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Pierre et Gilles interview serie de mode portrait Linus Ricard stylisme Olivier Mulin
Pierre et Gilles : combat de kitch
  • 23 March 2015/
  • Posted By : Magali Aubert/
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Nous sommes allés frapper chez le duo d’artistes le plus célèbre de France. Pierre et Gilles, photographe et peintre romantico-sexo-bibelot, méritent-ils leur réputation sulfureuse ? On les découvre aussi mordants qu’un tigre en céramique.
Pierre et Gilles interview serie de mode portrait Linus Ricard stylisme Olivier Mulin

Pierre (à gauche) Veste Paul&Joe T-shirt Lyle&Scott Short Fred Perry Casquette Stetson Chaussures Palladium / Gilles (à droite) T-shirt Robinson-les-Bains Pantalon G-Star Raw Casquette Stetson Chaussures Melinda Gloss

La playslist en Shuffle délivre des sanglots arabes, Aznavour en russe, une chanson indienne, un hit japonais et les Destiny’s Child… C’est Pierre qui sélectionne : « Ça, c’est Abdel Halim Hafez, je l’ai découvert au Maroc. Quand je découvre un morceau, je me renseigne à fond sur son auteur. » Nous sommes dans l’ancienne usine des cafetières Guy Degrenne, au Pré-Saint-Gervais, à quelques mètres au nord de Paris. Pierre et Gilles se sont établis ici en 1991. Ils ont racheté les lots voisins petit à petit pour agrandir leur espace, qui doit bien faire 300 m2. C’est grand, malgré la déco chargée et les immenses toiles qu’ils viennent d’emballer pour l’exposition Héros à la galerie Daniel Templon (terminée fin mai) : Marina Foïs en poulbot sur Les Escaliers de la butte (2011), Julie Depardieu en Nono (2010) princesse art nouveau, ou Isabelle Huppert en Ophélie rétrofuturiste (2012) : dans la salle à manger, de son autel cerné de divinités indiennes, de lampes de madame Irma et les chats, les cygnes, les angelots de la famille Porcelaine, la télévision bloque sur une chaîne coréenne. « On adore la K-pop. » Derrière le mur, Jean Marais a signé un « bisous » et l’acteur porno Titof a dessiné des petits cœurs. On s’amuse des autographes de Madonna, Kylie Minogue, Isabelle Adjani… les stars qu’ils photographient depuis trente-cinq ans.

Stickers et fleurs en plastique
Au sous-sol, le studio photo et des restes du dernier shoot : une corde de voilier en plastique suspendue à un hauban se balance devant un fond bleu troué par une mouette. À côté, une table d’atelier où s’affaire leur assistant, et des boîtes empilées contenant des éléments de décoration, des paillettes, des sculptures de pacotille et autres kitcheries rapportées de voyages. Guidé par un classement précis – « petites fleurs en plastique moches » –, Gilles pioche dedans pour fabriquer ses cadres. « La dernière fois qu’on est partis, c’était à Bangkok, il y a deux ans. J’avais ramené des oiseaux qui se vendent en gros pour mettre sur les barrettes. On travaille constamment, au rythme de deux images par mois, sinon, on est au fond du lit, malheureux. Notre travail, c’est notre plaisir. »

Retour au rez-de-chaussée, dans la cuisine, où les néons et les lustres jouent de la lumière sur les céramiques recouvertes de stickers et réfléchissent des billes de verre sur des fleurs en plastique qui descendent d’un plafond en miroir doré. De chaque côté de la table principale, des torchères des années 70. Aucune pièce ne ferme, on passe d’une ambiance à l’autre comme au musée ou au Macumba. Sous un tableau lumineux des Simpsons et leurs certificats « Chevalier des arts et des lettres », le salon feuillu s’ouvre à la chinoise, surplombé d’une mezzanine tournante. Le « bar de la marine » fait de l’œil à la bibliothèque. On serait dans un hôtel de Jakarta des années 20 si ne vivaient là Batman et Goldorak. Du haut de leurs deux mètres, ils toisent Barbie, Michael Jackson et Hello Kitty, enfermés avec de multiples petits baigneurs dans une vitrine Dior. Des battants de saloon démarquent la pièce où Gilles peint dans sa serre de jardin : « Le vide me fait peur. Dans cette serre, je me sens bien, je suis plus concentré. Et ça protège de la poussière. » Au-dessus de l’escalier en colimaçon, la chambre à coucher, enduite de laques japonaises, est gardée par un nain de jardin géant, et partout, en sous-sol ou derrière les mezzanines, des recoins survenus.

Trop-plein doucereux 
Cette série de mode avec nous, une première ? « Oui. À part Jean Paul Gaultier qui nous a habillés en marin pour le numéro spécial que Têtu à fait sur lui (n° 197, janvier 2014) et une pub pour Paul Smith dans les années 90. » Pierre aime poser, Gilles moins, il continue : « Je m’habillais bien quand j’étais jeune. Maintenant, je m’en fous. J’achète un truc qui me plaît en plusieurs exemplaires pour être tranquille. J’ai trois T-shirt France vendus lors de l’expo Paquebot France, design embarqué [en octobre 2013 à Saint-Étienne]. Mais j’ai rarement été aussi chic qu’aujourd’hui ! » Le long de la fenêtre, une rangée de gadgets solaires opinent.

Cette surabondance de couleurs et de détails kitch, trop-plein doucereux, aurait pu laisser penser que Pierre et Gilles étaient des « personnages », c’est-à-dire que trente ans de carrière, de critiques et d’amour fou auraient pu les modeler du caractère aigu de certaines célébrités. Mais ce sont des voix basses que l’on découvre au téléphone, des hôtes timides et des modèles malléables qui nous accueillent à domicile. « Ne rien décider seul, ça dote l’esprit d’un grand angle. Ça permet d’avoir un moi moins fort », affirment-ils. Ils n’imaginent pas une minute (tapante dans la pendule-guitare à l’effigie d’Elvis) prendre des chemins séparés. « Pendant des années, on était vraiment toujours ensemble, on avait un scooter pour deux et ne faisait rien l’un sans l’autre. Maintenant, on est inséparables, mais avec plus de liberté », explique Gilles, qui, le matin, part au sport de son côté avec son propre scooter.

Sur notre thème Deux, on pense à leur Adam et Ève prépubères (1981), à leurs autoportraits en cosmonautes, en marins ou en époux Les Mariés (1992) bien avant que la loi ne le permette. Mais c’est de leur Zahia en jupons d’organza, campant une Marie-Antoinette champêtre, leur dernière image, dont ils ont envie de parler. L’ancienne callgirl médiatico-décriée trône en reine bucolique dans l’hommage qu’offrent les Gobelins au mobilier du xviiie siècle. Pendant le vernissage (le 7 avril dernier), la CGT a distribué des tracts dénonçant les 35 000 euros alloués à l’exposition : « Les moyens de trois manufactures de tissage, dans un contexte où le budget du mobilier national a été amputé de 12 % depuis quatre ans » (source : Europe 1). Le règne de la surprise sur l’excellence et l’intemporalité du savoir-faire, quelle meilleure manière de faire art.

Pierre et Gilles interview serie de mode portrait Linus Ricard stylisme Olivier Mulin

Pierre et Gilles interview serie de mode portrait Linus Ricard stylisme Olivier Mulin

Pierre et Gilles interview serie de mode portrait Linus Ricard stylisme Olivier Mulin

Pierre : « Quand on n’est pas d’accord, c’est qu’on n’a pas trouvé la bonne idée. »

Comment est venue l’idée de ce dialogue entre vous et le mobilier de la Manufacture royale des Gobelins ?
Gilles : Elle avait envie de nous, je ne sais pas pourquoi. On ne fait pas souvent d’installation, on a hésité avant d’accepter. Finalement, au lieu de placer des images existantes, on en a produit une pour l’occasion. Dans la collection nationale, on a flashé sur une chaise dorée sans assise ayant appartenu à Marie-Antoinette. On a choisi ses meubles étoilés de la ferme aux coquillages, au château de Rambouillet, des appliques et une cheminée. On a pensé tout de suite à Zahia en épouse de Louis XVI. On l’a déjà photographiée, on a une certaine fidélité avec les modèles qu’on aime bien : Sylvie Vartan, Ariel Dombasle, Marc Almond…
Pierre : Au départ, on voulait la faire dans le Petit Trianon, avec les colonnes, les petits pompons, cocardes et compagnie… Mais la robe longue classique ne lui allait pas, on a dû se rapprocher du côté champêtre des sous-vêtements qu’elle crée. C’est elle qui a cousu sa robe.

Comment vous partagez-vous les tâches ?
Gilles : On fait du ping-pong avec les idées, puis chacun a son rôle dans la réalisation. Pierre est sur le dessin, préparatoire, la lumière. Moi, c’est la réalisation, l’encadrement, du décor. Comme le moulin du hameau de la reine Zahia que j’ai fabriqué en bois. On a besoin de se stimuler l’un l’autre puis d’être tranquille au moment de la création. Je suis derrière Pierre au moment de la prise de vue, mais je le laisse faire.

C’est plus simple de s’entendre sur les détails que la démarche globale ?
Gilles : On discute plus sur la démarche. Souvent, c’est le choix du modèle qui anime le débat. C’est comme en couple, rien n’est lisse. Travailler ensemble, ça nous arrange et nous aide, mais ça oblige à tomber d’accord.
Pierre : Quand on n’est pas d’accord, c’est qu’on n’a pas trouvé la bonne idée. Il faut que le modèle soit dans le rôle juste, et il faut qu’on l’aime pour être bons. Il y a un côté sentimental avec eux.

Vous dites : « Notre travail, c’est comme une famille avec six cents enfants. » Le secret pour durer trente-cinq ans ?
Gilles : Tout se dire. On est restés un peu des enfants, on peut se chamailler, se dire les choses crûment, sans rancune. On a besoin l’un de l’autre, tout simplement ! Quand on aime l’autre, on accepte des choses qu’on n’aurait pas acceptées au premier abord, c’est ça le respect, s’ouvrir à l’autre. C’est quand on commence à tricher que ça ne va pas.

Depuis le temps, vous parvenez à voir au-delà de vos habitudes ?
Gilles : On est toujours surpris par des petites choses de l’un, des idées de l’autre. Zahia en Marie-Antoinette, c’est une idée Pierre, ça m’a surpris, j’étais content. Quant aux déceptions, on les oublie ou on travaille dessus pour qu’elles n’en soient plus. On travaillait seuls avant de se rencontrer. Le faire à deux, c’est ce qu’on cherchait inconsciemment. On s’est apporté beaucoup. Pierre était plus proche de la mode, moi de l’art contemporain. Dès qu’on a commencé, il s’est passé quelque chose. On s’est sentis plus forts. L’habitude peut contribuer à augmenter ça.

L’œuvre en cours, quelle est-elle ?
Gilles : Un marin avec une mimique « C’est un garçon » qu’on a rencontré sur Facebook. La première fois qu’on l’a vu, il avait une haleine de bière, ça nous a inspiré le personnage. Pas Popeye, mais avec un petit côté drôle quand même. Il boit de la bière Paillette qui vient du Havre, que je buvais quand j’étais gamin et qu’on buvait sur le paquebot France. Il y a encore une brasserie qui produit cette bière artisanale là-bas.

Un duo en art à citer ?
Pierre : Gilbert et George. On a beaucoup de points communs : la religion, les voyous… On s’est vus dans des foires. Des journalistes avaient proposé un entretien croisé, mais on ne veut pas se rencontrer dans ce cadre-là. Il faudrait que ça vienne naturellement.

Pierre et Gilles interview serie de mode portrait Linus Ricard stylisme Olivier Mulin

Pierre : Chemise Christophe Lemaire Short G-Star Raw Chaussures Palladium Chapeau Stetson / Gilles : Chemise Melinda Gloss Pantalon Christophe Lemaire Chapeau Stetson

Gilles : « Ne rien décider seul, ça dote l’esprit d’un grand angle. »

Vous suivez l’actualité des galeries ? 
Gilles : On fait moins d’expositions, on oublie les noms, en plus. Quand on était jeunes, on allait tout voir. Maintenant, on préfère se nourrir de la vie et travailler. On a moins besoin d’influences, de découvertes, d’apprendre à travers les autres. Et puis il y a Internet… Bacon a travaillé à partir de tableaux célèbres dont il n’avait vu que les reproductions.
Pierre : Il y a de plus en plus d’artistes qui travaillent à deux, ça, on a remarqué. Il y a aujourd’hui autant de femmes (Frida Kahlo, Annette Messager, Cindy Sherman…) ou de groupes que d’hommes isolés.

Votre deuxième œuvre préférée ?
Pierre : Le film Pink Narcissus de James Bidgood [1971], ou non : Scorpio Rising de Kenneth Anger [1964]. On peut le voir et le revoir, le laisser tourner comme une musique, ou le voir en morceaux sur YouTube quand l’envie nous en prend.

Votre deuxième œuvre préférée de vous ? 
Gilles : On va dire notre portrait d’Iggy Pop parce que c’est la deuxième qu’on a faite. C’était pour le magazine Façade en 1977. On arrive dans sa chambre d’hôtel, il sortait de son lit, nu, avec une fan. On lui a mis une chemise et une cravate en cuir qu’il ne nous a pas rendues. Il ne portait pas de pantalon, on s’en foutait, c’était hors cadre.

Entretien Magali Aubert, Photographie Linus Ricard, Stylisme Olivier Mulin Assisté d’Arthur Laborie dans Standard n°41

 


la fratrie artistes each and other mode
Quand la sculpture se prend une veste
  • 2 February 2015/
  • Posted By : Standard/
  • 0 comments /
Dents arrachées au monde, les îles flottantes des artistes belgo-algériens La Fratrie habillent la collection automne-hiver du duo israélo-suédois d’Each x Other. Rencontre en carré entre âmes frères et sœurs d’armes.

La Fratrie & EachxOther ©Johann Bouché-Pillon

 

La Fratrie & EachxOther ©Johann Bouché-Pillon

La Fratrie
Les sculptures 
Un petit et un grand frère
Luc Berchiche, né en 1981 à Le Quesnoy, diplômé d’un master d’arts plastiques
Karim Berchiche, né en 1978 à Le Quesnoy, diplômé d’un DEA à Sciences-Po

Que font-ils ? Depuis 2006, ils créent un monde utopique formé d’îles arrachées à la roche. De minutieuses allégories aériennes qui interrogent l’homme dans son rapport à l’environnement et à sa fragilité.
Les œuvres choisies pour Each x Other : Montagnes russes à enseigne clignotante, The Endless Pursuit of Happiness (2013, voir p. XX) est une synthèse poétique des mouvements d’oscillation de l’existence humaine : ascensions aventureuses, sommets d’exception, descentes incontrôlées. Le tag du mur de The Secret of Happiness is… (2013, voir p. XX) disparaît, lui, comme les briques qui s’effondrent sous la modeste maison. Autant de pierres philosophales élevées contre une certaine conception du bonheur, cette vanité, cette quête sans réponse.

 

La Fratrie & EachxOther ©Johann Bouché-Pillon

Each x Other
Les vêtements
Un homme et une femme
Ilan Delouis, styliste
Jenny Mannerheim, directrice artistique

Que font-ils ? Ils ont fondé en 2012 une marque de luxe unisexe qui, du cœur du marais, télescope l’art et la mode. Leur vestiaire masculin s’offre, au rythme du calendrier des collections, comme une toile blanche à des artistes tels que Robert Montgomery, François Mangeol, Ann Grim ou Simonn…

Les pièces choisies pour La Fratrie : Pantalon et veste camouflage, marinière, chemise kaki, pull militaire brodé, bombers de l’automne-hiver 2014 : le kit parfait pour les expéditions de nos deux aventuriers. La marque a choisi pour eux des classiques qu’elle retravaille en version luxe avec la qualité de fabrication artisanale des grandes maisons.

 

La Fratrie & EachxOther ©Johann Bouché-Pillon

Each x Other
De l’un à l’autre 

Quelle a été l’étincelle de départ ? 
Ilan Delouis : J’ai rencontré Jenny dans sa galerie [Nuke, 11 rue Saint-Anastase] lors d’une expo de Robert Montgomery [artiste londonien qui recouvre des panneaux publicitaires de poèmes]. Une de ses phrases était : « The city is wilder than you think and kinder than you think. It is a valley and you are a horse in it. It is a house and you are a child in it. Safe and warm here in the fire of each other. » Ça m’a beaucoup ému. J’ai tapé « each other » sur Google. Il n’y avait que des animaux qui s’embrassaient : aucune marque. Donc j’ai déposé le nom pour en créer une qui tourne autour de ce message [la possibilité de chaleur humaine, de liberté au sein d’une communauté]. J’ai vécu en Asie, où il y a une énergie incroyable autour de l’art et de la mode. Quand j’ai revu Jenny, je lui ai offert le livre Le Luxe en Chine [Michel Chevalier et Pierre Xiao Lu, éd. Eska, 2011], dans lequel on apprend que les femmes s’habillaient comme les hommes là-bas jusqu’à il n’y a pas si longtemps. On s’est dit qu’on allait faire un vestiaire mixte avec une communauté d’artistes, d’artisans.

Le « tout feu, tout flamme » dans votre duo, c’est qui ? 
Ilan : Plutôt moi. On m’appelle « le volcan » quand je suis dans la production de la collection.
Jenny Mannerheim : Moi, je suis froide ! Je suis d’une froideur, glaciale parfois même ! Mais je suis aussi très passionnée. En situation d’urgence, je suis aussi volcanique ! Ça nous est arrivé d’être comme ça le même jour, et là, c’est pas très bon… Mais c’est fini ça, on se cadre, on s’équilibre.
Quand vous n’êtes pas d’accord, ça chauffe ?  
Jenny : Au début, tu testes les limites de l’autre. Quand tu t’associes avec quelqu’un, c’est un gros challenge sur le long terme… Mais maintenant, sur les choses importantes, on est toujours d’accord.
Ilan : Jenny sait comment me présenter les choses aussi, et puis on a les mêmes goûts. Il y a des artistes qu’elle me présente, mais ce n’est pas le moment. Alors elle m’en reparle six mois après et je me dis : « Ah oui, c’est pas mal… »
« Androgyne », « Twin flames » (âmes sœurs) font partie de votre vocabulaire. Ça vous définit autant que vos vêtements ?
Jenny : Oui. Androgyne, en grec ancien c’est andros, l’homme, et gunê, la femme. On trouve dans toutes les cultures cette idée de complémentarité masculine (la force) et féminine (la pensée). C’est important dans un duo créatif, même si ce sont deux personnes de même sexe, de retrouver les deux énergies. On se complète et on a une connexion philosophique et spirituelle. Ça empêche de s’enfermer dans une idée, d’être trop sûr de soi et de manquer de recul.
Ilan : Et on a des savoir-faire différents. Jenny vient de l’art contemporain et de la presse mode [directrice artistique des magazines Numéro Homme et Beaux-Arts, elle fonde la galerie Nuke en 2009]. Moi, j’ai le côté entrepreneur, le stylisme, la vente [fondateur de la marque Faith Connexion en 2004]. On fait tous les mois des plans de bataille pour ne pas se perdre, et puis chacun part à l’action de son côté. Je lui demande son avis sur le produit et le commercial, Jenny me demande le mien sur le choix des artistes, l’image. On se met d’accord et puis après on fonce.
Jenny : À deux, tu peux te poser un peu plus et garder ton cap, sans te laisser influencer par les tendances qui changent tous les six mois. Avec le temps, on a acquis nos certitudes : on se les rappelle dans les moments de doute.

Luc Berchiche : « Les rochers traversent l’histoire de l’art, il y en a dans quasiment tous les tableaux, toutes les sculptures : de l’Antiquité au baptistère de Brunelleschi à Florence [bronze de 1401], jusqu’au Douanier Rousseau [notamment L’Arche de Noé, 1904]. »

La Fratrie
De l’un sur l’autre 

Comment serait l’île de Luc ? 
Karim Berchiche : Ça serait certainement une île montagneuse avec un sommet, parce que Luc aime l’escalade. Ça serait forcément une île avec un piton, une maison modeste, pas de piscine, de grandes baies vitrées et une architecture simple. Un petit cabanon posé au sommet d’un mont rocheux entouré d’une végétation méditerranéenne : chênes-lièges, oliviers, maquis. La cabane serait en matériaux high-tech, mais très basiques. Quatre murs, un fauteuil Eames et une petite table pour bosser.
Réaction de Luc : Complètement d’accord. Mais il manque la notion d’utopie.
Justement, à quelle utopie Luc ne croit-il plus aujourd’hui ? 
Karim : C’est délicat parce qu’il n’est pas idéaliste, c’est quelqu’un de pragmatique. Pour être artiste, il faut avoir un certain idéal, il faut y croire, sans se mentir, mais quand même y croire, sinon ça veut dire que tu es blasé, désillusionné. L’utopie politique, il n’y a jamais cru. Je répondrais a contrario : il croit que l’art peut sauver le monde ou du moins l’influencer.
Réaction de Luc : Parfaitement répondu. On peut faire semblant de croire à un bout de l’utopie politique, mais il y a toujours des contreparties et des lacunes très complexes. J’aurais pu répondre que la seule à laquelle j’ai cru, c’est celle de la bonté profonde de l’être humain. Pourtant, au-delà de tout déterminisme, il y a des gens qui agissent mal parce que c’est en eux ; à l’inverse de l’idée rousseauiste de l’homme bon perverti par la société. Je n’ai jamais eu de grandes croyances, j’ai toujours eu des doutes. Se dire que tu vas être artiste et que tu vas en vivre… Faut être sacrément rêveur, sacrément utopiste, sacrément forcené et délirant ! Nicholas Shakespeare a écrit : « Ils ont échoué parce qu’ils n’avaient pas commencé par le rêve. » [in La Vision d’Elena Silves, 1989] Je suis persuadé qu’à 90 ans j’aurai encore une âme d’enfant et que je m’amuserai de trucs complètement absurdes !
Reprise de Karim : Je vais compléter par une citation de Georges Bernanos que nous avons utilisée comme titre de sculpture : « L’espérance est un risque à courir […] » Ça rejoint l’idée que, sans croyance, c’est la fin de l’homme. Pour nous, ce n’est pas lié à la foi, mais à l’art.
Quel titre d’une de vos œuvres décrit le mieux Karim ? 
Luc : À quoi bon être maintenu en vie de manière artificielle ? Parce qu’il est dans une dynamique ce petit jeune, et que si la vie ne le brise pas avant ses 65 ans, il va poursuivre son chemin professionnel jusqu’à 150 ans ! Et après une petite baisse à 170, 180, il rebondira, et à 200 ans je pense qu’il sera bien, il sera en paix avec lui-même. Il. Veut. Vivre. Chaque. Instant. De. Son. Existence. Intensément. Comme un homme libre. Debout. Si on était deux mille ans en arrière, dans une société tribale, il serait debout avec un couteau, parce qu’à l’époque, si tu n’avais pas un couteau, tu n’étais pas un homme. Même maintenant, c’est pratique un couteau. Par exemple, en vie de manière artificielle, c’est être salarié, maintenu en perfusion. Ça correspond à quoi dans l’épanouissement d’un être humain ? C’est pour que la société fonctionne, d’accord, mais c’est quoi l’intérêt de toucher un salaire qui te permet d’acheter ta maison pendant vingt ans ? Comment ils ont calculé ça ? Qui a calculé ? À un moment, il y a des mecs qui ont rigolé : « Alors on va les faire travailler, on va essayer de faire en sorte qu’ils tiennent pendant vingt ans, comme ça ils nous font pas chier. »
Réaction de Karim : Très bien. Je pensais qu’il allait choisir Cutting Edge, qui représente un van au bord d’un précipice, la pièce emblématique de nos débuts…
La « possibilité d’une île » pour Karim, ce serait où ? 
Luc : Oh ! ça serait en Grèce. F-O-R-C-É-M-E-N-T au soleil. Une île chaude avec un passé, où il y a beaucoup de choses à trouver et à construire. On a déjà une île sur laquelle on va se réfugier : notre atelier. Il nous arrive de nous couper de toute vie sociale. Adolescents, on s’est coupés de tous nos potes pour des raisons… je ne me souviens plus trop, peut-être des principes. On a commencé à se construire comme ça, coupés du monde. Je ressens une immense violence quand on nous dérange dans les moments où on crée ou quand on fait des recherches archéologiques en montagne. Bon voilà, une île avec une histoire, sans présence humaine, mais avec des proches qui viendraient de temps en temps.
Réaction de Karim : Exactement. Avec des traces de présence humaine passées. Et pas n’importe quelle île. Pas Tinos, que j’ai visitée et qui est la plus pauvre au niveau historique, on y a juste recensé une espèce d’éléphant nain d’Europe. Décevant.
Vous construisez une solitude à deux…
Luc : Oui. Nos parents sont choqués d’avoir trois enfants sauvages (notre sœur est comme ça aussi), alors qu’ils ont une vie sociale extrêmement riche. Notre père est un homme politique, un patron de club de foot, il adore serrer des mains : « Tiens, il y a un humain, là-bas, on va le voir ! » Et nous : « Non, non, non… » Notre nature profonde, c’est d’être en forêt. On part souvent en expédition, quand on suspend nos sculptures dans la nature pour les photographier. Au milieu de rien, si un homme approche, on est dans une situation de chasseurs et certainement pas d’aller voir le mec. Les prédateurs, normalement, ils fonctionnent seuls, mais certains, un peu handicapés, s’associent pour être plus forts. Quand je suis arrivé à Paris, j’étais sauvage, mais avec toute ton habileté (à Karim), ta filouterie, tu as réussi à me faire sortir de ma coquille [il chante] : « Besoin de personne… »
Réaction de Karim : Deux loups solitaires qui ont besoin l’un de l’autre.
Quelle(s) question(s) aurais-tu envie de poser à ton frère ? 
Luc : Est-ce que tu m’aimes ? Où est passée la télécommande ?
Karim : Au-dessus du lecteur DVD… Ah, c’est pas facile, c’est vraiment pas facile, là, je crois que je ne peux pas répondre, c’est très impudique en fait…

Karim Berchiche : « Les rochers c’est dur à faire. Je me souviens de socles de statues. Celui de l’Alexandre de Pierre le Grand à Saint-Pétersbourg ou Rhinocéros d’Alfred Jacquemart au musée d’Orsay [1878, sur le parvis devant l’entrée]. »

Des uns aux autres

D’Each x Other à La Fratrie
Quelles sont les armes artistiques que l’un a et l’autre pas ? 
Karim Berchiche : Mon frère a un meilleur sens de la perspective, une intelligence spatiale. On est tous les deux angoissés, un peu paranoïaques, mais je pense être plus optimiste.
Luc : Avant tout, il a une incroyable faculté à faire caca du concept. Il chie du concept à des kilomètres… Il a le sens du mot. Il chie des titres. Je vais d’ailleurs lui faire l’honneur de lui créer ses toilettes. Ça s’appellera Time machine. Une machine à arrêter le temps.
Karim : Je me suis chronométré : je peux y rester une heure et demie. Henry Miller était aussi un grand lecteur de cabinets…
Luc : Karim maîtrise la couleur, le sens des mots, les volumes. Comme on peut le voir dans nos sculptures, il est l’artiste du rocher.
Karim : Voilà. Artiste rock’n’roll !

De La Fratrie à Each x Other
Comment entretenez-vous votre flamme créative ? 
Jenny : On veut toujours faire mieux à chaque collection.
Ilan : Ce qui est génial quand tu travailles avec des artistes comme vous, c’est que c’est illimité en termes d’inspiration, d’histoires à raconter…

Par Charlotte Beraud, photographie Johann Bouché-Pillon


Camille Renversade portrait harpie
Camille Renversade : 20 000 lieues sous les rêves
  • 18 December 2014/
  • Posted By : Magali Aubert/
  • 0 comments /
Fossiles, empreintes de Basilic et Kelpi naturalisé sont savamment répertoriés dans le laboratoire de Camille Renversade, seul et unique chimérologue connu.

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Jacques Dutronc ? Non, ça ne peut pas être lui, même si le jeune homme qui arrive est un spécialiste des phénomènes étranges, nous ne sommes pas en 1966. Camille Renversade avance vers nous, en copie jeune actuelle – « trop bien, oui, allons déjeuner ! » – du chanteur dont il connaît la ressemblance : « Ça se voit plus maintenant que sur les photos parce que j’ai perdu dix kilos cet été. » [Nous sommes en novembre 2012, nous l’avons rencontré pour Standard n°34, spécial explorateurs.] Il a probablement maigri lors de sa dernière expédition, à bord de son bateau ivre avançant contre les rouleaux de carton-pâte, à la chasse aux mystères. Camille est chimérologue. Un métier qu’il a inventé et dont il est le seul pratiquant – ça plairait à Dutronc.

Camille Renversade est né (à Lyon) trop tard pour découvrir des trésors merveilleux : « J’aurais aimé faire partie de ces scientifiques, chercheurs, photographes, dessinateurs qui, jusqu’à la fin du xixe siècle, partirent à la découverte de nouvelles contrées éloignées, à la recherche d’animaux ou de plantes inconnues. J’aurais aimé, au retour, organiser des conférences, exposer des échantillons dans les cabinets de curiosités. » Alors, il fait comme s’il avait pu mettre la main sur des êtres que personne n’a encore réussi à trouver : animaux fantastiques, monstres marins et autres dragons auxquels se consacre la cryptozoologie. Le Kraken (grand serpent de mer) ou le Bunyeep (le monstre du Loch Ness australien), ce spécialiste les fabrique, en résine la plupart du temps, et monte depuis ses 10 ans des voyages aux préparatifs laborieux, aux viatiques centenaires et aux destinations captivantes. Dans sa chambre d’abord, puis dans l’appartement qu’il investit après ses études de dessin à l’école Emile Cohl.

Sa passion pour le détail historique l’oblige à bricoler les objets et coudre les vêtements qu’il ne trouve pas en chinant : « Je n’ai encore jamais vu nulle part ces gants reliés par une lanière qu’on portait pour les expéditions polaires. » Quand un objet est indispensable pour attraper des créatures mais n’existe pas, il le crée également ; c’est le cas du paralapidescoscope, très belle boîte à miroir qui permet de ne pas se laisser pétrifier face à un Basilic apeuré.

 

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Kraken et Bunyeep
Avec l’« elficologue » Pierre Dubois, célèbre pour ses grandes Encyclopédie des lutins, Encyclopédie des fées et des elfes (Ed. Höebecke), Camille publie Dragons et Chimères : carnet d’expéditions et reçoit le prix Imaginales d’Epinal (qui récompense la meilleure œuvre de fantaisie) en 2009. A 26 ans, il voit sa passion légitimée. Son grand-père, botaniste farfelu qui lui a donné ce goût pour la recherche, disons… surannée, n’est plus là pour apprécier. C’est de lui que Camille a hérité les bocaux, les grimoires ; et chez son autre grand-père, pharmacien et collectionneur d’ouvrages scientifiques anciens, récupéré les vieilles fioles et les microscopes des années 1900. « Je me documente dans des ouvrages comme Mon expédition au Sud Polaire (1914-1917) d’Ernest Shackleton, j’ai même trouvé la première édition, un grand livre vert de 1928. Des films comme La Vie privée de Sherlock Holmes [Billy Wilder, 1970] ou 20 000 lieues sous les mers [Richard Fleischer, 1954] m’ont beaucoup inspiré, respectivement pour le sous-marin en forme de monstre et le calmar géant. »

L’exposition itinérante Cabinet de curiosités s’est terminée en septembre au château de la Tour d’Aigues dans le Luberon. Elle présentait les aventures de Camille Renversade et son équipe (« mon père, mes oncles, et ma sœur qui a fait la femme à barbe dans mon premier livre ») en quatre espaces : le campement des explorateurs, le laboratoire des monstres aquatiques, la mine des dragons et le cabinet de curiosités du Club des Chasseurs de l’étrange. Rien d’intrigant à lever, tout est scrupuleusement inventorié dans de petits carnets jaunis qui deviennent des livres.

 

 

L’expo actuelle

Histoires surnaturelles – Les Créatures Fantastiques
Deyrolle, Paris
Jusqu’au 31 janvier

Les livres

Créatures fantastiques
Avec Jean-Baptiste de Panafieu
Ed. Petite Plume de carotte, 29,90 euros

Monstres marins 
Avec Frédéric Lisak, Ed. Petite Plume de carotte, 2011, 173 pages, 29 euros

L’Herbier fantastique 
Ed. Petite Plume de carotte, 2010, coffrets de dossiers, 29 euros

Dragons et Chimères : carnet d’expéditions 
Avec Pierre Dubois, Ed. Höebecke, 2008, 128 pages, 30,40 euros

 


Pauline Martinet & Zoé Texereau Sans Titre (jardin) mine graphite sur papier, 2014
Le soleil gris de Martinet & Texereau
  • 15 October 2014/
  • Posted By : Magali Aubert/
  • 0 comments /
Au critérium sur papier sans grain, « sinon ça gomme mal », Pauline Martinet et Zoé Texereau répètent selon un protocole rigoureux des traits qui prolongent le regard dans le présent suranné d’un souvenir pas trop vieux.
Pauline Martinet & Zoé Texereau Résidence 2, mine graphite sur papier, 2013

Résidence 2, mine graphite sur papier, 40x-30 cm, 2013 – « La Grande Motte était une série de photos développée en 6×6.
Sinon, on se sert de cartes postales d’Emmaüs, de prospectus. »

Nous sommes en mars, au salon Drawing Now, à l’espace du Carreau du Temple qui, après un arrêt pour travaux de rénovation et fouilles archéologiques, vient de rouvrir. Au détour des parois blanches, la galerie parisienne Bertrand Baraudou présente des bristols aux lignes grises comme reflétés d’un passé proche, celui de la photographie, de la disparition déclenchée par un clic, de l’instant qui s’éloigne sans qu’on s’en aperçoive. Ces archéologues du présent sont des jeunes filles, Martinet & Texereau, qui dessinent à quatre mains depuis 2010, année de leur diplôme à l’ENSAD (l’École nationale supérieure des arts décoratifs), où elles rendaient leurs travaux ensemble.
« On a commencé en deuxième année avec un sujet sur la piscine municipale. Notre première contrainte était de dessiner à deux sans que ça se sente », commence Pauline. Comme elles n’ont pas le même trait, elles s’imposent un cadre mis en place « instinctivement, avec des outils très simples : un papier, un critérium, une règle. On a débuté par des paysages géométriques qui ne permettent pas trop d’erreurs. On a dû zapper notre liberté et prévoir des croquis, la composition, pour qu’il n’y ait pas de surprise dans la réalisation de l’une et de l’autre. » Après avoir tablé sur le sujet et le cadre, le dessin n’est plus qu’une tâche à accomplir. Elles grattent leur feuille chacune de leur côté « avec le même détachement qu’un employé quand il tape un rapport ».

Pauline Martinet & Zoé Texereau Plante 1, mine graphite sur papier, 2014

Plante 1, 50x40cm, mine graphite sur papier, 2014 – « L’Héliotropisme, c’est l’attraction par le soleil : les tournesols ou
les populations qui partent en Floride… »

Pauline Martinet : « Comment représenter quelque chose qu’on ne regarde pas ? »

« On s’est trahies »
Après leur rendu scolaire, Le Fond de la piscine, elles augmentent la difficulté en choisissant des sujets moins architecturaux. Zoé la jolie brune justifie cette entente : « On avait la même idée à développer : l’ennui pendant l’enfance. » Pauline la jolie blonde continue : « J’ai fait mon mémoire sur la représentation du quotidien dans l’art. La banalité m’a toujours intéressée : la peinture flamande, les scènes du quotidien, la nourriture… Quelle est la manière de représenter quelque chose qu’on ne regarde pas ? Les lieux qu’on fréquente sans les voir ?» En devenant amies, Pauline et Zoé s’aperçoivent que leur attirance pour les mêmes sujets n’est pas un hasard : « On a des souvenirs en commun, comme le bruit de la Formule 1 à la télé le dimanche après-midi. » Un thème qu’on retrouve dans la série Pauses (2010), zapping de 47 peintures scrutant à la mine les interminables programmes des dimanches désœuvrés. « La télévision est la chose la plus simple à regarder. C’est un élément central de l’enfance en province. Ça n’est pas négatif, tout notre intérêt pour le quotidien et la banalité vient de là. » Pauline a grandi à Cournon-d’Auvergne, à côté de Clermont-Ferrand, ses parents sont instits. Zoé à Mont-de-Marsan, dans les Landes, de parents médecins. Loin du milieu artistique. « Des petites villes-dortoirs, pas spécialement jolies, pas spécialement moches non plus. On a choisi l’art appliqué assez tôt, dès le lycée, pour créer des objets esthétiques en rapport avec la réalité. Avec nos dessins, on s’est trahies, mais peut-être que ça va nous rattraper. »

Pauline Martinet & Zoé Texereau Sans Titre (jardin) mine graphite sur papier, 2014

Sans Titre (jardin) 100×70 cm, mine graphite sur papier, 2014

Se faire rêver avec peu
Elles ne cherchent pas à confronter ni à faire dialoguer leurs écritures, mais à en créer une nouvelle. « On ne commence rien tant qu’on n’est pas d’accord. Ce qui est rare. C’est tellement long, ça ne nous intéresse pas de faire chemin seules pendant un mois. On a toujours deux planches en cours pour ne pas se retrouver ensemble sur la même feuille. De nos différences, on a développé des spécifications. Par exemple, moi, poursuit Zoé devant un thé, je suis sur tout ce qui est végétation. Au-delà de mettre en commun des idées et des envies, travailler à deux est un moyen de sortir l’acte de son côté solitaire, de désacraliser le lien entre le dessin et son dessinateur. » Chez elles, une planche n’est jamais seule : « On imagine l’ensemble comme un répertoire sociologique. Quand une piste nous intéresse, on peut mettre un an pour trouver la manière de l’évoquer. Notre petit livre de collection de photos de piscine nous a pris trois ans. On les a découpées dans des magazines et des brochures. On a commandé tellement de docs sur internet que Costa Croisières ne nous lâche plus ! »
La piscine revient souvent, étudiée sur Google Images : « Quand on voit qu’il y en a pratiquement dans chaque série, on cherche des explications. Comme la végétation ou les lieux vides. En ce moment, on est attirées par les treillages. Hyper figuratifs, ils sont souvent abandonnés dans les cours, un peu ridicules. On aime les vitrines abandonnées, où les plantes ont pris le dessus », analysent-elles ensemble. Comment se faire rêver chez soi avec peu. « Les Américains sont très forts pour ça avec leurs palmiers en bois et barbecues peints dans des abris anti-atomiques. » Elles se revendiquent pourtant plus d’Ed Ruscha que de David Hockney.

Pauline Martinet & Zoé Texereau Glissière 5-6 polyptyque mine graphite sur papier 2010

Glissière 5-6 polyptyque, 100×70 cm, mine graphite sur papier 2010 – « On a pris des photos pour voir comment le paysage se floutait. »

Zoé Texereau : « Désacraliser le lien entre le dessin et son dessinateur. »

Faire péter le lambris
Pourquoi Paris ? « Je me suis dit qu’il fallait que j’habite là, avec toutes ces moulures, répond Zoé. Cette ville était différente de tout ce que j’avais connu : “Maman, dans ma chambre, est-ce qu’on peut faire péter le lambris ?” Et on avait conscience que cela se passerait plus ici. » Dans leur atelier à la Bastille, elles se retrouvent tous les jours à partir de 10h, jusqu’à 19h, 20h, 21h. « L’avantage à deux, c’est d’avoir une discipline. Ça n’est jamais arrivé qu’une ne vienne pas », assure Pauline, qui travaille un jour par semaine dans la galerie d’art cinétique et géométrique Nery Marino, tandis que Zoé bosse au café du musée du jeu de Paume. « Nos œuvres ne paient pas le loyer ; on sait qu’il faut être patientes, pragmatise Pauline. On s’était tellement préparées à ce que ce soit dur que, finalement, on trouve que ça s’enchaîne : toujours une expo, un projet en cours… On aimerait que ça aille plus vite et on ne peut éviter les moments d’angoisse, mais se donner une deadline pour réussir, c’est le meilleur moyen de stresser et d’être déçues. »

Pauline Martinet & Zoé Texereau Perroquets 2 mine grahite sur papier 2012

Perroquets 2, 4×36 cm, mine grahite sur papier 2012 – « Pas d’ordinateur, sauf pour composer certains motifs. »

Avec pour motivation de gagner ce pari ensemble, Pauline Martinet et Zoé Texereau – déjà plusieurs expos à Paris (Héliotropisme à la Galerie Bertrand Baraudou en 2014, Tropiques au Garage en 2012) – restent prudentes : « À 23 ans, c’est prétentieux de se dire que ce qu’on va faire va plaire. On partage les bonnes nouvelles et on encaisse les moins bonnes à deux, c’est plus rassurant. » Elles passent juillet et août en résidence à Trondheim pour crayonner les plantes et des architectures du nord de la Norvège. Vont-elles y trouver du treillage abandonné ? Réponse au centre d’art Midnattsol, qui exposera les feuilles qu’elles auront noircies pendant leurs longues journées sans nuit.

 


philippe katerine
Philippe Katerine : « Putain, j’suis un chamane, merde ! »
  • 16 April 2014/
  • Posted By : Richard Gaitet/
  • 0 comments /
L’homme-banane est de retour. Avec Magnum, neuvième album électro-kitch, Philippe Katerine enfile son costume de capitaine pour une traversée 80′, ambiance La croisière s’amuse. En avril 2012, c’est en maître de cérémonie que le chanteur moustachu s’était présenté pour répondre à un interview spécial rituels (voir Standard n°35). Un uniforme tout aussi sexy cool.
philippe katerine1

©Louis Canadas

« Comme un ananas j’ai passé ma vie à moitié entier, à moitié en tranches, à moitié debout, à moitié qui penche », gribouille Katerine, 43 ans, recopiant ce vers de Julien Baer pour baptiser son nouveau livre et l’expo qui va avec – voir encadré. Dada chanteur vice-versa (Je vous emmerde, Des bisous), réalisateur recousu (Peau de cochon) et acteur aigu (Capitaine Achab, Peindre ou faire l’amour), le Vendéen nous donne rendez-vous au Café du Trocadéro, près de son domicile. De retour d’un séjour au Québec, Philippe surgit, gentil, en retard, vêtu d’un pantalon blanc, d’un beau béret titi et de ce pull-over à tête de cerf, nous entraînant après l’interview au cimetière de Passy, surplombant la place, pour des photographies réalisées juste à côté de la tombe de Marcel Dassault (1892-1986), de manière fort respectueuse.

Comme un ananas s’ouvre sur votre diplôme de chevalier des arts et des lettres, daté de juillet 2011. Comment s’est passée la cérémonie ?
Philippe Katerine : Je n’y suis pas allé. Ça vous arrive par courrier, sans qu’on n’ait rien demandé, on est reçu je ne sais pas où, on te donne ta médaille et t’es censé être content. Ça m’a fait sourire, j’étais même fier pendant trente secondes, après ça m’a déprimé toute la journée.

Pourquoi ? C’est gênant, le côté artiste officiel ?
Horriblement. C’est comme un diplôme de bonne conduite. Dans ma scolarité, je détestais les diplômes. Avoir mon bac m’a complètement déprimé aussi.

Que vous évoque le mot « cérémonie » ?
L’idée de quelque chose de prévu, qui peut être de l’ordre de recevoir des gens à dîner, ou de s’y rendre, ce qui peut générer énormément de stress. Ce que j’aime, c’est quand c’est improvisé.

Un concert est-il une cérémonie ?
Oui.

Suivez-vous un rituel avant de monter sur scène ?
Nan. Bizarrement ça ne me génère pas du tout de stress, parce qu’au fond le rituel du concert, j’en suis un petit peu responsable. Etre le maître de cérémonie, c’est mieux. Peut-être que je veux de la maîtrise.

Vous allez aux concerts des autres ?
De moins en moins. Et ça m’angoisse de plus en plus. Le dernier que j’ai vu, c’était [le pianiste américain] Nicholas Angelich, qui jouait Beethoven : angoisse totale. Voir quelque chose commencer et finir, ça me crispe énormément.

Idéalement, vous aimeriez vivre… dans la continuité, sans débuts ni fins ?
Dans la permanence, oui. Voir une pièce de théâtre, il n’y a rien de pire pour moi : j’ai le trac pour eux. Quand je commence un livre, je ne le finis jamais. Quand je vais au cinéma, j’aime assez sortir avant la fin. L’autre jour, je suis allé voir Vas-y fonce, réalisé par Jack Nicholson [1971], et c’est ce que je me suis dit, vas-y, fonce. Le film était très bon, mais j’ai préféré sortir avant la fin. J’aime filer à l’anglaise. Dans les fêtes, j’aime partir sans dire au revoir.

Quand vous faites l’amour, vous partez aussi avant la fin ?
Partir d’où ?

De la chambre, du lit.
C’est pas un rituel, ça.

Philippe Katerine : « Je me souviens que les époux étaient à genoux, face à moi. Ils se sont embrassés, j’ai caressé leurs cheveux. »

Il y a des rituels amoureux. La Saint-Valentin ?
Il faut être fort pour en sortir grandi. J’évite, justement. Je ne m’en sens pas les épaules, encore. Il faut être très fort pour affronter ce rendez-vous. La Fête de la musique, pareil.

Et vos anniversaires ?
Super angoissant, aussi. Si on m’organise des fêtes-surprises, je pars.

Vous détestez les règles, le protocole ?
Non ! J’adore. Je suis un fou de règles ! Quand il y a des contraintes, ça me plaît beaucoup. Sinon il n’y a pas de liberté. Pour jouer, j’ai vachement besoin de codes.

Recherchez-vous la transe, la communion avec le public ? Etes-vous un chamane pop ?
Ah non. Parfois la communion arrive, mais il ne faut pas la chercher. Même si les gens adorent les gourous.

Vous avez déclaré : « Je vais chanter aux Victoires de la musique parce qu’on m’invite. Mais bon, tout ce qui est prix, tout ça… Ce milieu se repaît de ce genre de manifestation, placée sous le signe du décorum. Très peu pour moi ! »
Même quand je faisais du basket et qu’on gagnait, je n’allais pas sur le podium, ça me dégoûtait. Etre vainqueur, c’est toujours une défaite.

Vous regardez les césars, les oscars ?
Non. Trac.

Pulsion de mort ?
Tiens, vous aussi, vous êtes obsédé par la mort ? On est fait pour s’entendre. Un spectacle, oui, ça me fait penser à la mort. C’est affreux, hein ? Qu’est-ce qu’on fait après… ? Le temps s’écoule.

Un show, c’est une vie condensée ? Une mini-vie ?
Oui, on peut penser à ça. Et puis évidemment le rituel du sacrifice, passionnant.

D’ailleurs, dans Louxor, j’adore, les gens finissent par vous découper : « … Pendez-moi la tête en bas comme la dernière fois. »
Complètement. Putain, j’suis un chamane, merde ! Mais toute activité artistique est chamanique. L’artiste, c’est celui qui s’arrête pendant que les autres continuent à marcher. Je m’en suis rendu compte pendant que je dessinais mes aquarelles pour le livre, dans la rue. C’est ma fonction dans cette société : j’ai vu quelque chose et je m’arrête. Après, une fois qu’on a sorti cette théorie, vaut mieux en rire.

Ne pas trop se prendre au sérieux ?
Ouais, faut faire gaffe, ça peut mal tourner.

Le rituel c’est aussi la répétition, motif récurrent de votre dernier album, Philippe Katerine [2010] : Liberté, Juifs-Arabes, Bien Mal, Bla-bla-bla…
J’aime jouer avec ça. C’est un acte qui va vers l’imaginaire et développe l’inattendu. Il faut l’aimer, la choyer, c’est une amie. Je suis un fou d’Andy Warhol. Quand j’ai lu sa Philosophie de A à B et vice-versa [1971] en rentrant à la fac, ça a changé ma vie. J’y ai repensé ce matin parce que j’ai relu des extraits. Je suis frappé par ce goût de l’artifice, beaucoup, et par des audaces folles : quand il dit qu’à Pékin ou à Moscou ce qu’il y a de plus beau, au fond, c’est le McDo. Le profond n’est pas forcément au centre de la terre.

philippe katerine - illustration

Vous aimez les mariages ?
Pas beaucoup, non.

Vous vous êtes déjà marié ?
Ah oui, ça m’est arrivé.

C’était comment ?
Pas à l’église. A la mairie, dans une petite ville de Vendée. Donc j’étais un peu déçu.

En quelle année ?
En quelle année ? Ça sert à quoi de dire ça ?

Années 90 ?
Fin des années 90.

Il y avait beaucoup de monde ? Mariage-concept ?
Non. Je n’avais pas la tête à conceptualiser quoi que ce soit. J’étais trop…

Amoureux ?
Victime. Victime de moi-même. Trop passif peut-être. Souvent passif. Mais il faut avoir du corps pour envisager un mariage tel qu’on le voudrait.

Comme votre union avec le président du Groland, en janvier 2008, à la mairie de Mufflins ?
On s’est rencontré autour d’une bière, puis de deux, puis de trois, et on est tombé dans les bras l’un de l’autre. Notre relation a été très brève, une semaine environ. Mais intense. Le jour de la cérémonie, il y avait peu de foule, c’était plutôt en catimini – comme si on s’était caché sous une voiture.

Vos noces idéales, ce serait quoi ?
Quelque chose d’un peu d’improvisé, pas forcément officiel. Qui s’apparente à un rêve.

En Chine ? Votre premier album s’intitulait Les Mariages chinois [1991].
Non, c’est différent : les mariages chinois, c’est un jeu entre enfants auquel on jouait beaucoup en Vendée. Vous avez une rangée de garçons, une rangée de filles, l’une en face de l’autre, et chacun avait des numéros de 1 à 10. Quelqu’un donne un numéro, et si tu as le no8 tu dois embrasser la fille no8, et les deux doivent finir leur vie ensemble. J’adore cette confiance du hasard, et le fait qu’on n’a pas d’autre choix que de finir ensemble.

Etes-vous allé à beaucoup d’enterrements ?
Très peu, moins de dix. J’ai vécu peu d’expériences, mais elles étaient assez traumatisantes. Ça déclenchait des réactions physiques, vers le vomissement. Je ne suis pourtant pas quelqu’un qui vomit énormément.

Vous vomissez après les funérailles, chez vous, dans l’intimité ?
Oui. Ou à côté, sur un terrain de foot, j’ai beaucoup vomi sur les terrains de foot, en Vendée, après des enterrements. Dans la surface de réparation. C’est curieux.

Comment imaginez-vous le vôtre, d’enterrement ?
J’aimerais quelque chose de nu, minimal, sur un terrain vierge. Très beau, hein. Avec peu de gens, pas de chaises, pas de musique.

Epitaphe ?
« C’était perdu d’avance. »

Les baptêmes, vous aimez bien ?
Ah non, c’est odieux. Ma fille n’est pas baptisée. Je trouve vraiment trop dur pour un enfant qu’on lui jette comme ça des sorts – car c’est jeter des sorts. Comment faire après pour s’en aller de ça ? L’enfant est incapable de protester, pourtant souvent les enfants pleurent. C’est violent.

Vous jouiez un moine dans Le Voyage aux Pyrénées d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu [2008]. Suivre – ou parodier – les règles de la liturgie, ça vous plaît ?
Oui, bien sûr. On peut trouver ça ignoble, mais extrêmement touchant, aussi. Ça me touche de savoir que mes parents m’ont fait baptisé à l’âge de trois semaines ; ça part d’une bonne intention : on baptise les gens pour ne pas mourir comme un chien.

Avez-vous assisté, à l’étranger, à des cérémonies folkloriques ?
Non, mais j’ai marié des gens, en Bulgarie. Un couple gay, deux Bulgares que je ne connaissais pas. Ils m’ont désigné comme prêtre, donc je les ai bénis, dans leur langue – cérémonie improvisée. J’étais en tournée avec Anna Karina, après un disque avec elle [Une Histoire d’amour, 2000], nous étions reçus dans les ambassades, et dans l’une d’elle, on s’est retrouvé à une trentaine dans ce mariage très amusant – le plus beau que je n’ai jamais vu de ma vie. Je me souviens que les époux étaient à genoux, face à moi. Ils se sont embrassés, j’ai caressé leurs cheveux. Il y avait quelque chose de très tendre – à la fois tendre et douloureux.

Autre chose à l’étranger ? Un rituel tribal ?
J’ai adoré le rituel d’un match de basket-ball de la NBA à Portland, en 1996. L’hymne national avant, c’était très impressionnant. Parfois ils passent Y. M. C. A. de Village People et tout le monde fait la chorégraphie, c’est très fort aussi. Ça, c’est vraiment inscrit dans une civilisation.

philippe katerine

Vous voyagez beaucoup ?
Oh, bof. Je reviens du Québec, là. J’ai fait Star Academy, trois ou quatre chansons avec les élèves. Après l’émission, dès que les gens me voyaient, ils criaient « La Banane » [allusion à son tube de 2010]. Je n’étais plus un être humain, j’étais une banane. J’ai pris ça comme un hommage.

Le 6 février dernier, Elisabeth II a fêté ses soixante ans de règne. Pensez-vous que pendant ce jubilé d’argent, elle se soit dit, comme dans votre chanson : « Bonjour je suis la Reine d’Angleterre et je vous chie à la raie » ?
Elle n’a pas besoin d’une cérémonie pour le penser, le rituel n’est pas propice à ça. Quand on est dans le rituel, il faut être 100 % d’accord avec ce qu’on fait, sinon c’est raté. C’est pour ça que les rituels sont la plupart du temps des échecs. T’as pas le droit au doute, dans le rituel. Non ? Sinon c’est tragique.

Vous avez grandi dans une famille catholique. La religion, toujours présente ?
Très présente. Je pensais avoir réussi à m’en éloigner un peu, mais en fait, pas du tout, j’y reviens – et ce n’est pas plus mal d’ailleurs. J’essaye d’accepter la mamelle de culpabilité du catholicisme, qui donne souvent des êtres extrêmement pervers. Ce que je suis. Je m’en suis aperçu il n’y a pas très longtemps, après une conversation avec un copain batteur. Je suis pervers, effectivement.

Philippe Katerine : « Je suis un fou de règles ! »

Au sens manipulateur ?
Je n’ai pas d’objectif très précis, pas de volonté de faire mal, mais c’est évident que je joue avec autrui. [Il sourit. Silence.]

Et le côté obscur du catholicisme : sorcellerie, messe noire, spiritisme ?
En Vendée, l’un ne va pas sans l’autre, sorcières et voyants sont très présents aussi. Quand j’étais adolescent, je faisais beaucoup de spiritisme : on faisait tourner les tables avec des verres, on parlait avec les mains. Je constatais qu’une force nous dépassait, ce que je pense toujours.

N’est-ce pas la force électromagnétique des êtres autour de la table ?
Si, bien sûr. Et tous nos ancêtres qu’on promène avec nous : des milliers de personnes ! Retourne-toi et tu verras ! [Il rit.] Parfois, on parle aussi avec la voix d’un autre.

Prochaine célébration ? De quoi sera fait 2012, pour vous ?
D’un projet qui me plaît bien – parce justement on s’échappe du rituel et des habitudes : une petite pièce de théâtre à Beaubourg, que je commence tout juste à écrire, et qui sera mise en scène avec le designer Robert Stadler. Un Autrichien. Une pièce avec ses objets, dans lequel je jouerai certainement. C’est pour la rentrée, c’est trop tôt pour en parler, mais je crois que je vais pleurer beaucoup – même si j’ignore encore les raisons de toutes ces larmes. Je n’arrive pas à pleurer dans la vie, j’aimerais le faire en public. Pour le moment, j’appelle ça La Pièce, tout simplement. Une pièce sur ses pièces à lui. Nous ne sommes que ça : des pièces dans des pièces.

Un livre, une expo : De la banane à l’ananas

comme un ananas - katerine

Le terme « touche-à-tout » est un cliché abondamment utilisé dans la presse culturelle. On est toutefois obligé de l’employer dans le cas de Philippe Katerine, chevalier de l’ordre des arts et des lettres (ouais), chanteur, acteur, réalisateur, qui présente aujourd’hui une exposition doublée d’un livre (ou l’inverse) intitulés Comme un ananas. L’ouvrage est un bric-à-brac (cliché) de collages photos, de croquis sur Post-it, de dessins en diptyque représentant des personnalités politiques de droite dans des situations étranges (« François Fillon + Pétanque » ou « Christine Boutin + Trou ») et d’auto-interviews (« – Tous ces gens de droite ont commencé à me hanter dans mes rêves, j’en voyais partout, même dans ma salle de bains. – Qui ? – Alain Juppé. »). On pense à Chaval pour le trait, à Pierre la Police pour l’absurde.

Ce pourrait être simplement potache, c’est surtout léger, épuré, parfois mélancolique. On frôle le poétique. L’expo proposera un parcours à travers les œuvres contenues dans le livre. Visite virtuelle : « Il y aura tout un parcours, physique. Une géographie. Tu auras les yeux dans le noir sur tout un couloir – qui ressemble à un couloir de la mort –, tu retrouveras les diptyques politiques à gauche et après Marine Le Pen, tu arriveras dans un sas complètement noir censé, j’espère, te foutre les jetons. Là, tu ouvriras une porte et tu seras face à une sculpture, un totem. » Après ça, Katerine fera du théâtre. En vingt ans de présence artistique, l’animal n’a cessé de renouveler ses formes d’expression. Et, ce qui est remarquable, sans jamais glisser sur une seule peau de banane.

 

Livre
Comme un ananas
Denoël

Par Julien Blanc-Gras & Richard Gaitet
Remerciements Jessica Dufour


Théo Mercier interview
Théo Mercier : Du futur faisons table rase
  • 26 March 2014/
  • Posted By : Magali Aubert/
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Nouveau projet pour l’héritier des surréalistes, Théo Mercier. Accompagné du groupe éléctro trash Sexy Sushi, l’artiste présente ce week end au MAC de Créteil une comédie musicale aux allures de performance timbrée. Retour sur un interview de 2012 ( voir Standard n°34) quand l’adepte du beau bizarre formulait ses délires sur des sculptures totémiques.

Theo Mercier Portrait magazine standard

Une première exposition il y a seulement deux ans, des articles dans Le Monde, Art Actuel, Beaux-Arts, le Los Angeles Times… Comment expliques-tu ce succès ?
Théo Mercier : Je rassure parce que je ne parle pas d’art. Je fais des propositions accessibles avec plein d’accès possibles, dont la satisfaction visuelle. Elle passe par la forme, la couleur, la matière, et surtout le déploiement d’un imaginaire, ce qui se fait de moins en moins. La scène française propose plutôt des questionnements, du recul…
Tu suis ce qui se passe ?
Par la force des choses, mais je suis plus attiré par la musique et le cinéma. Je me voyais grand bandit ou rock star. Je vais au concert au moins une fois par semaine, ça va du baroque au punk, du black metal au R&B, de Nine Inch Nails à David Bowie. Artiste, ça ne m’a jamais fait rêver. D’ailleurs, j’ai fait des études de design industriel spécialisé en ingénierie, un truc assez raide.
Le public te découvre en 2010 (nous bien avant, dans Standard no 23) avec Le Solitaire (énorme « Barbapapa » blanc sur une chaise). Même Martine Aubry, Fanny Ardant ou Sophie Marceau se sont fait prendre en photo devant…
C’est ce que j’appelle une œuvre touristique. J’aimerais les avoir, toutes ces photos. Cette pièce a fait parler [elle fait désormais partie de la collection de la Maison rouge], mais ce n’est pas la plus marquante. Elle crée une émotion avec le regard, avec sa masse en similispaghetti [des cordelettes enduites de silicone]. Le monumental qui parle de l’intime. Ce monstre peut évoquer le travail de l’artiste.
Quelle pièce préfères-tu ?
La Bête à deux dos. Elle décrit l’ambiguïté que j’aime : est-ce qu’on doit rire ? avoir peur ? est-ce que c’est gentil ? Des mains réalistes – fascinantes et dérangeantes parce qu’elles sont humaines et surdimensionnées – dépassent d’une boule de fourrure, on ne sait pas ce qui se cache dessous, si des personnes se protègent ou s’embrassent, ou si c’est un seul et même monstre. Je l’ai faite pour la Fiac cette année mais l’avais dessinée il y a quatre ans.
Theo Mercier portfolio magazine standard
Tu es très productif. Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter d’autre ?
Rien. Après, c’est pas un boulot facile… Dans mes périodes d’atelier, c’est six jours par semaine, à heures fixes, de 9 heures à 20 heures, des horaires de bureau [rires]. Mais la grosse partie du travail est en dehors : la communication, l’organisation, le transport, les dessins, l’intendance…
Financièrement, tu ne mènes plus une vie d’artiste ?
Je l’ai menée à Berlin où j’ai été serveur pendant deux ans, en vivant dans des squats. Maintenant je peux payer mon loyer, mais pour combien de temps…
Ne te fais pas de soucis, tu es le seul à pouvoir rendre totémique un arbre à couilles
Toutes roses, toutes molles, on dirait du chewing-gum alors qu’elles sont censées parler de virilité. Il n’y en a plus dans ma dernière exposition [Le Musée des arts seconds, Galerie Gabrielle Maubrie en octobre dernier].

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Non… mais il y a un nez-bite.
On est bien d’accord, ce n’est pas des blagues, on est dans le jeu. Même s’il méprise l’humour, l’art n’est pas fait pour pleurer ! Ça peut faire rire, mais on peut aussi être ému ou effrayé…
Il n’y a qu’à voir la home de ton site : squelettes, pierres tombales et l’inscription DEATH qui réserve une surprise sanglante.
Et j’avais le look gothique entre 16 et 19 ans. Le culte, l’effrayant, les vampires, les châteaux hantés, les sacrifices humains me fascinent.
Les dessins animés, les séries B ?
Je n’ai jamais eu de télé. Mes parents sont dans le cinéma, mon père dans la déco et ma mère costumière : pas de télé. Je me faisais chier, alors je faisais des trucs. Je vais beaucoup au cinéma. Dernièrement, que des déceptions : Contagion [de Steven Soderbergh], Hors Satan [de Bruno Dumont]… Le Tintin [de Steven Spielberg], une cata.
Tu travailles avec la plus grosse équipe d’effets spéciaux de France…
Oui, des gens qui m’aident depuis mes débuts : No Man’s Land, à Saint-Ouen. Ils font tous les films de Besson, Jeunet… Les pièces à échelle humaine, je les fais à l’atelier avec mon assistant, et les grandes, celles qui nécessitent des résines, des trucs chimiques un peu osés, ils s’en chargent.
Te positionnes-tu parmi les héritiers des surréalistes ?
Pour le travail sur le rêve, peut-être, c’est la dernière période à avoir travaillé sur l’imaginaire ; mais je ne le revendiquerais pas, je ne connais pas assez, et surtout : j’essaie de ne pas parler d’art.
Comment en es-tu arrivé là, alors ?
Depuis tout petit, les potions m’intéressent. Mes connaissances techniques, je pensais les appliquer à des bouteilles de shampooing. J’ai été stagiaire chez Matthew Barney, qui travaillait avec des plastiques et qui ouvrait des portes que j’étais loin de soupçonner ! C’est en le regardant que je me suis dit que c’était super comme boulot. Alors, plutôt que des objets design, je fais des sculptures en acrylique. Mes squelettes, je les recouvre, même quand ils sont vrais.
De vrais squelettes ?
Tu es de la police ? J’ai mes petites adresses. Ça n’a jamais posé de problème.

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Dentiers, crânes, bananes, glands : une sémantique assez variée…
Je ne suis pas un artiste conceptuel, le sens vient après. J’essaie d’apporter un regard décomplexé sur ce qui peut paraître obscène ou tragique. Les familles mexicaines picolent et jouent de la musique sur les tombes : des rires, des jeux, des musiciens… la mort rieuse, j’y crois vraiment.
Pourquoi inclure des objets d’art africain dans tes nouvelles pièces ?
Parce que les arts premiers ont une fonction usuelle, sans discours.
Et qu’il y a quelque chose d’enfantin dans les masques ?
Non. Je ne fais rien d’enfantin, tout est très maîtrisé, le traitement des peintures (huit couches avec des dégradés) et des formes n’est pas naïf. Rien de spontané, aucun hasard, la moindre ouverture de bouche est calculée. Je suis un vrai maniaque, parfois j’aimerais avoir une gestuelle plus libre.
« Don’t make love if you have something better to do. » Cette phrase sur ton site, c’est ta devise ?
Non, ça vient d’un album de hip hop, je les change régulièrement en fumant des pétards.
Tu n’as pas de phrase qui t’aide à rester droit dans la merde ?
Puisque je détourne des choses graves, en général, je prends celle-ci, elle est pas mal, merci : rester droit dans ma merde.

Voir son portfolio dans Standard n°23 spécial cosmos.

Theo Mercier portfolio magazine standard
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Theo Mercier couverture livre cover book deep-and-hard MonographieA l’occasion de la sortie de All You Can Eat (éd. Dilecta) une monographie en signature demain soir à la librairie Yvon Lambert, (textes de Jean-Max Colard, Stéphane Corréard, Tania Rivera et de Jérôme Lambert), de son solo show, Snow Fakes Corn Flakes, au Lieu Unique à Nantes du 5 mars au 28 avril prochain, l’interview que le futur résident de la Villa Médicis à Rome (jusqu’en avril 2014) nous avait accordé en début d’année :


ANTI-NARCISSE-Kenneth Anger Puce moments
Kenneth Anger et autres anti-Narcisses en Crac
  • 25 February 2014/
  • Posted By : Standard/
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Pour une fois, vous nous pardonnerez : on copie-colle purement le communiqué d’Anti-Narcisse (exactement comme le site Paris-Art !). Mais nous, on se le permet car le commissariat est d’Elfi Turpin,  ex-standardiste responsable de la rubrique art. Ainsi, nous lui faisons confiance les yeux au ciel concernant sa réflexion sur l’anthropocentrisme.
Cette exposition est l’occasion de relire la carte blanche (Standard n°37) de Kenneth Anger.
ANTI-NARCISSE-Kenneth Anger Puce moments

Kenneth Anger “Puce Moment”, 1949
Distribution : Cinédoc Paris Films Coop

Communiqué :

Le titre de l’exposition est emprunté à un livre, qui à force d’avoir été imaginé par son potentiel «auteur», l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro, a fini par ne pas exister. Cet ouvrage imaginaire aurait pour enjeu principal de répondre à la question suivante : que doit conceptuellement l’anthropologie aux peuples qu’elle étudie ? Viveiros de Castro préfère y répondre en écrivant sur ce livre invisible « comme si d’autres l’avait écrit » et en publiant les Métaphysiques Cannibales. Il y engage notamment une théorie-pratique anthropologique qui se ferait avec les outils conceptuels des peuples étudiés, et non plus avec les outils traditionnels de notre pensée occidentale, et de son gourou Narcisse, «qui à force de se regarder dans l’Autre, c’est-à-dire de voir toujours le Même dans l’Autre — de dire que sous le masque de l’autre c’est «nous» qui nous contemplons nous-mêmes — finit […] par ne s’intéresser qu’à ce qui nous intéresse, à savoir nous-mêmes ».

ANTI NARCISSE Kapwani Kiwanga performance abrege du futur

Kapwani Kiwanga “AFROGALACTICA : Un Abrégé du Futur”
Performance : Lecture with projections of images, video, sound. 40 min. Courtesy l’artiste

Au contraire, faire de l’anthropologie avec les styles de pensée du milieu envisagé suppose de remplacer la relation entre sujet connaissant (l’ethnologue par exemple) et objet connu (un peuple), par une relation entre deux sujets producteurs de connaissance, en demandant aux « objets » ce qu’ils pensent et en pensant depuis leurs perspectives. L’objet d’étude redevient un sujet, à travers lequel nous modifions nos modes de pensée afin d’accéder à sa réalité.

Viveiros de Castro travaille avec la pensée amazonienne. De cette pensée émerge les notions de multinaturalisme et de perspectivisme amérindien. Ces deux concepts renversent le modèle occidental nature-culture qui veut qu’il y ait une nature et des cultures. A l’inverse, en Amazonie, tous les êtres partagent une même humanité « culturelle » qui peut prendre différentes formes « naturelles ». Soit une culture et des natures. Cette humanité est en effet capable de transformation, elle peut prendre de formes multiples, humaines et non humaines et, en adopter les perspectives spécifiques. Le multiculturalisme, et ses impasses, laissent ainsi place au multinaturalisme et à son perspectivisme.

ANTI NARCISSE Daniel Steegmann Mangrané Rideaux de chaînes aluminium

Daniel Steegmann “/ (- “, 2013
Rideaux de chaînes aluminium Courtesy l’artiste

Imaginons alors déplacer la notion de perspectivisme dans le champ de l’art. Cette exposition est conçue comme une tentative de redistribution des relations entre le spectateur, l’œuvre et l’artiste. Entre le sujet et l’objet. Il s’agit pour les spectateurs de ne plus regarder les œuvres comme des objets dans lesquels ils essaieraient de se reconnaître, mais comme des formes de pensée produites par des artistes dont ils tenteraient d’endosser les multiples points de vue.

Imaginons que les artistes eux-mêmes ne produisent plus d’objets mais des formes motrices, dont ils emprunteraient les dispositifs et les régimes conceptuels aux milieux depuis lesquels ces œuvres prendraient corps et parleraient, comme si d’autres les avaient conçues. Alors, cette exposition ne dirait rien sur le livre invisible, ni sur le livre visible, ni sur le perspectivisme, ni sur l’anthropologie, mais s’inspire de cette pensée.

ANTI NARCISSE Basim Magdy Every Subtle Gesture

Basim Magdy “Every Subtle Gesture”, 2012
Impression couleur sur papier Fuji Crystal Archive et texte typrographie argent. 52 x 45 cm Courtesy .artSümer, Istanbul

Les artistes, les auteurs et les intervenants, qui y prennent part, ne connaissent peut-être pas ces ouvrages, mais pratiquent l’échange de perspectives et l’absorption de points de vue. Ils produisent une écriture en transformation, équivoque et sans identité fixe. Ils travaillent à l’élargissement de la réalité.

Exposition collective : KENNETH ANGER, ALAIN DELLA NEGRA & KAORI KINOSHITA (lire à propos de ces deux réalisateurs l’article de Julien Bécourt, un autre de nos contributeurs sur Vice.com), RENÉ GARCÍA ATUQ, YANN GERSTBERGER, KAPWANI KIWANGA, SEULGI LEE, BASIM MAGDY, DANIEL STEEGMANN MANGRANÉ.

ET UNE CONTRIBUTION DE BERNARDO ZABALAGA ET SANTIAGO GARCÍA
NAVARRO.

Crac Alsace
18, rue du Château, Altkirch
Jusqu’au 11 mai


Lionel Sabatte portrait dans son atelier
Lionel Sabatté : Demande à la poussière
  • 10 February 2014/
  • Posted By : Victor Branquart/
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Cheveux, rognures d’ongles, peaux mortes et oxydes de fer : les amas que collecte le plasticien Lionel Sabatté forment de sales bêtes à découvrir au hangar à Bananes de Nantes et à l’Aquarium de Paris.
Lionel-Sabatte

La Meute, 2006 – 2011
Moutons de poussière agglomérés sur structure métallique, vernis.

Lionel Sabatté : « J’ai pensé ces loups comme la plus grande collection au monde de variétés d’ADN. »

Porte en ferraille massive, vitres maculées d’éclaboussures, pots de peintures vidés, tôles ondulées. Le décor est sis dans une cour du Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) qui dessert en long plusieurs ateliers. Au milieu de cette récup’, un trentenaire brun, avenant, ouvre la marche. Il nous guide à travers les toiles et sculptures qui jonchent le sol comme des fossiles. On y croise des poissons d’argent, des chimères ténébreuses, une meute de loups hurlant au silence. Le bestiaire immobile de Lionel Sabatté interroge le temps, sa permanence, la mutation des formes vivantes et pullulantes dans les abysses d’imaginaire profonds.

« J’aime donner une autre vie, un autre souffle à des matériaux délaissés. » Ce collecteur de débris et de déchets humains (peau, ongles, cheveux), naît en 1975 à Toulouse avec une énergie sportive qui le destine à l’enseignement gymnastique. Alors qu’il étudie la meilleure façon de muscler les cuisses plus ou moins mollassonnes de lycéens plus ou moins boutonneux, Lionel Sabatté est séduit par l’art et ses contrées, bien plus vastes qu’un tour de stade, en assistant en 2003 à un cours d’histoire de l’art aux Beaux-Arts de Nancy. Un ami l’avait tiré par la manche. « Même si je pense qu’on peut la faire naître, cette envie est innée. Ce qui s’apprend, c’est la manière d’en faire un métier. » Décidé à vivre de cette profession qu’il ne connaît pas, il intègre les Beaux-Arts de Paris en 1998 et fréquente successivement les ateliers des peintres Vladimir Velickovic et Dominique Gauthier. Il se souvient de sa première vente : « Cinquante-trois dessins à Antoine de Galbert [collectionneur d’art héritier du groupe Carrefour] faisant partie d’une série qui rassemblait dix mille dessins présentés lors de ma première exposition en galerie [en 2003 à la Galerie Anton Weller, Paris 6e]. C’était des petites peintures de personnages dans des représentations assez violentes, sexuelles ou rêvées. Je peignais en réfléchissant le moins possible. Je laissais les vannes ouvertes en essayant de développer une certaine gestuelle et des techniques de support pour l’imaginaire. » De ses milliers d’esquisses envoûtées, il conserve fièrement ses « préférées ».

Lionel-Sabatte-portrait

Chant silencieux, 2013
Souche de chêne, pièces de 1 ct d’euros, fer, étain et laiton

Le nuisible désirable
Ce qu’apprécient ses premiers amateurs, ce sont les loups de La Meute constitués de poussière balayée dans les couloirs de la station de métro Châtelet entre 2006 et 2011. « Je me suis passionné par la poussière lorsqu’un jour, chez moi, j’ai vu passer un mouton soulevé par l’air. Elle avait quelque chose de vivant à ce moment précis. » L’idée d’en faire des loups vient du jeu de mot, par opposition aux moutons. À la fois fascinante et effrayante, la bête emblématique des contes, symbole de nos pulsions refoulées, de l’obscurité et de la liberté sauvage fait écho aux matériaux « impropres et oubliés » qui intéressent l’artiste : entre répulsion et attraction, ils parlent d’une « interrogation sur ce qu’est le dégoût ». Mais il y a autre chose : « Paris est la ville la plus touristique, 700 000 personnes passent chaque jour en moyenne par Châtelet-Les Halles. J’ai pensé ces loups comme la plus grande collection au monde de variétés d’ADN. »

Lionel-Sabatté--Chevêche-Athena_Dorfmann

Chevêche Athéna, 2010
 Peaux mortes, ongles, vernis – Courtesy galerie Patricia Dorfmann ©-F-G Grandin

Trait commun avec les collectionneurs d’art, Lionel Sabatté entretient « une faculté à tomber en admiration pour des objets dont personne ne veut » mais pas dans le but de rassembler ; dans celui de créer : « Alors que le collectionneur conserve, le faiseur transforme. » Il y voit un rapport direct à la mort. Plus jeune, il collectionnait les cailloux qui avaient des têtes de visages et avoue : « Je me demande si je ne gardais pas déjà mes ongles. Sans pour autant les ranger dans des boîtes, je crois que je ne les jetais pas. » Conservations honteuses, lubies oubliées et trésors enfouis, une collection doit un avoir un but, un sens supérieurs à la beauté du geste.

Lionel-Sabatté-Réparation-de-papillon-2

Réparation de papillon 2, 2012
Papillon abimé, ongles, peaux mortes, épingle et boîte à spécimen (Collection privée)

Abdomens de kératine et peaux pétrifiées
Tout en tissant des liens dans le milieu de l’art, Lionel Sabatté se félicite de ne pas être encore assez coté (La Meute est vendue en totalité 60 000 euros à la galerie Patricia Dorfman) pour rencontrer des collectionneurs qui fonctionnent encore au coup de cœur. « Ils n’ont rien à gagner car ils n’achètent pas pour revendre. Ils dégagent une pureté par et dans leur passion. Quand Dominique Agostini, qui a été l’un des premiers à acheter mes travaux, m’a fait visiter sa maison, il était émerveillé devant ses œuvres comme un gamin devant ses jouets. Nous avons en commun avec les collectionneurs quelque chose qui relève de l’auto-psychanalyse, une pulsion face à un tableau, une sculpture, qu’ils doivent posséder sans expliquer pourquoi. Ça éclaire leur vie, ils n’ont aucun besoin d’être artiste. » Lionel, lui de la pointe des cheveux qu’il ramasse jusqu’aux bout des ongles qu’il colle, en est un. Il transforme des morceaux morts d’humain en papillons, bustes, abdomens de kératine et de peaux qui trônent, comme pétrifiées par un chasseur mortifère, dans leur cadre de verre. Les petits êtres envoûtants de Réparations de papillons (2012 – 2013) illustrent le délaissement, l’oubli, mais aussi la renaissance : « Ces spécimens sont abîmés, il leur manque des pattes, une antenne ou un morceau d’aile. Je les récupère et les rafistole avec des ongles pour réhabiliter l’impropre à la collection, à la vente ou à l’exposition. » Les papillons pour la beauté et les ongles pour le rejet (d’attribut séduisant à déchet repoussant dès qu’il n’est plus sur le corps !) « C’est cette séparation du corps qui m’a attiré. » Le dégoût que déclenche un ongle coupé, une touffe de cheveux, un amas de peaux mortes individualise la valeur émotionnelle comme autant de vanités contemporaines surgissant des profondeurs de l’inconscient.

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Le projet du 15 juillet 2013
Poussière sur papier, 29,7 x 21 cm

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La Rose blanche, 2013
Peaux mortes, ciment, cendre et tige de rose – 39,5 x 7,5 x 5,5 cm

Dompter l’impondérable
À travers ces postures personnifiées et ces matières organiques, on devine la vie. S’entremêlent alors les sensations. Lionel Sabatté use du temps qui use pour se jouer de la contrainte des formes et des matières. Ses Poissons d’argent (2012 – 2013), dont les écailles scintillent de pièces d’un centime, surgis d’un monde millénaire, nous ramène à terre : détachez cette pièce de sa valeur monétaire et considérez-là comme la plus spéciale de toute, car c’est celle que l’on ne ramasse pas lorsqu’elle tombe. Matériellement, c’est la plus proche de sa valeur. Écumant les bars en fin de service, Lionel en a récolté des milliers. « Je les retire de la circulation. Elle devient un matériau à part entière, incarne une possibilité d’achat d’autres matériaux. »
Sérielles et uniques à la fois — « Une pièce rebondit immédiatement sur une autre. J’aime le dialogue entre matériaux qui ne peut se résumer à une seule œuvre. » —, semblables et non reproductibles — « Si elle peut être reproduite, c’est que j’ai échoué. » — et intégrant l’aléatoire, les coulures et tâches des Animaux Oxydés (2012 et 2013), par exemple, deviennent les créatures inertes d’un « événement unique ». Ses huiles sur toile boivent et absorbent les teintes, recrachant la magie d’un hasard qu’on aurait pu oublier. Elles sont des successions magistrales d’impondérables domptés au gré des figures qui s’en dégagent. « Les principaux composants de la peinture sont des dérivés du pétrole. Lui-même constitué de matières organiques et d’animaux morts il y a des millions d’années, tombés dans le fond des océans ou passés à travers les épaisseurs de sols. J’ai laissé la peinture s’étaler d’elle-même pour faire ré-émerger du noir et des abysses ces créatures, dont nous sommes plus ou moins directement les descendants. » Ces tâches fuyantes d’un maniérisme impressionnant, tout comme les loups, les papillons et autres monstres inconnus, apparaissent en demi-teinte pour qui veut les voir. Par-delà la décomposition, Lionel Sabatté insuffle à la mort une lueur qui prolifère. Pinçons-nous le nez et plongeons.

Par Victor Branquart, photographies de Lionel Sabbaté dans son atelier Chloé Gassian

La Fabrique de profondeurs
Aquarium de Paris, Paris 16e
Du 11 février au 18 mai

Du temps au temps
Expo collective proposée par Coal
Au Salon 1,618
Carreau du Temple, Paris 3e
Du 4 au 6 avril


Alizé Meurisse autoportrait
Alizé Meurisse : For soul not for sale
  • 5 February 2014/
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Coqueluche de Pete Doherty (elle a signé l’artwork de ses albums) et des éditions Allia, Alizé Meurisse, 27 ans, expose pour la deuxième fois ses dessins alambiqués à la galerie Nuke. Retour sur son interview, à l’époque (Standard n° 17) où elle sortait l’exalté Pâle sang bleu, son premier roman.

Alizé Meurisse autoportrait

©Alizé Meurisse

Depuis quand avez-vous cessé d’écrire pour votre journal intime ?
Alizé Meurisse : Je suis trop dans la lune pour tenir un journal intime, je ressasse assez dans ma petite tête de linotte pour ne pas être intéressée par le contenu de mes journées. Mais j’adore en acheter, je trouve ça joli et fascinant, surtout ceux avec les petites clefs. Petite, j’ai réussi à en ouvrir un sans errafflure avec une épingle à cheveux. En revanche, j’aime écrire de longues lettres, pas tant pour raconter mon quotidien que pour partager des sentiments, des idées, des choses qui m’inspirent. Et j’ai des carnets que je remplis de dessins, coupures de journaux, petits textes, etc.

Donnez-nous une raison de croire que vous serez encore là dans quelques années ?
Je suis coriace.

Qu’allez-vous faire maintenant que votre roman est sorti ?
Je viens de dessiner l’artwork de Delivery, le prochain single des Babyshambles [elle signait déjà les photos officielles de leur premier disque] et il est possible que je m’occupe de l’album. Je commence à griffonner un deuxième roman, mais c’est encore embryonnaire. J’aimerais organiser une expo de peintures : il faudrait que je rassemble mes toiles et que j’en travaille une quinzaine de plus… j’ai un contact à New York.

Comment voyez-vous votre avenir ?
Comme quelque chose qui n’existe pas… Vous avez déjà vécu dans un demain vous ?

Qu’évoque pour vous le mot « réussite » ?
Un jeu de cartes entre les mains tatouées d’une belle gitane.

Craigniez-vous que les gens se méprennent sur vous ?
Non, qu’ils le fassent si ça les chante… ça m’en touche une sans m’en s’couer l’autre !

Couillue
Après l’internement à l’HP de leur mère, Charles et Manon, la vingtaine, déambulent dans les rues chaudes de Paris, à la rencontre de leur destin. Manon travaille dans un bar et tombe sur Johnny, aussi paumé qu’elle. Johnny traîne dans les salles de boxe. Fou amoureux de Manon, il échappe à une bande de jeunes truands qui voulaient l’arnaquer. Les escrocs retrouvent la trace de sa bien-aimée. Sur une trame narrative assez simple, Alizé Meurisse plaque tous les accords nerveux d’une langue rock flirtant avec plusieurs registres, tour à tour lyrique ou exaltée : « T’es un stéréotype ! », qui reflète à merveille les joyeux paradoxes et les premiers tourments adolescents. Cette jeune auteur a bien l’âge de ses artères, elle ose tout, elle danse avec son style au plus près des sentiments. On reconnaîtra une certaine candeur de ton, et surtout une trentaine de pages qui auraient mérité plus d’attention, mais le talent intrinsèque d’Alizé Meurisse est pregnant. Une voix singulière est née.

Alizé Meurisse
Pâle sang bleu
Editions Allia

Alizée Meurisse pâle sang bleu

 

Par Jean Perrier

Alizé Meurisse
For soul not for sale
Galerie Nuke
Du 6 février au 31 mars


Jean Paul Lespagnard
Jean-Paul Lespagnard : Till we drop
  • 29 January 2014/
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Jean Paul Lespagnard

© Jean-Paul Lespagnard

Critiquer la société de consommation en plein cœur des Galeries Lafayettes, c’est possible. Pour sa première exposition monographique au paradis de la fringue, le créateur, originaire de Liège, (lire notre interview du temps où il produisait des chaussures à talons en forme de frites) partage sa vision bien personnelle de l’eden artificiel. Direction la Riviera Maya mexicaine, ses hôtels rococo-clinquants et ses plages de sable blanc pour un voyage aux contrastes délirants.

Dans son dernier défilé printemps été 2014 aux airs de joyeux cocktail, l’univers euphorique de sa collection Till we drop annonçait les couleurs : imprimés billets de banque, ceinture à canettes, sandales à scratch, casques de musique en coquillages… Jean-Paul Lespagnard détaille le dress code d’un tourisme de masse au plus haut de sa forme.

Après les fleurs-miroirs géantes de Kris Van Assche, les croquis déjantés de Philippe Katerine ou le tunnel à spirale d’Henrik Vibskov, place, dans la Galerie des Galeries, à JPL, qui laisse goûter des indices sur ce qui l’a mené à imaginer le chic avec des carapaces de bernards l’hermite aux oreilles. Le Mexique liégeois, un mélange aussi étonnant que des moules au tabasco.

Par Elsa Puangsudrac Photos des looks Etienne Tordoir

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Galerie des Galeries
Jean Paul Lespagnard
Till we drop
Jusqu’au 5 avril


Previeux05
Grouper-décaler les objets en art
  • 20 January 2014/
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Jim Shaw (lire notre article sur l’expo) n’est pas le seul à étaler ses trouvailles chinées. Les expositions de gadgets d’artistes : inventaire.

NBA2K11

Allan Sekula est mort le 10 août dernier, léguant ses vidéos, ses photographies, mais également une quantité d’objets maritimes. Des navires en bois, des sirènes de bateau, des serre-livres en céramique, des dockers et petits marins en résine qui reposaient dans les vitrines de La Criée centre d’art de Rennes, au printemps 2012. Les trésors de The Dockers’ Museum, collectés depuis les années quatre-vingt, souvent kitsch et humoristiques (nombre d’entre eux sont achetés en ligne), offrent un éclairage sur ses œuvres d’aspect documentaire, et un supplément de sens concernant l’effet de la mondialisation sur l’économie maritime. C’est à Los Angeles, à 62 ans, qu’Allan Sekula a pris le large. Ses « effets personnels » figurent désormais au panthéon de l’art. Modus operandi ayant suivit la trace duchampienne, la récolte de collectors – vernaculaires (Richard Prince), issus de la grande consommation (Haim Steinbach), des cartes postales et des montres à l’effigie de Sadam Hussein (Martin Parr) – se déplace vers le lieu public. Le readymade 2.0 ?

Marcel Duchamp à l’ère du multiple
Dans une petite boîte en carton, le saint père de l’art contemporain glisse quatre-vingt-treize fac-similés de photographies de ses œuvres, des notes en vrac et des dessins. C’est La Boîte verte (1912 – 1934). Accompagnée de Grand Verre – (1915 – 1923), plaques de verre où sont reproduites certaines de ses travaux antérieurs –, elle constitue son chef-d’œuvre conceptuel La Mariée mise à nu par ses célibataires (1934). La Boîte, musée personnel miniature, édité à trois cents exemplaires, se retrouve en 1968 dans Le Musée d’art moderne / Département des Aigles du Belge Marcel Broodthaers (1924 – 1976) qui monte une marche sur l’échelle du readymade : « Comme Marcel Duchamp disait ”Ceci est un objet d’art”, au fond j’ai dit : ”Ceci est un musée”. » (in Marcel Broodthaers par lui-même, Ludion Éditions, 1969). Dans ce rôle de commissaire-auteur-conservateur, il s’autorise à émettre une critique des politiques d’acquisition des institutions. Autre critique d’art improvisé, Pierre Ménard, inventé par les plasticiens Yoon Ja Choi (Corée du Sud) et Paul Devautour (France), qualifie la collection de « méta-œuvre » (dans le catalogue de Générique. Vers une solidarité opérationnelle à l’Abbaye St André de Meymac, 1992), et applique ce terme aux artistes qui manipulent des créations autres que les leurs. L’étape suivante sera de réunir, non plus ses propres productions ou celles de amis, mais des choses banales.

MegaGlitch

Au sein de son logement à Hanovre, Kurt Schwitters (1887 – 1948) entame en 1919 un processus d’accumulation bordélique basique qui s’achèvera en 1933. Son Merzbau est un tas de truc trouvés, informe mais habitable. Une pièce majeure, née de petits riens entassés sans être pensés en tant que telle. Trois Américains visent au contraire d’entrée de jeu la composition à venir. Haim Steinbach, dont les étagères triangulaires supportent depuis les années soixante des biens de grande consommation (lampes à bulles seventies, baskets Nike ou porte bouteilles), répertorie les goûts populaires sans autre hiérarchie que leur agencement ; Jim Shaw, qui arpente les second hand shops depuis près de quarante ans (lire notre article), et Richard Prince, fan de couvertures de magazines pulp, littérature de genre, publicités et clichés divers (du cow-boy à l’infirmière sexy), qui a révélé avec American Prayer (à la BnF en 2011), les dessous de sa pratique artistique faite, dès le milieu des années soixante-dix, de détournements et d’appropriation d’images populaires.

Musée des erreurs
En juin 2012, le Français Julien Prévieux (lire Standard n°23 et n°29) compose son Musée du Bug, premier étage : jeux vidéos, à l’espace d’exposition STANDARDS à Rennes. Un ensemble de ratés trouvés sur YouTube, un jeu bogué adapté d’un logiciel pour apprendre à conduire virtuellement une benne à ordures (Street Cleaning Simulator, 2012) et diverses expériences ludiques comme une Sega « glitchée » (trafiquée, qui forme des aplats de pixels sur l’écran). Ce petit musée des erreurs va encore plus loin que l’objet banal : le défaillant.

StreetCleanngg2012

Tous font de leur praxis passionnée de l’archéologie sociale et un discours esthétique. Et, selon Walter Benjamin, « Une tentative grandiose pour dépasser le caractère parfaitement irrationnel de la simple présence d’objets dans le monde, en l’intégrant dans un système historique nouveau créé spécialement à cette fin. » (Le Collectionneur, in Paris, capitale du XIXe siècle, Éd. du Cerf, 1989.) Pour le linguiste « chaque chose particulière devient, dans ce système, une encyclopédie rassemblant tout ce qu’on sait de l’époque ». La collection, comme système historique, devient nouvelle histoire de l’art. Théo Mercier est l’un des premiers à se moquer de ces éléments du dehors qui se substituent aux œuvres, avec Le Grand Mess (au Lieu Unique de Nantes au printemps dernier) qui réunit des briquets à l’effigie de femmes aux seins nus « collectés en deux jours sur Ebay » et des greffes de bites qui ridiculisent des rouges à lèvres, des pots de moutarde ou des paquets de Malbak’. Un pied de nez qui joue quand même la bonne carte : succès public et très bonne presse étaient au rendez-vous de cette critique jouissive.

Par Maëva Blandin


Antoine Catala E.T. Il était une fois
Antoine Catala : « S’imprégner de la banalité. »
  • 23 December 2013/
  • Posted By : Patricia Maincent/
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Toulousain basé à New York, Antoine Catala intrigue avec Il était une fois…, un rébus en sculptures mécaniques à déchiffrer à la biennale de Lyon.
Antoine Catala E.T. Il était une fois

Vue d’installation dans son atelier new-yorkais. E.T. au doigt trompeur est le verbe de Il “était” une fois… Photographie ioulex.

Vous avez étudié les math avant l’art. L’envie est survenue pendant une équation ?
Antoine Catala : Le désir d’une carrière artistique précédait les mathématiques. J’étais tenté par le cinéma, mais diriger une équipe, trouver des budgets, me rebutait. Alors j’ai fait des calculs en solitaire à l’université à Toulouse pour faire plaisir à ma famille. Mon père était un scientifique brillant. J’ai beaucoup aimé, mais n’étais pas sûr de ce que je voulais. Au milieu de mes hésitations, j’ai bifurqué vers une école d’ingénieur du son à Londres puis une école d’arts à l’université London Guildhall. Il me reste des sciences l’idée de système. Les images ou les couleurs sont moins importantes, ce qui compte c’est comment fonctionnent les plateformes que je mets en place.

Pour votre installation au MAC de Lyon, vous utilisez la célèbre introduction aux contes « Il était une fois… », pourquoi ?
C’est la première phrase à laquelle j’ai pensé. J’ai voulu en trouver une autre. Mais elle se compose de façon tellement jolie et cohérente qu’elle m’a conquis. Je l’ai déconstruite en cinq éléments : une île, E.T. l’extra-terrestre, la lune juxtaposée à la lettre « l » barrée, un foie et l’ellipse des points de suspensions. Soit cinq sculptures.

Comment passez-vous du mot à l’image puis de l’image à l’objet ?
Toutes mes recherches se font sur internet, je choisis des images génériques, qu’on peut voir partout. Le rébus fait coller une image directement à des mots. Donc je passe plutôt du mot-image à l’objet. Comme si on « pensait » comme une machine. Comme Google qui, avec un mot, livre un mur d’images. Cette magie me plaît. Pour l’insuffler, j’utilise des illusions rudimentaires : un système de chambre à air gonfle une surface ronde sur laquelle est projetée une image de la lune. Quand elle se dégonfle, apparaît la lettre « l » barrée pour faire deviner le « une ». Ensuite, un humidificateur industriel projette de la vapeur d’eau froide qui prend du volume et devient un autre écran de projection sur lequel apparaît l’île. Quand on se déplace, l’image se brouille, ça a un côté féérique. A part le foie tout est cinétique, bouge, pour insister sur l’idée de métamorphose.

On pense à Georges Méliès et aux premières fictions du cinéma…
Évidemment j’adore Méliès et, pour citer quelqu’un d’aujourd’hui, l’artiste nantais Pierrick Sorin burlesque et grinçant, dont je m’inspire pour les hologrammes. Mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est la spatialisation, l’image sort de l’écran pour devenir un objet et une relation physique.

Cela évoque l’Américain Joseph Kosuth et sa célèbre chaise (One and Three Chairs, 1965), accompagnée de sa définition et d’une photo d’elle prise à l’endroit où elle est exposée…
J’ai beaucoup aimé cette œuvre conceptuelle quand j’étais en école d’art, mais je pense plus à la génération de la fin du XXe siècle, comme Mike Kelley, Jim Shaw ou Matt Mullican, pour leur univers fantasmagorique un peu psychédélique construit à base d’images pauvres, laissées pour compte.

Vous avez fait des études en Angleterre et vivez aux États-Unis, qu’est ce qui motive vos déplacements ?
J’ai aussi vécu à Berlin en 2002, 2003. New York, j’y suis pour ma petite amie. J’y ai rencontré des artistes regroupés autour d’une jeune galerie, 47 Canal, sur Canal street. Maintenant ça marche pour nous tous, mais on est parti de rien. On a créé une communauté parce que personne ne nous exposait. Notre amie Margaret Lee a ouvre une galerie. Juste après le crash immobilier de 2008, elle a négocié le droit d’utiliser un grand espace pour montrer des œuvres, en contrepartie, elle louait les autres locaux vides de l’immeuble à des artistes. C’était au 179 Canal street. Du monde venait aux vernissages, il y avait une énergie géniale. Evidemment, quand ça a commencé à marcher le propriétaire a demandé des sommes faramineuses et on a perdu cet espace fabuleux qui est devenu une salle de mahjong. Mais Margaret a pu rouvrir quelques numéros plus loin.

Vivre là-bas, cela influence votre travail ?
Je me vois comme un étranger qui regarde de l’extérieur vers l’intérieur. Beaucoup de mes travaux traitent de la télé, qu’on voit partout ici (TV Show, 2009, qui projetait en direct les programmes des grandes chaînes, le son et l’image déformés). Mais la dernière exposition que j’ai faite à 47 Canal était un rébus, or, les jeux de langage sont très français. Ce qui m’intéresse en ce qui concerne les images et le langage, c’est la banalité. Une notion qui varie selon les pays et dont il faut du temps pour s’imprégner. Je ne pense pas que ma façon de faire soit française, de toute façon je cherche à ce qu’elle soit globale et plate.

Antoine Catala
Au MAC, Biennale de Lyon
Jusqu’au 5 janvier


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