La quête d’absolue pureté de Genesis P-Orridge et Lady Jaye
Au début des années 90, Neil Megson rencontre Jacqueline Breyer. Il est connu sous le nom de Genesis P-Orridge, leader anglais des groupes de rock industriel Throbbing Gristle et Psychic TV, elle est une dominatrice SM réputée à New York. Composé d’archives personnelles et d’images filmées pendant plus de sept ans, le documentaire que leur consacre la Française Marie Losier (lire l’interview paru dans Standard n°25) revient sur ce couple, fusionnel à la ville comme sur scène – en témoignent leurs projets musicaux et la plus folle de leur collaboration : la pandrogénie. Plutôt que d’avoir un enfant (« la façon habituelle pour deux personnes de se combiner pour créer un nouvel individu »), Neil et Jacqueline ont voulu se ressembler, jusqu’à se refléter l’un l’autre en pratiquant depuis 1995 des dizaines d’opérations de chirurgie esthétique.
Dès les années 70, l’identité sexuelle est au centre du travail de P-Orridge, abordant les transgenres ou la prostitution, et c’est encore plus évident pour Lady Jaye, puisque le sadomasochisme se pense comme une jouissance débarrassée des clivages homme/femme. C’est cette philosophie, dépassant le rapport au corps, que Marie Losier enregistre tout en douceur, sous un angle inattendu, celui du sentiment. The Ballad of Genesis and Lady Jaye est ni provocateur ni trash, pas même dans sa forme, assez proche d’un home movie, voire d’un journal intime – celui de deux âmes sœurs consumées par la passion, une quête d’absolue pureté et un amour inconditionnel de l’art.
Quasi-clones
De la même manière que Sick (documentaire exceptionnel de 1997 dans lequel Kirby Dick suit Bob Flanagan, performer SM atteint de mucoviscidose), cette Balade ne vise jamais le sensationnalisme et soulage ses protagonistes de leurs costumes de freaks. Interrogeant les mœurs et les tabous, le film semble aussi, à sa façon, un manifeste du body art, hélas rattrapé par la réalité. En 2007, Jacqueline meurt brutalement d’une insuffisance cardiaque des suites d’un cancer de l’estomac. Depuis, Neil n’existe plus tout à fait : les opérations, notamment la pose d’implants mammaires ou la chirurgie faciale, lui donnent l’apparence d’une femme –plus précisément d’un quasi-clone de sa défunte épouse.
« Nous aurions pu changer nos visages pour devenir l’incarnation d’une beauté idéale, mais nous voulions surtout être semblable l’un à l’autre. Le résultat est à mi-chemin », expliquait Jacqueline. Entendre par la suite Genesis dire « nous » au lieu de « je » et voir Jaye persister dans son double est une expérience troublante, plus encore émouvante, rappelant qu’une enveloppe charnelle n’est rien sans l’âme qui l’habite.
The Ballad of Genesis and Lady Jaye
de Marie Losier
En salles mercredi
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