Heureux hasard, nous atteignons le village des Arcs, son festival, et 1950 mètres d’altitude dans le même véhicule que toute l’équipe du film Mariage à Mendoza. Le réalisateur Edouard Deluc, son acteur fétiche Philippe Rebbot (le profond Marcus), leurs compagnes et progénitures sont des humains charmants. Le trajet durant deux heures, nous avons le temps de parler de musiques de films de François De Roubaix et de Michel Magne. Leur B.O. est signée Herman Dune. Arrivé au sommet disneylandien, une opération commerciale propose sur un bar en neige une dégustation d’un cocktail composé de Suze chaude, de thé à la Bergamote et d’agrumes. Au fil des jours, on apprivoise les différents breuvages et le système des navettes qui permettent de se déplacer entre les différents lieux du festival. Premier stop : Kinshasa Kids (Le Diable n’existe pas), un film roboratif entre fiction et documentaire réalisé par un homme venu d’Outre Quiévrain : Marc-Henri Wajnberg. Le long métrage suit un groupe d’enfants des rues ayant pour ambition une carrière dans le rap, sous la houlette de Bebson, un musicien fantasque. Grande bouffée d’énergie vitale et de positivisme.
Deux autres films européens procurent l’effet inverse et rappellent que le cinéma de notre belle union se complait parfois dans l’étalement du constat que l’Occident est malade. Die Feinen Unterschiede, le premier film de Sylvie Michel expose les impasses humaines, professionnelles et familiales du Blanc, bourgeois, hétérosexuel dans une délectation morose à la rigueur toute germanique. Hijacking, du Danois Tobias Lindholm (sortie le 19 juin 2013) laisse encore plus circonspect. Ça raconte la prise d’otage d’une embarcation appartenant à un grand consortium économique par des pirates somaliens. L’histoire s’attarde sur le calvaire de l’équipage et plus particulièrement d’un chef cuisinier, tandis que de l’autre coté de l’océan, le président de la compagnie doit gérer l’effroi des familles et tenter de négocier avec les preneurs d’otages. Un plongeon assez maladroit par son parti pris manichéen du choc des civilisations à la façon de l’universitaire néoconservateur Guy Millière. Un peu plus de subtilité dans le traitement et les motivations de ces hommes aurait permis une moindre manipulation des sentiments, face à ces islamistes qui, par exemple, forcent le cuisto à égorger une brebis selon le rite halal. Quelques jours plus tard, le film sera récompensé par le jury (Flèche de Cristal et prix d’interprétation masculine pour Soren Malling)… Peut-être aurait-il fallu faire abstraction de ce jeu dangereux, ou ne pas craindre cette vision géopolitique du monde ?
Un soir au restaurant des devises joyeuses – on peut encore fumer dans les lieux publics à Moscou, Gérard Depardieu… – s’échangent avec le fascinant réalisateur russe de La Horde (Orda), Andreï Prochkine (Le Jus d’orange, 2009), accompagné de l’acteur principal de son film, Maxime Soukhanov, un Mongol né pour intérpréter Gengis Khan. Et quelle joie fut celle de discuter d’un des plus grands compositeurs de musiques de films russe, maître d’œuvre des B.O de Tarkovski et pionnier des musiques électroniques, Edouard Artemiev. Epique, grandiose, baroque, fou et violent avec des relents du meilleur de Jodorowsky (dont Andrey Proshkin n’a jamais vu les films), La Horde est un blow my mind. On peut le dire aussi de cette 4e édition du festival dont le président du jury est le réalisateur roumain Cristian Mungiu. Aux Arcs, il n’y a pas que notre corps qui a pris de l’altitude.
Par Jean-Emmanuel Deluxe