A Berlin, c’est l’heure du fight : Apparat Vs Modeselektor. Réunis au sein de l’expérience Moderat jusqu’en avril dernier et leur set mémorable à la Gaîté Lyrique (Paris), les Berlinois Apparat et Modeselektor sortent les deux meilleurs albums de la rentrée – à l’opposé l’un de l’autre. Ça vaut bien un match (amical). Arbitrage Timothée Barrière.
A ma gauche, Apparat, le yogi ambient
C’est qui ? Sascha Ring, 32 ans, grand échalas du genre discret-distrait, infatigable tripatouilleur de boutons sur consoles incompréhensibles. A commencé comme DJ hard tech avant de filer vers les méandres délicats de l’ambient savante. Part en vacances (et compose parfois) avec sa meilleure amie Ellen Allien, généralement « pour faire du yoga en Thaïlande : c’est la meilleure manière pour moi d’attraper au vol les idées qui traînent dans mon cerveau. »
Quoi de neuf depuis Moderat ? Une grande remise en question. Contrairement au volatil Walls (2007), son dernier solo, Sascha a bazardé les claviers pour devenir organique. Prenant la direction du Mexique pour écrire avec un pro de l’ambient – Joshua Eustis de Telefon Tel Aviv –, il a tout changé en rentrant à Berlin, avec un autre producteur, Nackt. Bilan : trois ans de boulot et autant de nuits blanches, au point d’avoir récemment loué son studio à un ami pendant douze mois, parce qu’il ne se sent plus « la force de produire une seule seconde de nouvelle musique ».
L’avenir de l’électro ? « L’an dernier, on m’a demandé de faire une compile DJ Kicks. J’ai dû me plonger dans la production électro actuelle… et c’est flippant : 99,8 % de bouses infâmes. » Maintenant, il avoue écouter « de la musique SANS beats, la plus ouverte. Un nuage de sons, où l’on entend ce qu’on veut. »
Et l’album, bon sang ? The Devil’s Walk poursuit les grandes opérations d’épure mises en place depuis Walls et l’album de Moderat pour une définition parfaite de l’électronica minimaliste mais généreuse. Chaque morceau déborde de tensions narratives, de dynamiques émotionnelles, et cela sans beat flagorneur – l’accumulation de textures servant justement de base rythmique. Exit la techno minimale, voire l’ambient stricto sensu, Apparat s’annonce comme le meilleur relecteur pop de Steve Reich, excellant dans l’expression « progressive » de la mélancolie. Et en plus, il a une jolie voix.
A ma droite, Modeselektor, les chimpanzés hip hop
C’est qui ? Gernot Bronsert, 31 ans, et Sebastian Szary, 36 ans, « nés à Berlin-Est, on n’est pas des hipsters de merde », activistes de l’électro-hip hop éclectique, capables de passer du rock au dubstep au cours du même morceau. Ils ont des enfants, adorent la currywurst et disent non à Björk qui voulait bosser avec eux (ils ne savaient pas quoi lui faire chanter).
Quoi de neuf depuis Moderat ? Dix mois d’écriture, dix petites semaines d’enregistrement, avant la tournée. Début août, ils ont détourné leur tour-bus vers le bled de Monkeytown, en Virginie du Sud, qui possède le même nom que leur album et label, sur lequel ils ont lancé le SebastiAn allemand (en mieux), Siriusmo. « On a trouvé cette ville-fantôme sur Google, on voulait voir à quoi ça ressemblait. Il n’y avait personne, sauf une dame barbue qui vit dans un camping-car et qui nous a fait visiter. Aussi étrange qu’intense. »
L’avenir de l’électro ? Contrairement à leur pote Apparat, Gernot et Sebastian ont gardé la foi. En partie parce que leur insatiable curiosité les empêchera à jamais de se lasser, et surtout parce qu’ils ne se sentent « jamais autant à la maison que dans un bon vieux club moite. Tant pis pour Sascha s’il préfère les salles de concert climatisées… ».
Et l’album, bon sang ? Les habitués des deux premiers (Hello Mom! et Happy Birthday) ne seront guère dépaysés par le kaléidoscopique Monkeytown et sa pléiade d’invités prestigieux. Des liens sont créés « en ne suivant aucune autre logique que le cours naturel des morceaux », hip hop vénéneux, R’n’B poisseux, ambient délirant, tout en faisant tourner le micro entre Miss Platnum (voir Standard n° 24), Antipop Consortium et le vieux copain Thom Yorke. « Tant qu’il y aura de la magie, explique Gernot, nous suivrons le flow. » Manifestement, le cours n’est pas prêt de se tarir. Tous dans le bus direction Monkeytown !
Verdict : victoire aux points pour Apparat, qui nous met KO avec ses caresses.
Apparat – The Devil’s Walk (Mute)
CD / Vinyle / MP3 / iTunes
Live!
Apparat Band le 23 octobre à Bruxelles (l’Abbox).
Modeselektor – Monkeytown (Monkeytown / La Baleine)
CD / Vinyle / MP3 / iTunes
Live! Les singes mixent le 22 octobre à Bordeaux (Le Rocher de Palmer)
et le 23 octobre à Toulouse (Les Abattoirs).
Photographie : Constantin Falk / Ben de Biel
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