Etre soi-même, ça marche vachement mieux que d’aller manifester à poil avec une couronne de fleurs.

Sur quoi n’écriras-tu jamais ?
Le maquillage ou la mode, je déteste ces problématiques aliénantes. D’ailleurs, refuser d’acheter Elle, Be ou Grazia, c’est devenu du militantisme.

Serais-tu prête à tout lâcher pour te consacrer à Retard ?
Je serais curieuse de savoir si ça marcherait. Mais je ne veux pas nous imposer de contraintes économiques. Faire de sa passion son travail, c’est le meilleur moyen de tout détruire.

Par Elsa Puangsudrac

 

Retard magazine logo
Retard Magazine, mode d’emploi
« Retard n’est pas un blog parce que le mot est trop moche. Ce n’est pas un magazine, parce que pour faire des photocopies tu vas galérer. Retard, c’est comme la retranscription des conversations que tu tenais avec tes copines du collège. C’est les petits mots que tu faisais en cours de maths pour faire remarquer à Johanna que Cécile n’a pas de seins. C’est ton agenda de 5ème avec les photos découpées dans Star Club et Rock Mag. C’est ta pile de cassettes enregistrées clandestinement de la radio à 23h pendant que tes parents mataient la télé au rez-de-chaussée. C’est ton classeur avec toutes les interviews de Leonardo di Caprio. Sauf que cette fois-ci, t’as plus 14 ans, et t’as arrêté d’avoir des goûts de merde. En l’honneur de la meuf (et peut-être le mec) un peu cool que t’as réussi à devenir en suant sang et eau, chaque semaine, l’une de nous, des trois coins du monde (Paris / Eindhoven / Austin) te pondra une spéciale dédicace pour continuer à ouvrir tes perspectives et te motiver à kiffer la vibe. Comme le faisait avant ta copine Nathalie en te gravant le CD de Disiz La Peste. Tu peux nous appeler Nathalie si tu veux. » Marine Normand.

Prochaines events :
Le 20 juillet, soirée Carte Blanche à Retard à LaPlage de Glazart
Du 6 au 10 août, stand au festival Baleapop


Mad men box
Mad Men : Hard Headed Women
  • 28 May 2014/
  • Posted By : Standard/
  • 0 comments /
« Filmée à hauteur de secrétaires », la série Mad Men de Matthew Weiner a achevé dimanche la première partie de sa septième et dernière saison. Retour sur le parcours de deux sténos révolutionnaires : Peggy Olsen et Joan Harris (voir Standard n°29). Deux idées du féminisme en talons aiguilles.

Mad Men saison 7

Dans les couloirs de l’agence publicitaire Sterling Cooper, des dizaines de secrétaires tapent frénétiquement des mémos sur leurs machines à écrire, clopes au bec et lunettes sur le nez. « Une armée, selon Lucas Armati, journaliste à Télérama. Indistinctes les unes des autres, voire interchangeables. » Parmi ces Amazones du tertiaire certifiées 1963, se distinguent Peggy Olsen, sténo du séduisant Don Draper, propulsée copywriter, et Joan Harris, plantureuse beauté rousse en charge de cette « gynocratie » d’assistantes – selon la formule du tatillon John Hooker, seul secrétaire homme de l’entreprise, qui attend en vain son propre bureau et sa sténo perso en se plaignant : « les gens m’appellent par mon prénom comme toutes les secrétaires, mais je ne suis pas dactylo, je suis le bras droit de M. Pryce, notre directeur financier ! ».

Joan Harris à Peggy Olsen : « Tout ce que je vois, c’est une jolie fille qui se cache derrière trop de déjeuners. »

Jusqu’au 6 décembre, l’élégante saga de Matthew Weiner déploie sur Canal+ sa saison 3, son esthétique sublimement rétro, ses bouteilles de bourbon, ses héros désabusés et son machisme assumé. Aux Etats-Unis, la quatrième saison, supposée comme celle de l’émancipation professionnelle de Draper, est en cours de diffusion. Fin août, le show remportait l’Emmy tout à fait justifié de la meilleure série dramatique. Et tandis que GQ sacrait Jon Hamm « homme de l’année », Les Cahiers du cinéma s’apercevaient que Mad Men était « filmée à hauteur de secrétaires ». Etudions les forces en présence.

Parler le « débile »

Selon Miss Harris, son job se situe entre « la serveuse et la mère ». La chorégraphie matinale est bien huilée : saluer son supérieur, le débarrasser de son chapeau et de son pardessus puis lui proposer un café. Souvent naïve et frivole, surnommée « girl » ou « honey », elle semble une proie de choix pour ses collègues libidineux. « Paradoxalement, poursuit Lucas Armati, elles incarnent la maman mais aussi ce fantasme que le patron peut ramener à l’hôtel. »

Surprise, c’est de la bouche des femmes que sort le sexisme le plus pervers de l’agence : Mona Sterling se gonfle de mépris quand elle apprend que son boss de mari Roger la quitte « pour une secrétaire ! » ; ce qui ne vaut pas cette vacherie en forme de petit conseil lancée par l’expérimentée Joan à Peggy la novice, saison 1 : « Ne sois pas impressionnée par la technologie, l’homme qui l’a inventée a fait en sorte que les femmes comprennent son fonctionnement. » ; et, lorsque saison 2, Peggy est promue rédactrice c’est, d’après elle, parce qu’elle ne parle pas le « débile ». Sympa pour les copines.

Mad Men

Les grand-mères de Samantha

Les sixties, ce sont les wonder years, les riches années de la surconsommation à l’américaine. C’est aussi l’apparition du « mouvement féministe moderne » initiés par les oubliées Casey Hayden ou Mary King. Au bout de la décennie pointent la liberté sexuelle et la révolution hippie. Noirs, femmes, jeunes et beatniks donnent des ridules à la génération Sterling. Mais Joan et Peggy, elles, parviennent, dans ce contexte stimulant, à émerger. Les deux premières saisons les opposent, elles illustrent deux faces d’un même féminisme : affirmation sexuelle pour Joannie, élévation sociale pour Peg’. Pour Lucas Armati, « Peggy envie Joan comme séductrice, Joan lorgne sur l’ascension fulgurante de sa recrue. » Joan à Peggy : « Tout ce que je vois, c’est une jolie fille qui se cache derrière trop de déjeuners. » Peggy à Joan : « Les hommes voient que tu cherches un mari et que tu es amusante. Mais pas forcément dans cet ordre. » Combat de boue en fin de saison ? Non, car au fil des épisodes, elles partagent de moins en moins d’intrigues. En deux ans, chacune parvient à son but et s’en félicite : Peggy obtient son propre bureau et Joan est fiancée. Deux grands-mères potentielles pour, quarante ans plus tard, Samantha de Sex & The City.

Peggy Olsen, intuitive et culottée 

Pour son interprète Elisabeth Moss (en conférence de presse), Peggy serait même « la quintessence féministe sans le réaliser ». Car, bien que victime du machisme ambiant, « elle est considérée en tant qu’individu et plus comme une femme parmi les autres », ajoute Elisabeth. Et l’ambition paie : intuitive et culottée, Peggy se distingue par ses idées jusqu’à s’imposer sur les dossiers chauds, comme celui de l’hôtelier Conrad Hilton, l’arrière-grand-père de Paris. Saison 3, elle dispose même de sa propre assistante. Cette promotion s’accompagne d’une subtile évolution de sa garde-robe et de sa confiance en elle, la confortant jusqu’à la pousser à aller demander une augmentation à son patron au nom de la parité hommes-femmes, voire lui apprendre son job. Une impertinence qui atteint des sommets saison 4, jusqu’à ce qu’une dispute délicieusement violente à coups de quatre vérités renforce leur complicité. Draper lui avouera dans un inhabituel excès de confidence : « Je te considère comme un prolongement de moi-même. »

Joan Harris, bombe et romantique

A l’inverse, Joan, « inspiratrice de Marilyn » aux dires des mâles de l’agence, use de son charme pour plier la terre à ses pieds – toute adversaire qui ne disposerait pas d’atouts similaires s’aventure dans un combat voué à l’échec. Sa relation secrète avec Roger Sterling lui donne accès au pouvoir – qu’elle exerce aussi sur son régiment en jupons. Face à John Hooker, dans un ensemble rouge vif épousant ses formes prononcées orné de boutons dorés, la lingerie accentuant la silhouette et cheveux montés en chignon strict, elle affirme cyniquement « malgré votre titre, vous êtes un secrétaire » et s’en va balançant ses hanches de droite à gauche. Un client japonais s’étonnera de sa faculté à ne pas se renverser en avant, emportée par le poids de sa poitrine. Le journaliste de Télérama se demande plutôt si malgré les apparences « elle incarne vraiment l’émancipation féminine. Son rêve est de devenir Betty Draper. » Soit une épouse cloîtrée en banlieue chic. Mais la saison 3, lourde en désillusions, la montre mariée mais « engagée dans une impasse, une vie de desperate housewife. Elle s’est trompée dans son désir marital. » Fausse route pour celle qui connaît mieux que quiconque le fonctionnement du bureau, conduisant souvent les réunions des têtes pensantes de la Sterling Cooper. Ses devoirs de secrétaire en chef la rappelleront saison 4… Joan illustre ainsi le début de la fin de l’image idyllique de la femme au foyer.

Mad Men

La révolution féministe revisitée dans Mad Men passe aussi par… le jardinage. Lors d’une soirée arrosée, des employés éméchés baladent une puissante tondeuse à gazon dans les allées de l’agence, jusqu’à ce qu’une secrétaire grimpe sur l’engin et fauche accidentellement le pied d’un playboy au sommet de l’échiquier hiérarchique, éclaboussant de son sang le personnel. De quoi inspirer à Miss Harris cette morale tranchante, solennelle conclusion : « Un jour vous êtes le roi du monde et une minute plus tard, une secrétaire vous estropie avec une tondeuse à gazon. »

Mad Men

Proposée aux Etats-Unis sur AMC, Mad Men est diffusée en France sur Canal+ et Série Club

 Par Nadia Ahmane & Richard Gaitet

Griffé Bryant

Mad Men

En quatre saisons, Katherine Jane Bryant, créatrice des costumes de Mad Men, a déclenché un tourbillon sixties dans la mode, époque « flatteuse pour les corps de femmes » selon elle. Nommée pour l’Emmy Award 2010, elle remporte en 2005 la convoitée statuette pour Deadwood, le western dramatique de HBO. Considérée comme la nouvelle Pat Fields (styliste de Sex & The City), Katherine Jane Bryant influence des figures de la haute-couture : le créateur new-yorkais Michael Kors est le premier à s’inspirer de Mad Men pour sa collection automne 2008 ; Tom Ford et Prada adoptent aussi le « trading up » au summum de l’élégance. En 2009, quand Banana Republic lance sa collection Sterling Cooper, Brooks Brothers, qui habille les présidents américains et crée les costumes dessinés par Bryant pour le show, fait plus fort en mettant en vente 250 tuxedos so Draper. Et comment s’appelle la dernière collection de Rochas ? Mad Men. En juin dernier, le prestigieux Los Angeles County Museum of Art rendait hommage à Katherine. Au milieu de l’exposition, les poupées Barbie de Betty, Joan, Roger et Don. Son stylisme de télé envahit les musées et les cours de récré.

N. A.

 

 


Perez hilton
Perez Hilton : « Fasciné par la star culture »
  • 9 May 2014/
  • Posted By : Standard/
  • 0 comments /
En 2010, Perez Hilton, le persifleur diabolique du tout-Hollywood clame partout qu’il est sur le point de quitter la blogosphère pour le petit écran. Quatre ans plus tard, après quelques apparitions dans la télé-réalité Bad Girls Club ou la série Glee, l’homme qui a crée “le site web le plus haï d’Hollywood”, n’a toujours pas quitté internet, sa zone de confort. Retour sur un personnage accro au gossip (Standard n°27).
©Scriptographer d'après une photographie d'Austin Young

©Scriptographer d’après une photographie d’Austin Young

« Je ne comprenais pas le cas Perez Hilton : comment les célébrités pouvaient lui lécher autant le cul alors que son job consistait à se moquer d’elles en dessinant des verges en érection sur leurs photos ? »* Depuis quelques mois, il y a pourtant des nouveautés sur perezhilton.com : la « Perez TV » rediffuse des clips « coups de cœurs » et des moments télés « d’anthologie », comme cette performance live de Jelena Karleusa, une Lady GaGa serbe hallucinante. Il a aussi lancé sa propre série animée, Assisted Living ou les aventures de Maxi Lider, une personal assistant de célébrités, avec des dessins rétros des moins flatteurs pour les stars concernées où dès le premier épisode, Pete Doherty et Amy Winehouse s’embrouillent pour des histoires de coke et de crack. Perez aime la télé ? Et pas qu’un peu ! Apparu dans de multiples talkshows pour sa promo personnelle, il aura aussi été sollicité dans des épisodes de Paris Hilton’s New BFF où la jet-setteuse recherche une nouvelle meilleure amie, dans Bad Girls Club (sept tarées condamnées à vivre ensemble pendant quatre mois) ou au birthday des gosses de riches de Mon Incroyable anniversaire sur MTV. Son actualité 2010, c’est son émission de téléréalité, Boys Band Search, pour dégoter LE nouveau piège à filles, sexy et bodybuildé. Et surtout cette rumeur : Perez serait en lice pour remplacer Simon Cowell, le juge-roi d’American Idol.

Cinglé du feutre blanc

Rappel des méfaits. Si les Jonas Brothers s’ornent souvent de petits cœurs en dessous de la ceinture, le Gossip Gansta n’y va pas de main morte avec d’autres : Vicki Gunvalson, quadra blonde décolorée qui participe à l’émission de téléréalité Real Housewives of Orange County, a vu l’une de ses photos agrémentée de « vieille pute » en grosses lettres blanches et d’un petit trait singeant du sperme dégoulinant de sa bouche – pure poésie. Le cinglé du feutre a aussi lancé CoCo Perez – where celebrity meets fashion (clin d’œil à Coco Chanel) délivrant l’actu des stars et de la mode, sur tapis rouge ou au café. Il maquille son site comme une plateforme publicitaire et deale avec les labels pour lancer de nouveaux artistes musicaux (Mika et Sliimy lui disent merci). Et dans l’arène des cancans, cela fait six ans que ça dure.

Los Angeles, 2004. Mario Armando Lavandeira Jr., 26 ans et Cubain d’origine, tente une carrière d’acteur (avortée – on le voit vingt-deux secondes dans la saison 3 des Sopranos) et travaille pour une association et des publications gays. Le journaliste américain Japhy Grant, proche du futur Perez Hilton au point de lui avoir « donné l’idée » du blog, se souvient : « Mario a commencé par poster des news sur Friendster. Quand je me connectais, il y avait vingt messages de lui commentant le cul de Robbie Williams. Je lui ai conseillé de se créer un blog. Il m’a demandé ce que c’était. Je lui ai montré. » C’est l’heure de son premier site, infernal : « PageSixSixSix.com ». Six mois plus tard la machine s’emballe : le nombre de consultations explose et le magazine The Insider le surnomme « Hollywood’s most hated website », slogan toujours en place, en guise de bienvenue sur ce qui est devenu depuis perezhilton.com.

Japhy Grant : « Son reality-show n’existe que dans sa tête, comme sa possible présence dans American Idol. »

Une blague trop longue ?
Quatre millions de visites par jour, des papiers dans la presse du monde entier. La « Reine des médias » se donne pour mission de démonter la langue de bois hollywoodienne. Quand Tiger Woods confesse ses infidélités et sa dépendance au sexe, Perez dessine un gigantesque pénis sur un cliché du golfeur embrassant un trophée, avec des « connard », « crétin » ou « abruti », et opère un glissement sémantique subtil en passant de « maîtresses » à « putes » pour désigner les concubines du sportif, se gargarisant du moindre détail cochon, de la plus petite sextape. Pourquoi, pourquoi tant de haine ? Toujours selon Japhy Grant, « dans son esprit, si tu choisis d’être une célébrité, c’est le jeu ».
Retour de baston : dès 2007, ses chiffres de pages consultées sont contestés. Jennifer Aniston et Colin Farrell lui collent des procès et les agences de paparazzis lui reprochent de ne pas payer les droits des photos publiées – dilemme via lequel il faillit perdre son hôte web. Et sa spécialité, le coming-out forcé de célébrités, pèse comme une blague trop longue. Hilton y voit « une mission de service public ». Lance Bass (‘N Sync à la retraite) ou Neil Patrick Harris (How I Met Your Mother) en auront fait les frais, contraints de révéler leur homosexualité suite à sa pression. Ce qui vaut au blogueur la condamnation de nombreuses associations gays et lesbiennes, dont GLAAD, avec laquelle il était engagé au début de sa carrière. Son porte-parole Damone Romine déclare : « Nous ne soutenons pas la spéculation médiatique sur l’orientation sexuelle d’une personnalité. ». Malgré les critiques, Perez s’impose devant les caméras.

 « Il est partout »
Perez rêve de télé ? Attendons de voir Boy Band Search, dont les présélections se sont achevées en mars sur le Net. Aboudé par Simon Cowell, Hilton obtiendra-t-il le siège tant convoité d’American Idol, poursuivant ainsi la dynastie des langues de pute ? Réponse en mai, à la fin de la huitième saison de l’impitoyable télé-crochet. Des posts à répétition sur son site, criant son amour pour l’émission, font campagne pour lui. Quand on a quatre millions de visites par jour, ça peut aider. Son premier essai cathodique n’avait rien de concluant : en 2007, VH1, chaîne câblée de la famille MTV, crée What Perez Sez About, adaptation de son site sur petit écran. Mêmes tenues flashy, ton presque aussi vulgaire, Perez, armé d’une caméra, court après les stars dans les soirées hollywoodiennes. Il n’y aura que cinq numéros. « Ça s’est planté, rappelle Japhy Grant, qui n’hésite pas à montrer ses doutes quant au destin télévisuel de son ami d’antan. Son reality-show n’existe que dans sa tête, comme sa possible présence dans American Idol. Il fait en sorte de présenter son actu comme un fait accompli dans les médias, espérant que son rêve devienne réalité. »
En d’autres termes, la véritable arme de Perez Hilton ne serait qu’un talent particulier dans l’art de la persuasion. Quand on y réfléchit, rien d’officiel côté American Idol et Boy Band Search n’a toujours pas de chaîne de diffusion. « Il est partout parce qu’il réussit à convaincre les journalistes que son battage médiatique, créé pourtant de toutes pièces, est réel », commente l’ami d’antan. Aïe, on se serait donc fait avoir ? Et pour Japhy, Perez et la télé, ça peut encore aller loin ? Exclamation de notre interlocuteur : « Tu sais quoi ? Perez aura un jour sa propre chaîne ! Et on verra une émission qui s’appellera : Oh ! Mes Couilles ! ».

* Elise Costa, Comment je n’ai pas rencontré Britney Spears (Editions Rue Fromentin)

Par Nadia Ahmane

« Les gossips, c’est du McDo »

Perez Hilton

On a voulu rencontrer Perez Hilton face to face à Los Angeles. Non. On a proposé une interview par Skype, un entretien « sympa » comme il l’a fait avec Katy Perry ? Non. L’attaché de presse nous impose l’email. On a envoyé douze questions, il n’aura répondu qu’à cinq. Tout ça aura pris trois mois. Pour un blogueur qui dégaine dix posts par jour et qui s’attache à démonter l’hypocrisie hollywoodienne…

Ta définition du gossip ? Est-ce une drogue ? Une religion ?
Perez Hilton : Ni l’une ni l’autre. C’est une forme de divertissement et j’essaie de rester loin du potin. Ce que j’aime, c’est de discuter des nouvelles liées aux célébrités. Mais j’avoue : j’adore cancaner.

Quelle est ta relation avec tes lecteurs ?
Sans eux je ne suis rien, ils font partie intégrante de cette expérience. J’aime voir ça comme du partage. Je partage avec eux et ils partagent avec moi, ils me donnent des infos, je leur en donne, ils laissent leurs commentaires et m’envoient des tuyaux. C’est comme un voyage, ce qui rend la chose spéciale.

Ton but semble d’éradiquer l’hypocrisie hollywoodienne, mais on te reproche d’être devenue une star. Qu’en penses-tu ?
Je trouve ça très drôle. Je n’avais jamais prévu d’en devenir une. Et le fait d’être un chouia connu en parlant des célébrités est pour moi hilarant. Et stupéfiant.

Pourquoi les gens aiment-ils gossiper ?
Pour la même raison qu’ils vont au McDo : c’est rapide et facile.

Et toi ?
Parce que je suis fasciné par la star culture et les célébrités.

Par N. A.


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