Reprise d’un pamphlet antiraciste de Roger Corman, le papy de la série B
Parce que c’est drôle, on précise que les bandes-annonces de ses dernières productions, Piranhaconda, Dinocroc Vs Supergator ou encore Sharktopus, sont visibles sur le net. Ombre tutélaire d’un documentaire sur le ciné bis des seventies aux Philippines (Machete Maidens Unleashed), Roger Corman, 85 ans, papy de la série B, fut cette année honoré à Cannes avec un autre doc, tout à sa gloire : Corman’s world – exploits of a Hollywood rebel. Mais, au-delà du carton-pâte et des geysers d’hémoglobine, si le plus bel exploit de ce rebelle hollywoodien était The Intruder, littéral intrus dans sa filmographie ?
En 1962, le metteur en scène de La Petite Boutique des horreurs est solidement assis sur sa réputation de producteur d’œuvres fauchées mais rentables, occultant l’une de ses facettes, très loin du drive-in et de ses gaudrioles : celle de distributeur d’auteurs étrangers, de Bergman à Truffaut, dont il tente de se rapprocher avec ce pamphlet sur la ségrégation raciale dans l’Amérique d’alors – pour, hélas, l’une de ses plus grandes blessures à l’amour-propre. Corman produisait jusque-là des films de monstres, le voilà qui s’attaque à celui qui ronge son pays : la xénophobie.
Capitaine KKK
Au cœur de son sujet, Roger pose ses caméras dans une petite ville du Missouri manipulée par les idées réac d’un suprémaciste pas très éloigné des thèses du Ku Klux Klan, souvent vêtu d’un complet blanc et joué par William Shatner – pas encore Capitaine Kirk, progressiste héros de Star Trek –, formidable en salaud charismatique et complexe, à l’image d’un scénario brillant, coécrit avec Charles Beaumont (La Quatrième Dimension), évacuant les clichés comme un facile happy end.
Peu préparé à ce reflet, le public américain rejette cet Intrus. Il s’en fallut pourtant de peu, niveau timing : Hollywood s’intéressera au Mouvement des droits civiques l’année suivante avec Du silence et des ombres de Robert Mulligan, puis encore plus frontalement avec Dans la chaleur de la nuit de Norman Jewison en 1967. Sa ressortie en France épate et résonne avec notre automne : non seulement l’Amérique d’Obama songe à revenir sur la question (en préparation : un biopic sur Martin Luther King et deux projets portés par Lee Precious Daniels), mais à l’heure où l’extrême droite tente à nouveau de séduire l’Hexagone, The Intruder rallume un contre-feu nécessaire. Seul de ses longs-métrages à avoir perdu de l’argent, The Intruder est aujourd’hui profitable, et laisse envisager l’immense cinéaste qu’aurait pu être Corman… s’il avait été écouté.
Par Alex Masson
The Intruder
de Roger Corman
En salles mercredi
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