Le goth a la cote. Célébré jusqu’au 5 août à la Cinémathèque de Paris, Tim Burton renoue avec les contes tordus (Dark Shadows, le 9 mai), Daniel Radcliffe a rangé dans son casier la baguette d’Harry Potter pour devenir la nouvelle égérie de la Hammer (La Dame en noir, mi-mars, résurrection en pleine forme de la firme anglaise qui injecta dans les années 60-70 un sang frais à Dracula, Frankenstein et consorts), et Cary Fukunaga relit Charlotte Brontë pour lui donner un supplément de démence.
Petit résumé pour ceux qui n’auraient jamais lu Jane Eyre (1847) : une orpheline est engagée comme préceptrice dans la demeure d’un riche propriétaire aussi mystérieux que taciturne. Ils tombent follement amoureux, jusqu’à ce que Jane découvre le lourd secret de son employeur – et des cadavres dans le placard. Aidée de la scénariste Moira Buffini, l’Américaine Cary Fukunaga, louée à Sundance et à Deauville pour Sin Nombre (2009), a décidé de déterrer du roman autre chose que cette attraction contrariée : l’atmosphère sépulcrale.
Déboutonnée
Cette version de Jane Eyre rapproche Brontë de Mary Shelley, taille à la faux le romantisme pour faire émerger l’effroi. Le teint de porcelaine est ébréché par un script tout en rugosités. La passion est là, mais maudite. Mieux, les pages trop sentimentales de ce best-seller chick lit avant l’heure sont froissées pour une guerre des sexes au sens premier. Mia Wasikowska et Michael Fassbender l’accompagnent impeccablement dans cette cavalcade : la tiède Alice au pays des merveilles de Burton (2010) s’impose en actrice de la puissance d’une Meryl Streep ou d’une Glenn Close, l’homme blessé de Shame (Steve McQueen, 2011) se fait ogre ténébreux.
Tournées entre 1915 et 1997, rassemblant des talents aussi divers que Jacques Tourneur, Orson Welles ou Charlotte Gainsbourg, les neuf adaptations précédentes de ce classique pluvieux des lettres britanniques étaient excitantes, mais toutes avaient le défaut de ne jamais se séparer du corset littéraire où l’auteur avait enfermé ses personnages. La dixième se déboutonne sans complexe, et lit enfin entre les lignes, pour affirmer que si cette histoire d’amour impossible continue de faire flancher les adolescentes, elle en raconte une autre, flamboyante et sombre : celle d’une perte qui mène à la folie et la destruction.
Jane Eyre de Cary Fukunaga, en salles le 6 juin.