Le rapport à la violence de Blue ruin est stupéfiant : à la fois ludique mais jamais gratuite, toujours brutale pour un type ordinaire qui s’est fait déborder par son chagrin.
Dwight est à la rue. Le visage rongé par une barbe et une tignasse d’homme sauvage, toutes ses affaires sont dans la voiture où il vit et ses repas constitués de ce qu’il trouve dans les poubelles… Quelque chose a brisé sa vie. Il la reprend en main lorsqu’il apprend que le meurtrier de ses parents va bientôt sortir de prison. Une seule obsession : se venger. Sauf qu’il est plus taillé pour les gaffes que pour la stratégie. Et que la famille du tueur ne va pas se laisser faire. La loi du talion jusqu’à l’absurde est au centre de Blue ruin. C’est donc une comédie noire. Doloriste, même.
Ruine tangible
Lors de sa présentation à Cannes en 2013, les échos d’un enfant spirituel des frères Coen ont été très présents. C’est peut-être ailleurs qu’il faut aller chercher, du côté de l’oublié Lodge Kerrigan. Dwight est frère d’âme du schizophrène de Clean, Shaven (1994) ou névrotique de Keane (2005) : des hommes émotionnellement brisés, qui tentent de se reconnecter à un monde qui ne veut plus d’eux. Ou qui se rappellent dans leur chair que vivre peut faire mal. Très mal. Le rapport à la violence de Blue ruin est stupéfiant : à la fois ludique mais jamais gratuite, toujours brutale (la scène de la flèche dans la cuisse va en faire défaillir plus d’un). S’il y a souvent de quoi se marrer devant la quête vengeresse de ce Pierre Richard, on n’est jamais chez Tarantino : Jeremy Saulnier ne se régale pas de dialogues sur-écrits ni de digressions, il reste sur une ligne droite comme les routes qui traversent les USA. Ce film parle d’un pays qui va de guingois, mais sous un angle des plus intimistes avec un personnage (grâce soit rendue à l’incroyable performance du sidérant Macon Blair) extrêmement attachant parce qu’ordinaire, un type un rien falot qui s’est fait un jour déborder par son chagrin. Un Droopy en larmes décidé à prendre les armes. Il est devenu une ruine, mais reste un être tangible. Saulnier hisse son film bien au-dessus d’une série B teigneuse par ce goût pour l’incarnation des hommes et la tendresse qu’il porte à leurs vulnérabilités.
Blue ruin
De Jeremy Saulnier
Sortie le 9 juillet