Juste le temps de se remettre de Londres, la Fashion Week parisienne lance déjà ses mannequins sur les devants des podiums. Pompiers, militaires et sexe à l’air, velours palatine, plastique orangé et vestons à boutons : mis à part la clôture mort-née de Thom Browne, les propositions sont contrastées et enjouées.
Il est loin le temps du premier défilé masculin de 1952 par Brioni. La Fashion Week qui vient de se clore à Paris, avec pas loin de soixante-dix événements de marques en cinq jours, est l’expression même du développement spectaculaire de la mode pour hommes.
Sur fond de sécurité renforcée après les attentats du début du mois, la saison ne manque pas de mordant avec des envies aussi engagées que personnelles. Christophe Lemaire transforme sa maison en Lemaire et esquisse le dressing d’un élégant contemporain en phase avec le minimalisme et la rigueur dont il est le sujet. Les pièces qu’il propose évoluent entre des parkas sportswears, de fines mailles aux cols roulés et des chemises en soie. Des essentiels à ne surtout pas oublier.
Subversifs, l’art et l’amour tonnent.
Walter Van Beirendonck poursuit en revanche son excentricité bien colorée où le plastique et son esprit déluré rendent hommage à Paul McCarthy dont le Butt plug exposé place Vendôme avait suscité des réactions dégonflées. La forme « scandaleuse » apparaît littéralement comme le point de départ de la collection funky de l’Anversois et se retrouve, aussi délicat soit il, autour du cou ou comme motif de broderie. Subversifs, l’art et l’amour tonnent comme l’émotion majeure du show.
En phase de devenir une référence 100 % parisienne, la jeune maison Icosae a de quoi surprendre par sa vitalité. Avec son troisième show, cette nouvelle marque française se penche sur notre société et ses divisions pour l’habiller en fonction de nos conditions de vie. Les formes amples et chaudes rappellent les plus démunis alors que celles, plus fines, plus cintrées font référence à l’élite. Si ce n’est pas encore la révolution, les propositions sont à la fois étonnantes et parfaitement adaptées à un quotidien que l’on voit déjà sien.
Lier d’amitié Des Esseintes et Ubu roi.
La collection d’Issey Miyake embrasse quelque chose d’assez inhabituel avec une présence très forte des costumes, mais Yusuke Takahashi, à la tête de la mode masculine, ne tarde pas à basculer vers des perspectives plus fantaisistes. On renoue avec la couleur, et les matières s’adonnent à une touches plus 70’s, voire féminine. La soie s’arrache les imprimés et le velours palatine se retrouve aussi bien sur de longs manteaux que des pantalons larges. Des silhouettes qui lient d’amitié Des Esseintes et Ubu roi. Pas forcement des plus adéquates en dehors des podiums, on préférera les versions plus graphiques des tenues clôturant le show…
Ce regard graphique se retrouve d’autant plus enthousiasmant chez le collectif Etude Studio qui, en dialogue permanent avec l’art, apporte une vision neuve à la mode. Résolument branché, le vestiaire qui en découle rend hommage à un working boy fait de rouge et de bleu façon Mario Bros.
Le délire tout autant surprenant d’Andrea Crews n’en finit plus de nous proposer une mode de garage. Mise en scène dans un parking à deux vroums des Champs-Elysées, le show se lance sous une techno tapageuse donnant l’ordre à l’armée de racer-ravers de débouler sur le catwalk. Sweats, survêtements et bonnets oversize s’affirment dans des teintes orangées ou reprennent plus nonchalamment le logo d’Opel en blaze. Tout le monde est en transe, la rêve party ne fait que commencer.
Cette jeunesse découle aussi de la Big Bang Théorie d’Acne Studios qui dépeint le vestiaire d’un jeune intello à lunettes qui en a marre de son style ringard. Il emprunte ici et là les éléments stylistiques de ses potes les plus cools et se retrouve avec les shoes ultra lourdes du rockeur du fond de la classe ou les pièces sportswear de l’idole des vestiaires. Adulte tout de même, il s’accorde un costume, mais le dépareille. Une veste en nylon au lieu d’un blazer : c’est toujours plus fun. Il y a quelque chose de drôle et de pleinement satisfaisant à la fois, là où l’homme veille à être chic et habillé d’un luxe très sport.
Traditionnelle élégance : les trente et un musiciens du Paris Scoring Orchestra investissent le Tennis club de la porte de Saint-Cloud pour Dior Homme. Au levé de rideau, alignés au centre du podium, ils laissent surgir de leurs archet et hanche un classicisme saillant aux premiers looks de luxe très « soirées ». Costumes trois boutons, spencers et vestons revêtissent se permettent quelques pins fleuris pour moderniser le tout. Peu à peu, le denim s’impose dans le dressing, remplace la dominance de noir, de gris et de motifs Princes de Galles. Si l’attrait au sport est plus discret que les saisons passées, Kris Van Assche ne dévie pas de sa ligne directrice chic et minimale.
Carol Lim et Humberto Leon se penchent pour Kenzo sur le thème de l’individualité, de la survie et de la fonctionnalité. L’occasion de réinterpréter les parkas de chantier, les chaussures de protection et autres combinaisons de survie dans de l’orange signalétique, des matières waterproof ou des superpositions multiples. La proposition est enjouée, réconfortante et de bonne augure.
Dans le même registre des vêtements professionnels, le Coréen Juun.J réinterprète les uniformes de l’armée dans des volumes magistraux : veste kaki, pantalons taille haute ultra larges et bombers. Si l’exercice qui a fondé son succès est clairement satisfaisant, il manque d’une once de surprise qui aurait éclairé d’avantage cette maîtrise des proportions jusqu’ici inégalée.
Il en est un peu de même chez Dries Van Noten, qui ravive l’uniforme des pompiers pour en exhorter le caractère technique et protectionniste. Les bandes réfléchissantes et les fermetures par mousquetons deviennent des éléments de noblesse alors que des détails plus ethniques viennent assouplir les traits vers un raffinement notable. Jacquard, broderies et imprimés en sont les maîtres d’œuvres et confortent l’assise de la silhouette vers une élégance assez sombre pour la maison. Parfois militaire, tantôt ethniques, les créations du Belge rapprochent les similitudes et les divergences pour mieux les façonner vers un regard aussi sensible que viril.
Si Rick devient Dick Owens avec son inexplicable envie de pénis découvert, il est certain que Thom Browne prédise à cette initiative un intérêt bien mortuaire. Le créateur américain clôt cette semaine de la mode sous un climat de mort. L’aspect théâtral du show et sa lenteur ne sont que les prémices d’une atmosphère macabre. Vêtus de noir, les mannequins avancent dans une marche funèbre où seules les matières et les coupes rappellent à la vie. Les manteaux sont longs et s’accaparent quelques détails de fourrures. Les superpositions sont la seule directive et fondent le peu de contrastes de la ligne dans un jeu de masculin féminin assez répétitif. De quoi sceller dignement la fermeture de cette semaine homme.
Texte et photographies Perceval Vincent