Evocation de l’éclaboussant collectif UPSBD aux performances foutraques.
par Yves-Noël Genod* dans Standard n°27 – avril 2010
Les UPSBD – abréviation pour United Patriotic Squadrons of Blessed Diana – sont ce que j’ai vu de plus amazing cette année ! A Beaubourg, cet automne (accueillis par Sophie Perez et Xavier Boussiron), mais aussi à New York à la Park Avenue Armory, en septembre, un peu avant, dans une boîte improbable près des Champs-Elysées, etc. De partout, de nulle part, pouvant pousser comme des champignons sur n’importe quel support ou presque. Ça dépasse tout… Ça dépasse tout ce que je connaissais jusque là – écoutez les mots – en folie, en précision, en imagination, en énergie, en éclaboussement, en inconséquence, en amusement (entertainment), en liberté – et ce mot, celui-ci, m’amène à finir soudainement cette liste qui était partie pour durer. J’indique toujours aux comédiens que j’emploie que le spectacle doit se présenter comme une leçon de liberté. Ça ne veut peut-être rien dire, mais les gens qui m’aiment comprennent. […]
Roland Barthes dit dans Brecht et le discours que pour attaquer un discours réac, il faut « le discontinuer : mettre en morceaux ». Les UPSBD – Est-ce qu’on cite leur nom ? Il s’agit de Marlène Saldana et de Jonathan Drillet – c’est ce qu’ils font, pile poil, à l’allemande, voyez. En fait, pour eux, tout est déjà réac, y compris la performance qu’ils sont en train de diriger devant vous. Alors ils attaquent : ils discontinuent.
[…] Roland Barthes dit aussi qu’il est plus intéressant de s’approcher amoureusement du discours réactionnaire, c’est à dire avec plaisir, plutôt que de « s’en distancier en raison d’une analyse froidement intellectuelle ». Les UPSBD sont amoureux de leur sujet, c’est leur secret, je crois, ils sont – que voulez-vous – pas dégoûtés ! Ils ont une certaine « passion du matériel ». Leur matériel, c’est le monde, et aimer le monde, c’est ce qui fait qu’ils sont grands. C’est ce qui fait leurs performances si animales, si sensuelles, si excessives aussi, hors normes, mais, je dirais, dans les étroites limites du plaisir, toujours, c’est à dire du bon goût ! Pas d’hypocrisie. Mais de la morale. Grisélidis Réal. Vous imaginez : à Beaubourg, pour pratiquer leur potlatch, ils n’avaient rien trouvé de mieux à faire que de se déshabiller, bien sûr, mais de se faire peindre intégralement par des body painters, l’un en tigre, l’autre en zèbre (ils voulaient évoquer l’Afrique) dans un style un peu Douanier Rousseau. C’était somptueux. Oui, une femme nue, blanche, opulente et peinte en tigre avec idéalement un portrait de dictateur sur chaque sein ! Et un jeune zèbre improbable et zébulon, probablement homosexuel. Jusqu’à ce qu’ils se battent et que le tigre et le zèbre déteignent l’un sur l’autre. D’ailleurs toute la performance était de cet acabit : d’une finesse de dentelle de Burano et d’une grossièreté tout autant, tellement gros que ça en devient fin et vice-versa. C’est aussi que leurs spectacles-performances sont certes des fictions très élaborées, une énorme dramaturgie enchantée, mais qu’ils les vivent à plein, comme la réalité. Disons qu’ils profitent de jouer pour faire la fête. C’est « dionysiaque », si on veut… si les jeunes d’aujourd’hui savent à peu près à quoi ce mot un peu périphérique peut bien se référer…
Les UPSBD ne viennent pas de nulle part, bien sûr. En aînés, il y a Marco Berrettini, c’est le maître, mais aussi, comme je disais, toute l’Allemagne, toute l’Angleterre (les Monty, par exemple), toute l’Amérique – pourquoi se priver – et Thierry Le Luron ! Les UPSBD ne sont pas tellement vieux non plus, je dois dire, mais leur maturité sidère. Ils n’existent pas, on dirait, sauf partout. L’époque actuelle, ils en rient puisqu’ils sont de toutes les époques et, grâce à ce don, vous allez voir, ils vont probablement tout casser dans les prochains mois ! […] Quand vous lirez ces lignes, chers amis de Standard, nos UPSBD amis seront, eux, je crois, en résidence (surveillée) à Fribourg, en Suisse, en vue du Festival Belluard Bollwerk 2010 ou bien pour libérer Polanski.
* Texte intégral sur Le Dispariteur
* Yves-Noël Genod signe la mise en voix de l’opérette Marseille Massacre de Nathalie Quintane et Pierre Courcelle, le 25 avril sur France Culture. Du 18 au 22 mai, il joue dans Mary Mother of Frankenstein de Claude Schmitz au KunstenFESTIVALdesarts, Théâtre National, Bruxelles. Et du 8 au 31 juillet, un nouveau spectacle au Festival d’Avignon off, Théâtre de la Condition des soies.