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HANNE ORSTAVIK Place ouverte à Bordeaux
Hanne Orstavik : roman elliptique
  • 17 June 2015/
  • Posted By : Standard/
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HANNE ORSTAVIK Place ouverte à Bordeaux

Donc, il n’y a pas que des fjords, en Norvège. Il y a aussi, surtout, Hanne Orstavik, recrue de prix littéraires dans son pays et gré à gré traduite en France (trois livres parus). Et c’est une (re)découverte. La place nous est comptée, on le sait. Chaque mot ici employé suppose des prolongements : on compte sur vous. Porte ouverte à Bordeaux est un roman riche, suggestif, elliptique, sensuel, behaviorist, clinique, cru, intime, tendre, précis, poétique, visuel. Non, nous ne choisirons pas le qualificatif – qui le réduirait. On les multiplie, et vous trouverez les échos qui s’imposent (« ou pas » – d’accord). On énonce tous ceux que ce livre pluriel – et qui oblige – nous évoque. C’est un texte parfois cérébral où le corps est omniprésent. Corps de la rencontre, corps amoureux, corps malade, corps désirant, ou non… C’est un texte qui s’articule autour de deux thèmes fondamentaux qu’Hanne Orstavik – fidèle au mot de Flaubert (« Pour qu’une chose devienne intéressante, il suffit de la regarder assez longtemps ») – explore intensément, voire jusqu’à l’épuisement. Il s’agit de la rencontre, et de sa modalité possible : amoureuse. Et de cette chose assez mal nommée en général, le plus souvent ignorée (par lâcheté quotidienne, par peur, par confort) qui est le biais mortifère d’une rencontre amoureuse lorsque l’une ou l’autre des parties, ou les deux, échouent à communiquer leur part d’ombre, de trouble, leur part « obscure », banalement supposée « inavouable ». La narratrice, divorcée, mère d’une adolescente, quarante ans, est artiste plasticienne. Un article d’un critique d’art, Johannes, sur son œuvre, la mène sur la route d’icelui. Et la rencontre commence, illustration possible de la définition qu’en donnait Louise de Vilmorin : « un rendez-vous que le hasard fixe pour nous, à notre insu ». Et le malentendu. On ne résumera pas. C’est une réflexion sur le rôle de l’art dans la vie d’une artiste. C’est une histoire d’amour. Qu’Orstavik restitue à sa façon, organique : un flux de conscience, des fils narratifs qui se juxtaposent plus qu’ils ne se suivent de façon linéaire. Il s’agit de restituer un chaos intime, plutôt que de le mettre à plat ou de le réduire par une tentative d’explication psychologique, factice, inopérante. Orstavik a lu Duras et Woolf et Anaïs Nin. Mais elle a vu, aussi, les photos de Claude Cahun, Cindy Sherman ou les vidéos de Pipilotti Rist. Elle a vu et aimé Eyes Wide Shut, de Kubrick – qu’elle cite. Tout cela étaie son regard, la rend plus apte à embrasser la polysémie de la rencontre. Et l’histoire ici narrée serait banale si ce livre n’était une illustration précise, éloquente, irréfragable, du pouvoir de la forme – et de la transfiguration de la banalité par le style, et par un regard. Orstavik – c’était déjà présent dans son précédent livre, Amour – écrit les choses, la vie, le couple, l’amour, le sexe, de sorte qu’il semble impossible de les voir ou concevoir autrement. Cela s’appelle une signature, cela atteste une personnalité, cela définit une voix, cela dénonce une artiste. Et quelle…

Par François Kasbi

HANNE ORSTAVIK Place ouverte à Bordeaux
Hanne Orstavik
Place ouverte à Bordeaux
Traduit  du norvégien par Céline Romand-Monnier
Ed. Noir sur Blanc, coll. Notabilia, 248 pages, 19 euros


Rachel Vanier ecrivain roman
Rachel Vanier : l’inconditionnel d’un père psycho-accidenté
  • 25 May 2015/
  • Posted By : Standard/
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C’est toujours agréable, lorsqu’on ouvre un livre, de découvrir quelqu’un. C’est aussi assez rare : c’est même une façon possible de distinguer, dans la cacophonie, et si on veut bien tendre l’oreille, une voix. Et un tempérament. Rachel Vanier, dont Hôtel international est le premier roman, a ça : un regard drôle et décalé, à partir de prémisses… disons, graves : le suicide d’un père. Honnêtement, cela n’a jamais beaucoup fait rire. Si l’on ajoute une histoire d’amour qui prend l’eau, on comprend la décision qui s’impose à Madeleine, la narratrice : partir, fuir (« la meilleure solution en amour » comme disait le grand psychologue du XIXe siècle… Napoléon). Ce sera le Cambodge. Ce seront quelques mois. On croisera Sam, une copine, et son copain, Fred, Louie, une aventure (« au croisement de Jude Law et d’Adrian Body, en version ‘’artiste torturé’’ »), Arthur, qui prépare la Fashion Week (que Madeleine va épauler dans la conception d’une collection de vêtements et du défilé qui s’ensuivra), quelques échappées évoqueront Ulysse, le grand amour de Paris. Et quelques évocations filées seront, nécessairement, dédiées à ce père, profondément mélancolique, et suicidaire de toujours. Très souvent, l’amour d’Ulysse et la mort du père seront évoquées successivement : il s’agit, à chaque fois, de mort. Et à chaque fois, la distance de Madeleine fait mouche, qui tente de désamorcer – politesse – la gravité du propos, son incongruité, par la légèreté très apparente du ton. Personne n’est dupe – mais cela dote le roman d’une élégance signalée. Ajoutez les saillies girly, les préoccupations très crues d’une jeune femme qui n’oublie pas que le sexe, parfois, change les idées, le sens des formules et autres raccourcis (« Les Danoises, c’est plus qu’une nationalité, c’est un concept » ou « Qu’on se le dise, cela n’a rien à voir avec de la misanthropie. Je n’ai absolument rien contre les autres êtres humains, je considère simplement que les touristes japonais ne sont pas des êtres humains » qui ponctue une visite aux temples d’Angkor) – et vous avez une tranche de… vie, un « roman » primesautier, touchant, spirituel, recru de traits qui font mouche, et sourire – la mélancolie en bandoulière. Codicille : ce livre a déjà une histoire. Un mois après sa publication, le père de Rachel Vanier s’est réellement suicidé. Celle-ci le laisse affleurer lorsque Madeleine évoque le suicide de son père : le suicide est le terme d’un processus dés-astreux. On pense au mot d’Emmanuel Berl dans Rachel ( !) et autres grâces (Grasset, 1965) : « Il y a beaucoup de suicides qu’on pourrait dire conditionnels : la décision est irrévocable, la date, elle, reste incertaine. On ne se tue pas, mais on se comporte de façon à rendre à peu près inévitable l’accident. On ignore seulement quand et où il se produira. » L’accident n’a pas été évité. Reste ce beau livre en forme d’exorcisme, allègre en dépit des circonstances, tonique, sensible – et juste. On en sort un peu éprouvé, mais on a fait une rencontre. Elle s’appelle Rachel Vanier, elle est née à Budapest, elle a 27 ans : elle est écrivain.

Par François Kasbi

Rachel Vanier
Hôtel International
Ed. Intervalles, 256 pages, 17 euros


Clarice Lispector ecrivain auteur
Clarice Lispector : une femme climat
  • 18 May 2015/
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Clarice Lispector (Ukraine, 1920 – Brésil, 1977) est un climat. Elle est de cette cohorte d’écrivains, indissociables pour leurs lecteurs, femmes inassignables, intenses, ardentes, qui se nomment – citons-les, c’est un cantique, une écharpe, une traîne ou… un carnet de bal : Unica Zurn, Ingeborg Bachmann, Lou Andreas-Salomé, Katherine Mansfield, Cristina Campo, Alejandra Pizarnik, Catherine Pozzi, Sylvia Plath, Emily Dickinson, Flannery O’Connor, Virginia Woolf et deux ou trois autres (Tsvetaïeva, Akhmatova…). Pas plus. Elles se reconnaissent par la ferveur qu’elles suscitent, par les lecteurs qui les élisent ou qu’elles choisissent (indémêlable). Avec ou sans Dieu, la morsure mystique est tangible chez la plupart. Dieu n’est pas ce qui importe, mais Il donne une indication assez exacte de l’altitude (et de la région) où ces femmes respirent (vie et œuvre). La plupart sont cérébrales, douées d’une sensualité inquiète. Sainteté, poésie et littérature déclinent trois modalités de leur présence au monde. L’attente, l’espérance, l’amour, l’angoisse, la solitude définissent, en partie, ce climat. Doux et réfrigérant parfois, exaltant le plus souvent.

Singularité de Lispector : la plus européenne des grands noms de la littérature brésilienne (Machado de Assis, Erico Verissimo, Mario de Andrade, J. Guimaraes Rosa). Pour cause : juive, elle fuit avec sa famille, en 1926, les pogroms en Ukraine. Ses Lettres à ses sœurs (deux soeurs, qu’elle vénère), écrites lorsqu’elle était par monts et par vaux (Belém, Naples, Berne, Paris, Torquay, Washington…) avec son diplomate de mari, disent la qualité de sa présence au monde, son intranquillité aussi. Moraliste sensible, tendre, souvent en retrait ou « à côté », Lispector pourrait avoir inventé la saudade : à défaut, elle l’incarne, entre vague à l’âme, mélancolie et – marqueur de sa naissance européenne – intraduisible sehnsucht. Dans La Découverte du monde, chroniques publiées dans un grand quotidien brésilien, on la trouve aux aguets, qui multiplie les notations incongrues ou banales, dans le sillage, parfois, d’un Tchekhov. La banalité chez les grands écrivains est éloquente : c’est le regard, non la chose vue, qui chez eux importe. C’est aussi à cela qu’on les distingue. Chronique ou lettre, tout ce qu’écrit Lispector est creuset, laboratoire pour l’œuvre : rencontres, conversation avec un chauffeur de taxi ou lecture des Chemins de la mer de Mauriac, considérations prosaïques ou échappées métaphysiques. La littérature est « plus importante que l’amour » (sic) : c’est la mesure de ce qu’elle lui demande, dans une urgence brûlante et un engagement vital. Son premier livre, Près du cœur sauvage (1943), méditation (d’une femme bientôt mariée, Lispector) sur l’impossibilité du mariage, est un chef d’œuvre. Qui date la naissance d’une légende.

Par François Kasbi

Clarice Lispector
Mes chéries – Lettres à ses sœurs (1940-1957)
Préface de Nadia Battella Gotlib
Traduction du portugais (Brésil) par Claude Poncioni et Didier Lamaison –
Ed. des femmes-Antoinette Fouque, 382pages, 18 Euros

La Découverte du monde (1967-1973) – Chroniques
Traduction par Jacques et Teresa Thiériot
Ed. des femmes-Antoinette Fouque, 622 pages


Chesterton biographie auteur
Chesterton : une vie d’écrivain courte mais bonne
  • 12 May 2015/
  • Posted By : Standard/
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Chesterton déconcerte. Plus de cent livres publiés, une vie assez courte (1874-1936) et tous les genres concernés : articles de journaux, romans (Un nommé Jeudi, Le Napoléon de Notting Hill), théâtre, poésie, philosophie, critique littéraire, critique d’art, économie, controverses religieuses (Hérétiques), voire littéraires avec ses adversaires ou complices (H.G. Wells et G.B. Shaw en particulier), roman policier (Enquêtes du père Brown), essais d’inspiration catholique (L’Homme éternel). Pour le comprendre – osons l’hypothèse tautologique – il faut, d’abord, l’aimer : « Quand on lit Chesterton, on se sent submergé par une extraordinaire impression de bonheur. Sa prose est le contraire d’académique : elle est joyeuse, physique » écrit Alberto Manguel. Il a raison : le secret, pour lire Chesterton et accéder à la profusion et à la diversité de son œuvre, c’est de le fréquenter jusqu’à en devenir un (presque) familier, s’imprégner de son tour, de sa manière, deviner le sourire derrière la facétie et comprendre que Chesterton est un état d’esprit – une fantaisie étayée par une pensée très cohérente (clé de l’œuvre) et très claire qui fait l’ensemble du corpus subsumé par une vista dont son catholicisme serait la note de tête, de coeur et de fond. Etincelant, pragmatique, aux antipodes de l’aristocratisme anglais qui ne l’accueillera pas, plutôt libéral avec une continuelle préoccupation de la justice sociale, de l’honnêteté et de la commune decency qui consonnent avec sa foi chrétienne, apôtre lui-même du paradoxe fécond, Chesterton est le contraire du « rouleau convertisseur » (Gide, à propos de Claudel). Les essais et chroniques qu’il a disséminés dans la presse, leur diversité, leur suggestivité, l’esprit d’enfance qui les caractérise, le font cousin, certes très anglais et catholique, de Vialatte : c’est encore Manguel qui ose la comparaison – et on entérine en le citant, tant la comparaison nous semble non pas aventurée, mais judicieuse. Le cercle de ses lecteurs n’a cessé de s’entretenir voire de s’étendre : Russel, Shaw, Kafka, Hemingway, Larbaud, Gide, J. Green, Paulhan, Klossowski – jusqu’aujourd’hui Michéa ou Finkielkraut. Borges est sans doute celui qui se l’est le plus précisément, le plus profondément, le plus justement approprié : « Il aurait pu être Kafka ou Poe mais, courageusement, il opta pour le bonheur, du moins feignit-il de l’avoir trouvé. De la foi anglicane, il passa à la foi catholique, fondée, selon lui, sur le bon sens. Il avança que la singularité de cette foi s’ajuste à celle de l’univers comme la forme étrange d’une clé s’ajuste exactement à la forme étrange de la serrure ». On réédite L’Homme à la clé d’or, son autobiographie – qui renseigne autant sur l’homme que sur l’époque (éd. Les Belles Lettres) – et François Rivière se tire avec les honneurs de la première biographie en langue française de Chesterton : cursif, inspiré et scrupuleux, son livre atteste sa longue fréquentation du colossal bonhomme.

Par François Kasbi

François Rivière
Le Divin Chesterton – Biographie
Ed. Rivages, 224 pages, 21 euros


François Hollande par David Garchey
François Hollande par Alex D. Jestaire
  • 1 April 2015/
  • Posted By : Standard/
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Le nouveau logo de l’Elysée ressemble au blason de Goldorak ? Ça nous rappelle que dès 2012, dans Standard 35, l’écrivain Alex D. Jestaire avait vu en François Hollande un envoyeur de « fulguro-taxes ». Bonne relecture !
Francois hollande portrait officiel David Garchey

© David Garchey

Par le pouvoir du crâne ancestral

Par Alex D. Jestaire

Vous savez pas tout. On vous dit pas tout. Tiens, l’élection de Hollande – le jour de la passation de pouvoir avec Sarkozy –, on se souvient de la poignée de main sur le perron de l’Elysée, « brève et sans chaleur » – enfin on se souvient surtout du narvalo dans la rue de devant qui a eu le temps de gueuler « casse-toi pov’con » au mégaphone avant de se faire piler par les condés – c’était sur YouTube le soir et à la une de Libé le lendemain. Mais ce à quoi on pense moins, c’est qu’avant la poignée de main, Hollande a reçu les codes nucléaires de l’autre – déjà tu pourrais te sentir soulagé, mais dis-toi que ce mec aux yeux qui tombent là, si t’es au courant pour Hiroshima, ben ça y est, c’est devenu une sorte de dieu, vraiment –, il a un pouvoir sur toi, sur tout le monde, celui de tout faire péter – et toi t’y peux rien, comme pour la météo. Tu vois Zeus ? C’est kif-kif.

Mais tu sais pas seulement le dixième. Quand Hollande a mis le collier de grand maître de la Légion d’honneur, ce truc énorme qui lui descendait jusqu’aux genoux, ça avait juste l’air folklorique, mais si tu t’y connais en sigiles et en héraldique, tu pleures ta mère du nombre de symboles hyper puissants cumulés dans les siècles que ce type portait sur les épaules – représente-toi Musclor recevant le pouvoir du crâne ancestral –, les couronnements étaient religieux, là c’était un patch upgrade pour le socialisme version 5.0, adapté au xxie siècle.

Le passé se consume sous l’Arc de Triomphe quand François ravive la flamme, pompe à lyrisme énergétique retransmis aux lucarnes des hospices. Un grand buffet bio des Restos du Cœur est ouvert à tous pour quatre jours sur la longueur des Tuileries. Après, si tu crois les images, tu te dis que Hollande est resté danser la java et le disco jusqu’à pas d’heure aux Tuileries avec le peuple. Mais bien sûr ce n’était pas lui mais un homoncule, ou même une doublure. Car une fois investi du pouvoir, le vrai François Hollande a grimpé dans une sorte de Batmobile qui l’a mené jusqu’à l’autre Arche du rézo, celle de la Défense.

Là il a vraiment pris les commandes de la République, dans un habitacle au centre secret de l’Arche, vêtu d’un costume de circuits et de lumière. Dans un plan parallèle où ont lieu les combats, sa puissance présidentielle s’est déployée sur l’esplanade noire et la cour anxieuse des sires transnationaux. Ses fulguro-taxes se sont mises à pulser, sa hache d’exception culturelle a glissé hors de son fourreau. Un éclair a brillé dans son œil avec un bruitage de lames et l’Arche tout entière s’est jetée au combat dans un cri, le sien : « La fête est terminée, Stratéguerres ! »

***
Alex D. Jestaire a publié en 2007 une errance dégorgeant substances et napalm, Tourville (Au Diable Vauvert), dont personne ici ne s’est totalement remis, suivi trois ans plus tard d’un trop bref polar, Elysée Noire 666 (La Tengo). Bonne nouvelle, il déclare avoir « remis le pied à l’étrier de l’écriture ».


Britney Spears portrait PNTS elise costa
Still Toxic : Britney Spears
  • 20 August 2014/
  • Posted By : Richard Gaitet/
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Revisite de notre analyse de la culture people de Standard 27, spécial Gossips, publié en avril 2010.

Episode 3 : après le paparazzi Pascal Rostain, le rédacteur en chef adjoint de Voici capturé en pleine rue, les dérives de Britney vues par une écrivain.

Satanique, hypersexuée, mère indigne, junkie chauve : Britney Spears nourrit quantité de rumeurs timbrées. Tri sélectif en compagnie d’Elise Costa, 27 ans, auteur d’un chouette premier roman road-trip sur les traces de la lonely crazy pop star.

Britney Spears

© PNTS

En janvier, Britney Spears a publié sur son site 75 gossips la concernant – enfance dans une caravane à manger des écureuils, fiançailles pharaoniques avec un chorégraphe bollywoodien – frappés du sceau « bullshit ». Comment analysez-vous ce geste ?
Elise Costa : Pendant des années, ses managers n’avaient plus de prise sur ce qu’elle faisait ou racontait ; par exemple, en sortant de désintoxication, elle donna une interview exclusive à X17 Online dans les toilettes d’un restaurant pour raconter que son entourage était composé de salauds incompétents. Je pense que l’idée vient d’eux, pour narguer la presse à scandales. Lister des ragots les plus stupides, c’est dire aux journaux people : « vous n’avez plus le contrôle ».

« La Saint-Valentin toute seule au McDo. », « Ses deux fils à l’hôpital.»… Comment expliquer une telle avidité de la part du public ?
En toute logique, nous aurions dû faire une overdose. Mais nous avons peut-être développé une certaine dépendance à lire ses frasques, surtout depuis 2007, 08 où il ne se passait pas un jour sans un ragot plus juteux que la veille [voir extraits ci-après]. Britney mène une vie relativement normale maintenant. Que faire quand l’offre people est inférieure à la demande ? Vous inventez, et traitez tout sur le mode dramatique. Ses deux fils à l’hôpital, je suis persuadée qu’ils passaient un contrôle de santé annuel. Et puis, est-ce grave de passer la Saint-Valentin seule ? Les gens aiment Britney dans son rôle de victime. Cette avidité s’explique à 50 % par la multiplication des moyens de communication, à 40 % par un désir du lecteur de voir Britney pathétique, et 10 % à cause de people comme Lindsay Lohan qui, tous les quatre matins, raconte leur vie dans les journaux.

Si vous étiez coincées dans un ascenseur, vous lui demanderiez vous lui demanderiez vraiment « qu’est-ce qui est le plus important, la musique ou la danse ? » ? 
Je ferais comme si je ne la reconnaissais pas, histoire de lui foutre la paix. Mais si j’avais un semi-automatique sur la tempe et que je ne devais lui poser qu’une question, je lui demanderais quelle musique elle écoutait pendant sa période sombre.

Pourriez-vous illustrer votre théorie sur la « thermodynamique people » ?
Okay, prenons Misha Barton. A cet instant T, sa température corporelle est de 37,5 °C en raison de quelques bouffées de chaleur, et les forces extérieures, appelées aussi paparazzis, sont au nombre de 11. Sa masse volumique de peau d’orange visible est de 10 cm² / cuisse. C’est beaucoup trop. Nous savons alors qu’elle est habillée d’un short une taille trop petite et qu’elle ne va pas tarder à faire un doigt d’honneur. J’ai oublié de préciser que la thermodynamique people n’est pas une science exacte.

A force de mettre en scène sa notoriété, de brouiller les frontières entre sa vie et son œuvre, Britney est-elle un chef-d’œuvre en elle-même ?
C’est un peu fort. En revanche on peut dire qu’elle est un bien culturel. Et comme l’a démontré Alfred Marshall, un économiste du XIXe siècle, « plus on consomme de biens culturels, plus on a envie d’en consommer ». C’est l’effet que Britney a sur moi.

Pour imaginer son avenir, sommes-nous obligés de penser à la carrière de Madonna ?
Comme Madonna avec Mirwaïs, elle s’est approchée d’un Français fana d’électro. Elle collaborait en ce moment avec David Guetta. Ça me fait un peu peur ! Je suis plus impatiente de découvrir son duo supposé avec Lady GaGa. Je ne la vois pas foirer musicalement, elle est trop bien entourée pour ça. Tout ce que j’espère, c’est qu’elle ne passera pas sous le bistouri.

Que pensez-vous de cette citation de Kate Moss a propos des ragots à son sujet : « Plus ils me rendent visibles, plus je deviens invisible. » ?
C’est vrai, en un sens. Un individu surmédiatisé, c’est avant tout individu dématérialisé : il perd son visage « humain », et vous n’imaginez plus ce qu’il peut ressentir en lisant toutes ces rumeurs crasses sur son compte. Et si vous n’imaginez plus ça, si vous occultez ses pensées, alors vous ne connaissez jamais son vrai visage.

Elise Costa

Elise Costa : « Britney ? En toute logique, nous aurions dû faire une overdose. »

Dans Kate Moss Machine, Christian Salmon explique sa pérennité par sa capacité à « investir » des rôles attendus : la femme-enfant, la femme-fatale, la star décadente, la femme d’affaires, la femme épanouie. Pareil pour Brit-Brit ?
Oui. Si les artistes n’ont qu’une facette, ils finissent par lasser. Britney (je milite pour la disparition du surnom « Brit-Brit », même s’il est affectueux, il me fait trop penser à un caniche de mémé à la permanente violette) est passée de la lolita à l’hypersexuelle, en passant par le statut de mère de famille. Je ne suis pas sûre pour Kate Moss, mais pour Britney il n’y a jamais eu préméditation.

Quels sont vos potins préférés à son sujet ?
Ceux potentiellement crédibles. Quand elle était enfermée au centre de désintoxication de Promises, certains torches-culs en manque avaient raconté que Britney avait foutu les foies aux infirmiers en s’écrivant 666 sur la tête et criait « JE SUIS L’ANTECHRIST » dans les couloirs. C’est le plus marquant. Il y a une obsession à l’assimiler à Satan : des vidéos YouTube essayent de démontrer comment, à travers ses clips et sa musique, elle voue un culte satanique, et quand son compte Twitter a été piraté, les messages postés disaient « Je me donne à Lucifer tous les jours, gloire à Satan ! ».

S’il vous est « impossible de vous définir comme une fan de Britney », ne le seriez-vous pas du rock critic Chuck Klosterman, pour l’utilisation névrotique de notes de bas de pages et les clins d’œil pince-sans-rire à la pop culture ?
J’ai une dette envers beaucoup de personnes et Chuck Klosterman est le premier sur la liste. A 21 ans, ça a été une révélation : j’utilisais déjà les références à la pop culture, les pourcentages fictifs et les détails à foison, et soudain je découvrais qu’on pouvait en faire un métier. Les notes de bas de page, ça vient de lui évidemment, c’est un bon moyen de tenir ses digressions par les rennes. Mais je ne suis pas intégralement fan de lui : quand il s’essaie à la fiction – comme pour Downtown Owl –, ce n’est pas raté, mais c’est vraiment moins percutant.

Vous travaillez sur un bouquin sur Christina Aguilera ?
Je ne pense pas. Elle a fait de bons morceaux pourtant (dont certains produits par Linda Perry !), des clips vraiment bien fichus et pour une raison inexpliquée, j’aime les blondes platines. Je travaille à faire accepter mes articles non destinés aux Bridget Jones, aux sujets non geeks et qui ne portent sur aucun mouvement tendance. J’en bave. Après ça j’aimerais bien m’essayer au scénario.

Comment je n’ai pas rencontré Britney Spears
Editions Rue Fromentin, 240 p., 18 euros

 

Verbatim

Extraits Elise Costa Britney Spears

Hit Me Britney One More Time
Fuites exclusives du roman d’Elise Costa. Le top des potins qui flambent.
« Mes yeux picolaient de fatigue, car j’avais passé les heures précédentes à engloutir l’autobiographie de Lynne Spears, la mère de Britney. […] En quelques lignes : Britney picole à 13 ans sur le plateau du Mickey Mouse Club ; Britney perd sa petite fleur à l’âge de 14 ans ; Britney embarque à bord de son jet-privé avec un sac de cocaïne et de marijuana à 18 ans ; et, alors qu’elle vient de fêter son 26e anniversaire, Britney est internée en psychiatrie à l’hôpital Cedars-Sinai, au 8 700, Beverly Boulevard de Los Angeles. Mais nom de Dieu, qui est Britney Spears ? »

« Une rumeur, en 2004, courait sur le fait que Britney n’avait aucune idée de qui était Yoko Ono. La rumeur a aussi son pendant « Rolling Stones » : après avoir repris la chanson I Can’t Get No (Satisfaction), Britney se serait retrouvée un jour dans un ascenseur avec Mick Jagger et ne l’aurait pas reconnu. »

« Aux balbutiements de l’année 2004, vêtue d’une casquette de base-ball et d’un jean troué aux genoux, Britney se maria vers cinq heures du matin à Jason Alexander, un ami d’enfance de Kentwood, à la Little White Wedding Chapel, dans le quartier du Las Vegas Boulevard. […] Selon Jason Alexander, dans une interview exclusive accordée au Sunday Times, Britney venait de passer trois jours à prendre des capsules de MDMA le soir pour faire la fête, des rails de coke le jour pour rester éveillée, et de la Vicodin pour se reposer, au point de finir par s’évanouir. Après avoir passé 72 heures à faire du sexe sauvage et à discuter nus tels Adam et Eve allongés sur le grand lit d’un des hôtels du strip, Britney lui aurait demandé de l’épouser dans l’euphorie toxique du moment. Du Harlequin pour junkies, en somme. »

« Ses fans […] espéraient un comeback fulgurant et merveilleux. Au lieu de ça, Britney s’est mise à faire la fête avec Paris Hilton, à picoler et à oublier son régime post-accouchement. Scandale et damnation. L’Amérique veut de la transformation, du dépassement de soi, une jolie fin et des tubes sur lesquels danser sous sa douche. Britney est une machine à entertainment : elle doit divertir la foule. C’est son job. »

« Je me suis progressivement désolidarisée de son attitude white trash. Lorsqu’elle a délibérément montré sa vulve, trois fois dans la même semaine, à la foire aux requins qui n’attendaient que ça pour se racheter une garde-robe chez Von Dutch, j’ai un peu pleuré intérieurement en même temps que sa mère. »

« Le Petit Journal consacrait quotidiennement une minute (voire plus) à l’événement Britney Spears du jour. […] Imaginez alors qu’elle : sortait avec une sorte de boléro-chemise transparente nouée sous la poitrine, et ce sans soutien-gorge ; roulait sans but pendant des heures dans les rues de Los Angeles ; portait régulièrement une perruque rose pétard, même pour rentrer dans un 7-eleven s’acheter un Twix ; changeait de tenues plusieurs fois par jour, en priorité dans les toilettes des stations-services où elle rentrait pieds nus ; prenait sporadiquement un accent anglais. »

« Il y a quelques temps, une rumeur folle circulait sur Internet : Tarantino aurait choisi Britney Spears pour jouer dans son prochain remake, Faster Pussycat, Kill ! Kill ! Certes elle a été démentie – me causant grande peine – mais elle n’était pas irrationnelle […] parce que Britney est un personnage tarantinesque. Elle est Alabama Whitman dans True Romance, qui tombe amoureuse en une nuit. Elle est Mia Wallace dans Pulp Fiction, qui veut absolument danser et remporter le trophée. Elle est Jackie Brown, qui rêve d’indépendance. Elle est Uma Thurman dans Kill Bill, qui voulait juste avoir une vie normale, être mariée et avoir des enfants. Elle est Zoé dans Boulevard de la Mort, qui aimerait rouler vite à bord de son bolide sur les sentiers perdus. Britney Spears est culte. On voudrait en faire une fille discrète, élégante et sophistiquée en accord avec cette espèce idéal féminin stupide ancré dans l‘inconscient collectif. On lui en voudrait moins si elle avait les aisselles poilues et les lunettes mal ajustées, mais voilà, elle a l’allure ratée d’une Barbie WASP qui aurait grandie dans le château d’Hugh Hefner. »

« Lire la presse people est une distraction qui me plaît, tout comme marcher dans les bouses de vaches étaient une activité qui me plaisait quand j’étais môme. C’était chaud, poisseux, sans fondement et incongru quand on était en robe, mais surtout, c’était marrant. »

Copyright Editions Rue Fromentin


Bayon
Bayon : “Cru”
  • 20 June 2014/
  • Posted By : Richard Gaitet/
  • 0 comments /
Dans l’enfer minutieux de sa Mezzanine à huis-clos, Bayon, 58 ans, sangle des histoires d’une perversité délectable au travers d’un « roman de formation amoureuse » interdit aux moins de 15 ans (voir Standard n°24).
Bayon

©Christophe Meireis

« A cette heure même où ma vie sexagénaire de commis honorable bascule, avant d’entamer sa descente sénile… » Contrairement à ce que laisse supposer de lui ses écrits, l’homme est charmant. Nous le retrouvons au 99 rue Germain-Pilon, théâtre d’ombres du livre. La conversation se poursuit aux Abbesses. 

Comment naît cet assemblage de textes libertins liés à votre ex-appartement de Pigalle ?
Bayon : J’ai habité là de 1979 à 1986, de 28 ans à 35 ans. Certains des textes ont été écrits à l’époque, d’autres en 2006-07, d’autres publiés dans des revues, comme les trois entièrement fictionnels [une nouvelle nécrophile, entre deux scènes d’amour et de meurtre avec des handicapés mentaux]. Ceux-là font peur. Ça marche encore, une gêne terrible domine. Même les érudits sont éprouvés. Pourtant c’est le mythe de La Barbe bleue : qu’y-a-t-il derrière la porte ? Le lecteur est piégé dès le deuxième chapitre, il peut reculer – ou rentrer dans la chambre.

Les notes de fin désamorcent l’outrage : vous faites le tri entre autofiction et fiction.
Ces trois textes ont été pris au pied de la lettre. A priori c’est honteux d’écrire un livre, il ne faut pas, jamais – épargnez-nous vos épanchements. Qu’est-ce qui l’autorise : que ça n’ait jamais été raconté, ou que ce soit si difficile pour l’auteur ? Quand j’écris sur les fractures du crâne [La Route des Gardes, 1998], le jeu en vaut la chandelle. Concernant Mezzanine, même en étant très tempéré, c’est un coup de massue. Pourtant ce sont des enfantillages par rapport à la monstruosité de Sade, sa poésie de l’immonde (on a l’impression qu’il en rajoute, qu’il remplit des draps de foutre).

Ecrire le sexe cru, c’est l’intention ?
Je voulais depuis longtemps d’un volume à haute teneur sexuelle. Les choses se sont précisées quand j’ai enfermé le projet dans la mezzanine – une architecture verrouillée, à huis clos. Ce lit en hauteur, le studio, c’est un décor, comme une maison de passe. Je voulais parler crument de sexe, sans ombre, avec prose, animalité, brutalité, donc de guerre des sexes. Dans la sexualité, on n’est pas dans la délicatesse. Je ne voulais pas d’une liste de victoires, « j’ai séduit telle fille », aucun intérêt. C’est plutôt des échecs, du gaspillage, des impasses. Comme dans les rêves : les situations sont abracadabrantes, mais on ne consomme jamais, le plaisir est retenu. L’autant que l’apaisement arrive, à la fin, dans la seule scène charnelle, très douce.

Bayon : « Les textes vulgaires qu’on trouve au Monoprix me procurent de l’excitation, et surtout une satisfaction littéraire. »

Pourquoi creuser, roman après roman, l’autobiographie ?
Les bons dessinateurs dessinent d’après nature : un cheval, il faut le voir. J’ai eu des expériences traumatiques assez fortes, l’Afrique noire coloniale, le deuil, la trépanation. Je ne trouvais pas d’intérêt à inventer ; ce serait lâche de ne pas écrire ça. Les trois textes « durs » de Mezzanine montrent que la fiction peut être « dangereuse ». Au départ, je voulais attaquer brut, ouvrir avec celui qui m’effraie moi-même alors que les autres m’amusent : La petite morte amoureuse, sur la profanation de sépulture. Les gens auraient été épouvantés. Pourtant c’est de la mythologie, Orphée aux Enfers, ramener le corps de l’aimée. Je ne m’en plains pas, mais les gens ne lisent plus. Un livre est de l’autre côté du réel, c’est un théâtre d’ombres, la caverne de Platon. Les gens trouvent Mezzanine scabreux mais c’est ce dont vous avez envie, au fond. J’ai raté mon coup : les gens le referment et se cassent.

Etait-ce joyeux et douloureux à réaliser ?
Ce n’est jamais joyeux même si, là, il y a du jeu dans la construction. La tension est grisante, mais la sortie fait peur. Chaque livre, je le paye très cher. Pour celui-ci, je tombe dans mes escaliers jusqu’au palier du dessous, ma tête percute le mur d’en face, je pleure. Pour La Route des Gardes, lié à un accident de moto, je me retrouve deux mois après dans le coma, chute de vélo dans les Pyrénées, crâne fracturé. Pour Les Pays immobiles [2005], je suis foudroyé par le zona, maladie de la chaîne nerveuse, tsunami neurologique, six mois de démangeaisons, de convulsions à dégueuler, douleurs au dos, au ventre. Haut Fonctionnaire [1993] se solde par une dépression nerveuse – la mort sociale, clinique, sexuelle, on ne dort plus, on ne vit plus – liée à la mort de mon père, à son cadavre. Peut-être qu’en écrivant, on déchaîne les choses. On est présomptueux, surtout comme j’écris ; on convoque les esprits, vaudou, comme si on envoyait des roquettes et que tout explosait. Les mots sont terribles. Qu’y faire ?

N’êtes-vous pas tenté d’arrêter ?
J’espère que je transmets quelque chose, en usant de ma capacité à faire jaillir de l’imaginaire des histoires – à magnétiser les gens ? Pour moi, la quintessence de Mezzanine, plus que les outrages, c‘est le chapitre Pastorale où il se passe rien : une femme mariée dort chez moi, je ne la connais pas, et je lui interdis l’accès au plaisir en lui lisant des horreurs sur un taré qui se taillade, qu’elle a choisit d’entendre. Personne ne raconte des choses sensuelles et qui empêchent l’érotisme. L’écriture est une exaltation glacée, la glaciation des choses incompatibles, une compression et une absence de libération. Un état de transe, et pour en sortir on revient au réel, étranger à sa propre vie.

Selon la formule de Gainsbourg, croyez-vous que la littérature érotique soit « sans issue » ?
Toujours. L’amour physique aussi, il n’y a pas de plaisir à en attendre, sinon de la cérébralité exquise. C’est pour ça que je considère Pastorale si réussi : les sensations passent par des mots à la fois assez et trop recherchés, qui ont du mal à passer, d’un registre de langue asphyxiant, qui complique l’approche. Le libertinage, c’est aussi ça : des dispositifs amoureux complexes, un fétichisme de cérémonial.

Bayon : « Peut-être qu’en écrivant, on déchaîne les choses. On est présomptueux, surtout comme j’écris ; on convoque les esprits, vaudou. »

Ces phrases longues et ce niveau de langue élevé, on vous le reproche souvent, non ?
Mon écriture est très stricte, contraignante, pleine d’un luxe de surcharge d’un autre siècle. Par moments je me dis : « Pourquoi je n’écris pas plus à plat, moins enflammé ? » Sur Mezzanine, Jean-Pierre Jeunet, pourtant très pudique de très consensuel, m’a dit qu’il a passé deux nuits blanches à le lire dans un état d’excitation parce que ma phrase tortueuse donnait l’accès à un plaisir compliqué – qu’elle retarde. Ca ne fait pas de moi un auteur facile mais là, il y a résonnance. Des gens aiment.

Qui écrit le mieux sur le sexe ?
Sade : un fou dépravé qui passe sa vie en prison à rédiger des saloperies avec une fureur de foutre et de blasphème. Certaines de ses œuvres m’ont été des combles de jouissances, comme celle où un libertin cynique, nietzschéen, se pend parce que la pendaison lui déclenche une érection infernale qui lui permet de violer la fille pudique et vierge qui tient la corde ; elle peut à tout instant arrêter, regarder, se laisser violer, ou le sauver. Il y aussi ce document curieux, formidable, presque de l’ethnologie : Ma vie secrète – confessions sexuelle d’un anonyme russe, relevé, drôle et cru, sur des milliers de pages, à propos d’un type vieillissant et ses lubies. Les textes vulgaires qu’on trouve au Monoprix m’ont également procuré de l’excitation, et surtout une satisfaction littéraire : au milieu il y a des viols, du machisme, des obsessions d’inceste ou des constructions remarquables – de vraies visions, perdues au fond d’un supermarché. J’ai des souvenirs de scènes très fortes dans S. A. S.,  un infirme qui viole une espionne… Des éclats surgissent aussi chez OSS 117 ou James Bond.

Et Casanova ?
Je connais mal, comme Don Juan. Les deux considèrent que toutes les femmes méritent d’être célébrées, les collectionnent et ne peuvent rester en repos tant qu’ils ont une étincelle de vie. Ce sont des saints, pas des cyniques ou des maniaques.

Plusieurs chapitres de Mezzanine parlent affectueusement de fesses…
Effectivement. C’est le versant homosexuel, une fixation, un ébahissement assez répandu. Chez Sade, ses personnages rentrent en  fureur devant ce cul qui les insulte : le sexe est fait pour la procréation, l’anus, c’est le parfum de l’interdit. Dans mes entretiens avec Gainsbourg regroupés sous le titre Mort ou Vices [1992], il y a fixation annale : Serge disait que l’anus, c’était comme voyager en « pullman », selon le nom des banquettes en cuir très confortables en avion. Le luxe. On frôle le scabreux, on est dans l’excrément, la maladie, la voie privilégiée du Sida, l’androgynie, la bougrerie. Il y a pourtant une dimension esthétique, une plénitude, une perfection infantile de la beauté des fesses (féminines, pour moi, mais cette beauté peut concerner le masculin). Chez les femmes, quelque chose s’évase, s’arrondit. L’anus est de l’ordre du trou noir, du vide qui doit rester secret, vierge à jamais ; ça ne peux pas procréer, donc ça reste libre – un territoire imprenable.

Bayon signe une nouvelle inédite, Nu moite au mât, dans le supplément littéraire du magazine.

 

 Le livre-fantôme
Confidences de l’auteur sur son prochain livre, La Rivière circulaire. Esprit es-tu là ?

 « Il s’agit de dix-huit mois de correspondance avec un mort : un grand héritier, playboy, aventurier, attaché au monde de la musique, de la radio, de la télé, qui a dirigé le Quotidien du médecin – je ne vous dirai pas qui. Je l’ai retrouvé par hasard, vingt ans après notre première rencontre. Il sortait de sept semaines de coma suite à une ablation des trois lobes du poumon –le cancer. Nous étions proches, sans être amis. Il m’a proposé un drôle de contrat qui m’a d’abord effrayé : être son « accompagnateur ». Je le voyais une fois par semaine, au déjeuner, au dîner, et nous nous écrivions. Deux ans après son décès, j’ai récupéré ses mails où il me parlait de sa vie, de ses impressions sur la mort, pour les donner à sa femme. Je ne pensais pas une seconde en faire un projet littéraire. »

« La Rivière circulaire, c’est seulement mes réponses. J’ai tout enlevé de lui. Je disserte, je réfléchis, des bribes. De l’improvisation hybride. C’est un texte perdu, qui en prolonge un autre, Lettre morte : en déménageant, j’ai retrouvé deux-cent cinquante lettres jamais postées, écrites pour rien. Mon éditeur avait aimé l’idée, mais j’y ai renoncé. Quand je lui ai rendu à la place La Rivière circulaire, il a dit : « C’est impubliable, illisible. » C’est une écriture en suspension, sans objet, strictement consolatrice, sans pour autant de niaiseries, je ne lui dis pas : «  Ça va s’arranger. » Il ne se plaint, d’ailleurs, jamais.»

« Je lui dois le titre. Lors d’une crise terrible à Hong-Kong, il a rencontré une sorte de Lacan indien. Des consultations, est née cette formule : la « rivière circulaire », le mouvement immobile et parfait. Après Mezzanine, hermétique, je trouve que c’est ouvert, doux. »

Mezzanine
Grasset


Tristan garcia box
Tristan Garcia
  • 1 April 2014/
  • Posted By : Standard/
  • 0 comments /

Revenu des devinettes spatio-temporelles de ses Cordelettes de Browser (Denoël), Tristan Garcia travaille à un livre sur la bande dessinée (« sa définition et son histoire comme “art des cases et des âges”, doublées d’une méditation sur les images de l’enfance au siècle ») et publiera en septembre chez Gallimard un quatrième roman, Faber le destructeur, sur « le Diable, la province, l’indie-rock et la jeunesse perdue ». En attendant, dans Standard n°38, il partage sa passion pour l’auteur suisse Peeters.

Montée dans les paysages archaïques d’une planète-cerveau via la saga S.-F. Aâma de Frederik Peeters.

Frederik Peeters aama multitude invisible

Peut-être que rien ne ressemble plus au subconscient qu’une bande dessinée : des images qui s’enchaînent, que l’esprit parcourt dans tous les sens, qu’il court-circuite en sautant au hasard de l’une à l’autre ; des personnages qui apparaissent et disparaissent ; des formes et des couleurs changeantes. L’humanité a probablement toujours rêvé en bandes dessinées, mais ne le sait que depuis l’invention du 9e art.
Moebius l’avait compris ; depuis qu’il est mort, le dessinateur et scénariste d’origine suisse Frederik Peeters a pris sa place et retranscrit sa psyché au rythme soutenu d’un album par an. A l’image de Giraud/Moebius, Peeters semble avoir trouvé son équilibre entre la réalisation d’œuvres réalistes, comme les deux volumes de RG consacrés au quotidien du policier Pierre Dragon (2007-2008), entre trafics de drogues et ateliers clandestins, et la publication d’histoires obéissant à la logique du fantasme. Ainsi, dans Château de sable (2010), les personnages, prisonniers sur une petite plage, vieillissent d’un an par demi-heure. Dans le superbe Pachyderme (2009), une pianiste élégante et frustrée, un éléphant, des espions, un collier, un fœtus, un hôpital des années 50 forment un puzzle qui finit par trouver un sens – celui que prendraient nos rêves si nous pouvions les relire image par image. Mais c’est dans ses sagas de science-fiction que Peeters parvient le mieux à fusionner son réalisme graphique et psychologique avec son somnambulisme narratif. Lupus (2003-2006) racontait la sortie de l’adolescence et de l’insouciance en noir et blanc, dans un improbable ; Aâma, en couleur, dont le second tome est paru cet automne, nous fait entrer à l’âge adulte.

Ciel jaune, brume verte et cavités violettes
Verloc (hommage au héros de Joseph Conrad dans L’Agent secret), loser divorcé, rétif aux nouvelles technologies, suit son frère, émissaire d’une multinationale flanqué d’un garde du corps bionique qui a l’apparence d’un gorille, fume le cigare et s’appelle Churchill. Tous trois tentent de récupérer le matériel d’une expérience qui a mal tourné, sur une planète qui germe désormais de formes de vie chaotiques, révélatrice de leurs tourments intérieurs. On pense à Solaris, miroir de l’âme des cosmonautes de Tarkovski, à l’Aldébaran de Léo, peuplée d’une faune et d’une flore qui défient l’Evolution, ou à l’IlO de Bourgeon. Plus le lecteur explore des déserts, des canyons, des forêts gorgées de « choses » micellaires, fœtales, cristallines, en constante métamorphose, plus il a le sentiment de pénétrer à la fois dans l’infiniment petit, dans les structures du vivant, et dans les paysages archaïques de son cerveau, sans l’usage du moindre hallucinogène. Notre subconscient ? Ciel jaune, fleuve d’acide, brume verte et cavités violettes où se débattent des persona de nous-mêmes, hantées par leurs échecs, l’amour et la mélancolie.

Frederik Peeters aama multitude invisible

Frederik Peeters
Aâma T1 : l’odeur de la poussière chaude
Aâma T2 : la multitude invisible
Aâma T3 : le désert des miroirs

Gallimard
86 pages, 17,25 euros


Colum McCann 2013
Colum McCann : Transatlantic
  • 2 March 2014/
  • Posted By : Bertrand Guillot/
  • 0 comments /

Colum McCann 2013

D’un grand livre, on attend une ambition narrative, une langue fluide et porteuse d’images, des personnages forts et si possible une rencontre avec l’Histoire… Ces ingrédients sont réunis dans le dernier Colum McCann. De la grande famine (1845-1850) à l’émigration vers le Nouveau monde, de la Guerre de Sécession à l’IRA jusqu’à la récente médiation américaine pour la paix en Ulster, l’auteur tisse le récit des relations l’Irlande et les États-Unis, avec pour fil rouge couleur du sang le récit épique de la première traversée de l’Atlantique en avion, en 1919, par deux Irlandais porteurs d’une tonne d’espoirs et d’une mystérieuse lettre confiée par une émigrée. D’un tel sujet, des auteurs mineurs auraient tiré une saga, ou un roman-fleuve. McCann signe un livre-océan.

Colum Mc Cann Transatlantic
Transatlantic
Colum McCann
Belfond
374 pages, 22 €
A 14.99 avec Standard


Hugo Boris portrait
Hugo Boris rugit avec trois grands fauves
  • 18 February 2014/
  • Posted By : Standard/
  • 0 comments /
Hugo Boris portrait Patrice NORMAND

© Patrice NORMAND

Danton. Hugo. Churchill. En choisissant de s’intéresser à trois grandes figures de l’Histoire associées aux trois derniers siècles, Hugo Boris impose à son lecteur une première règle du jeu : sonder avant tout des hommes unanimement considérés comme marquants, « géniaux » en un sens, aimants des passions de leurs époques.
On connaît sur chacun d’entre eux au moins quelques anecdotes – célèbres statues ou clichés, à défaut –, mais l’auteur s’attache avant tout à interroger leur rapport à la mort (celle qui nous loupe, celle qui isole) et à la famille (celle qui nous méprise, celle qu’on étouffe). Ces biographies, documentées, volontairement elliptiques, sont bâties avec la double ambition de faire émerger des correspondances entre ces grands, et d’interroger les carburants de leurs increvables moteurs.
Pourquoi Danton devint-il si bon orateur, et comment fut-il défiguré ? Pourquoi Hugo collectionnait-il les maîtresses, a-t-il dévoré ses enfants ? Churchill a-t-il vraiment vaincu Hitler et vécu si longtemps que parce qu’il savait boire ? Respectivement condamné, célébré, remercié en bout de course, Hugo Boris les convoque tous les trois sans obséquiosité, mêlant questionnement métaphysique et narration subjective. Il traque le génie et débusque le monstre derrière sa statue de bronze.

Hugo-boris
Trois grands fauves
Hugo Boris
Belfond
202 pages, 18 €

François Perrin


Thomas B- Reverdy au goncourt des lyceens 2013
Thomas B. Reverdy : Les Évaporés (un roman japonais)
  • 12 February 2014/
  • Posted By : Bertrand Guillot/
  • 0 comments /

Thomas B- Reverdy au goncourt des lyceens 2013

Un père de famille disparaît dans la nuit de Tokyo, sans laisser de trace – il s’évapore, comme on le dit au Japon de ceux qui, pour échapper à la mafia ou au déshonneur, choisissent la fuite. Sa fille Yukiko, émigrée en Californie, revient au pays pour tenter de le retrouver, accompagnée de « Richard B. », un détective privé désargenté, buveur et amoureux comme il se doit (splendide appel du pied à Richard Brautigan)… et qui déteste voyager.

Quatre portées sur cette partition : le père, un orphelin de Fukushima, Richard et Yukiko, tous à la recherche d’un autre homme et d’eux-mêmes. Cette structure solide permet au roman d’explorer librement le Japon moderne, ses traditions, ses non-dits et ses marges : les moines reclus, les malédictions à conjurer, les auberges pour travailleurs pauvres, les quartiers clandestins, « Les jeunes qui finissent dans un gang et les paumés qui finissent dans le saké. » Lost in translation version polar, Les Évaporés peut aussi se lire comme le récit, limpide et précis, d’un voyage savamment désorganisé, où le chemin compte bien plus que la destination. Un peu comme la littérature française quand elle regarde le monde.

Thomas B. Reverdy
Thomas B. Reverdy
Les Évaporés (un roman japonais)
Flammarion
300 pages, 19 €
À 14,99 avec Standard


ROSA LIKSOM roman
Rosa Liksom : Compartiment n°6
  • 4 February 2014/
  • Posted By : Standard/
  • 0 comments /

ROSA LIKSOM roman

Dans le transsibérien qui quitte Moscou pour Oulan-Bator, un russe passablement rustre partage son voyage avec une jeune finlandaise. Pendant qu’il s’épanche, narrant sans transition les détails les plus sordides et les plus intimes de sa vie, elle se réfugie dans ses souvenirs. Le huis-clos que laissent envisager le titre et le synopsis s’ouvre quand l’auteur fait entrer dans ce Compartiment n°6 Ivan le Terrible, Pierre Ier, la Grande Catherine, Staline, Boulgakov, Gogol, Tchekhov, Maïakovski, Gagarine, Chostakovitch, Tchaïkovski… Les deux personnages, écrasés par leur passé, incarnent cette grande Russie qui n’ose s’imaginer un avenir. On découvre un pays « où le malheur passe pour du bonheur », qui sent l’urine, la misère, le mauvais alcool, le raifort… Mais cette odyssée sinistre, construite sur un jeu d’ellipses très fin, cache une quête si fortement identitaire, un patriotisme si fondateur, que le mythe russe s’en trouve d’autant plus fascinant. Rosa Liksom, Finlandaise dont c’est le premier roman traduit en France, nous offre un anti guide touristique magnétique.

Frédéric Pradon

rosa liksom compartiment n°6
Compartiment n°6
Rosa Likson
Gallimard
224 pages, 19,50 €

 


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