La mode masculine débute aujourd’hui à Paris. Les shows se sont terminés la semaine dernière à Londres, où pas moins de 32 défilés et 37 présentations menswear décomplexés ont préchauffé l’hiver 2015. Sur place, we wear every wear.
C’est une jeunette qui a grandi très vite. Lancée en juin 2012 par le British Fashion Council, la Fashion Week masculine londonienne s’impose en plateforme majeure de la mode homme. La capitale de l’éclectisme laisse prospérer un espace d’émancipation pour des jeunes créateurs dont les seules limites dépendent de celle de leur imagination.
Le projet MAN, financé par l’enseigne Topman – dont le défilé très seventies a ouvert la saison – et l’organisation Fashion East, est l’un des facteurs de cette réussite. En dix ans, le collectif a poussé une trentaine de « talents de demain » sur les podiums. Un grand nombre défile aujourd’hui dans le calendrier officiel (J.W.Anderson, Craig Green…).
La nouvelle édition consacre l’apparition de l’Irlandais Rory Parnell-Mooney, tout juste diplômé de la Central Saint Martins. Les premiers pas du styliste opposent et mélangent avec subtilité le marine et le noir dans des propositions assez nonchalantes. Gros volumes et découpes géométriques se superposent jusqu’à un travail parfaitement fini. A ses côtés, on retrouve Liam Hodges avec des silhouettes plus colorées et délurées, ou Nicomede Talavera dont les influences grunchy s’affirment dans des drapés rustiques où les pièces longues et surdimensionnées marquent l’esprit de la maison.
Lui aussi révélé par le projet Man, Christopher Shannon plonge l’homme vers une mouvance écologique. Assez similaire aux autres saisons, l’hiver 2015 laisse apparaître des coupes simples et efficaces où l’esprit pop est toujours bien présent, l’envergure artistique s’affichant via quelques motifs. Au détour d’un passage, les mannequins s’accessoirisent d’un sac plastique sur la tête. De quoi faire rire et interroger sur la pollution…
Jonathan Anderson, autre Irlandais dans la course, également directeur artistique de la maison Loewe, a remporté le British Fashion Award en décembre. Sa collection en nom propre pose des touches de cuir sur des silhouettes mythiquement androgynes et confirme son statut de provocateur inné.
Lou Dalton explore une vision plus classique de l’homme en cherchant à l’actualiser vers des proportions contemporaines. Aucune fioriture, c’est de la sélection des matières que souffle le vent de renouveau en direction de caractéristiques réconfortantes. Le tartan devient un hymne à l’élégance alors que les effets de superpositions complaisent la silhouette dans une multitude de textures.
Dans la lignée écolo, Christopher Reaburn opte pour des tenues de survie. Perdu en mer, l’homme qu’il habille puise dans ses ressources pour vivre. Pour cette lutte en environnement hostile, le créateur s’inspire de ce qui l’entoure : les requins en étendard, un canot de sauvetage fluo en imprimé parka. Un imaginaire marin pour une technicité qui exprime l’importance de la performance à ses yeux et lie son vestiaire à une mouvance bien fonctionnelle.
Chez Xander Zhou, on reste au plus profond des terres. L’appel des grandes plaines, inspiré du grand Est américain, confronte les cultures d’un homme d’un nouveau genre. Les franges s’affirment aux côtés de peintures traditionnelles chinoises et des nœuds à la taille renouent avec une douce ironie féminine. La rigueur et la richesse des détails surplombent la collection la plus aboutie de la saison. Haut niveau également chez Craig Green qui, en seulement deux saisons, domine Londres. Ses uniformes revisités emportent le corps sanglé et tressé dans une mouvance romantique.
Astrid Andersen fait parler d’elle en pionnière d’une mode sportswear aussi gracile en jersey qu’en dentelle. Les looks sont parfois cachés derrière une multitude de détails, mais l’énergie qu’ils transmettent dépasse cette difficulté. Moins innovant mais ayant toujours du répondant, l’ultra sportswear de Nasir Mazhar nous convainc que sortir sans son jogging pourrait être une ineptie.
Enfin, les trois designers de Sibling (Cozette McCeercy, Joe Bates et Sid Bryan), remixent en ultra rose le dressing d’un éternel adolescent. Judy is a Pink présente des culottes courtes, chaussettes de rugby et peluches : drôle, décalé, absurde et terriblement en accord avec l’image permissive de la ville. Dans le ciel de Londres, cette trajectoire croise celle de deux autres ovnis : le fantasque Chinois Sankuanz qui acidule les couleurs de ses formes abstraites, à peine décalées des classiques ; et Katie Eary qui s’inspire des artistes Koons et Kaws pour survolter son dressing. Suite à ces envolées, retour sur les rails, en France, pour les défilés parisiens qui débutent aujourd’hui.
Texte et photos Perceval Vincent