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Les regards obliques de Curling

Promenons-nous dans les bois, québécois avec papa.

Curling_Denis Coté

Dans notre dernier numéro, nous vous présentions Hanna, étrange relecture américaine de Blanche-Neige signée Joe Wright autour d’une gamine programmée machine à tuer. Ce trimestre, on fera la connaissance de Julyvonne, 12 ans, vivant dans un coin reculé du Québec avec JP, son père, qui travaille dans un bowling tandis qu’elle erre, semi-recluse, dans la maison familiale et ses alentours – son géniteur lui interdisant d’aller à l’école. De quoi tricoter une sordide relation père-fille qui ferait la Une du Parisien ? Il n’est jamais certain que la situation ait dérapé. JP baise en ville et, pendant ce temps, Julyvonne tombe sur des cadavres dans le bois d’à côté, sans s’en inquiéter, dans un calme absolu – voire une ambiance guillerette quand Papa et sa fifille écoutent après le dîner la reprise de I Think we’re alone now par Tiffany, tube teen-pop de 1987. Quelque chose cloche, mais le réalisateur Denis Côté, qui signe là son sixième long-métrage, ne dit pas quoi.

Puzzle existentiel
Le principe de Curling, c’est justement ce regard oblique, l’usage du hors-champ, amenant un incroyable suspense… là où il n’y en a (peut-être) pas. Dans une certaine mesure, le film n’est pas éloigné de Blue Velvet (1986) par sa capacité à rendre le quotidien inquiétant, à pervertir ce qui est probablement innocent, comme lorsque JP regarde sa fille danser, et à ne pas rassurer le spectateur selon des normes morales – surtout quand on sait que les deux acteurs sont père et fille dans la vraie vie – ou rationnelles. Côté ne marche pas pour autant sur les plates-bandes de David Lynch, n’ouvre aucune porte sur un monde parallèle propice à une zone de non-droit narratif. Tout n’est pas expliqué, mais des pistes s’esquissent et, peu à peu, les pièces de ce puzzle existentiel s’emboîtent, révélant un autre paysage que celui neigeux, blafard, qui encadre l’œuvre : une insondable peine.

A plusieurs reprises, il sera question dans les dialogues des yeux de JP et de ceux de la petite, dans lesquels il est répété « qu’il n’y a rien ». Plus le récit avance, plus on constate que, si les larmes ont séché, la tristesse persiste dans ces regards. Sauvage, Curling ne demande qu’à se laisser apprivoiser pour exprimer la mélancolie.

Curling
de Denis Côté
En salles demain

Retrouvez cet article dans la rubrique Pellicules, en kiosque.

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