Des yeux de fou, qui perçaient dans The Runaways (Floria Sigismondi, 2010) sous le khôl d’un impresario perché. Des yeux de fou, qui rendaient supportable Les Noces Rebelles (Sam Mendes, 2009) dans lequel il révélait à DiCaprio la vacuité de son mariage. Des yeux de fou, visibles dans des œuvres aussi diverses que Bug (William Friedkin, 2007), Bad Boys II (Michael Bay, 2003), 8 Mile (Curtis Hanson, 2002), Vanilla Sky (Cameron Crowe, 1997) ou Un jour sans fin (Harold Ramis, 1993), qu’Hollywood regarde désormais comme ceux d’un néo-Jack Nicholson et que l’on croise au Lutetia pour Take Shelter, grand prix de la Semaine de la critique à Cannes – ainsi qu’à Deauville – et seconde collaboration avec son compatriote Jeff Nichols (Shotguns Stories, 2007). Take Shelter, ou le récit orageux des cauchemars d’un ouvrier de l’Ohio rural que Michael Shannon, 37 ans, rend palpables parfois sans un mot. C’est son premier séjour à Paris. Avis de tempête.
Jeff Nichols dit que Take Shelter est une métaphore du mariage. Comment vous l’a-t-il expliqué ?
Michael Shannon : Après lecture du script, j’ai demandé s’il s’agissait juste d’un type qui rêve tous les soirs de météo capricieuse. Jeff m’a répondu non, qu’il était très sincèrement anxieux à l’idée de se marier très prochainement, de fonder une famille, de savoir s’il est assez fort pour tout ça. Ça m’a permis de comprendre où nous allions, ce n’était pas si évident.
Pensez-vous que le mariage soit un abri [« shelter »] ?
Oh boy… Non, ça m’angoisse beaucoup. Ma compagne et moi sommes très amoureux, nous avons une petite fille, mais nous ne sommes pas mariés. Peut-être parce que mes parents – j’ai du mal à croire que je vous raconte ça – se sont mariés chacun cinq fois, et qu’ils n’ont pas été longtemps ensemble. Bien sûr, il existe des mariages heureux qui peuvent durer toute une vie, mais pour beaucoup, ce rituel n’a aucun sens. S’engager envers une personne, en revanche, est essentiel. Ça, et l’intimité.
L’épouse de Curtis, jouée par Jessica Chastain, est intelligente, douce, compréhensive. Pourtant il se refuse à partager ses visions d’apocalypse, chaque nuit plus violentes. Pourquoi ?
Il est embarrassé. Il a très peur de finir comme sa mère, seule et schizophrène en maison de retraite. Il fait énormément d’efforts pour paraître normal. Il n’a pas beaucoup de loisirs et n’aime rien d’autre que de s’occuper de sa famille, ce dont sa mère était incapable – son père était là mais maintenant il est mort ; alors c’est Curtis le patriarche et il ne veut pas passer pour faible. Et quand finalement sa femme lui impose de s’expliquer sur son comportement, il est humilié, il faut lui arracher les mots de la bouche. Parce qu’il veut qu’elle se sente en sécurité, qu’elle puisse compter sur lui.
Votre véritable abri, est-ce votre maison à New York ou l’endroit où vous avez grandi, dans le Kentucky ?
On ne peut pas dire que New York soit un abri, c’est une ville frénétique et faible – rien que la semaine dernière, nous avons eu un tremblement de terre et un ouragan. Mais notre quartier est assez tranquille. Je ne vais pas assez souvent dans le Kentucky. Ma mère y vit toujours, mon petit frère aussi. Lors de mes premiers retours, j’avais le sentiment de revenir à la maison, mais cette sensation a disparu, je suis parti depuis trop longtemps ; il faut dire qu’on déménageait presque tous les ans, ça n’aide pas à s’attacher.
Vous venez de démarrer le tournage de Man of Steel, le nouveau Superman, réalisé par Zack Snyder [Watchmen, 300]. Alors ?
Je viens de tourner ma première scène dans le costume du Général Zod, qui sera différent de la blouse portée par Terence Stamp dans Superman [Richard Donner, 1978] et Superman II [Richard Lester, 1980]. Mon uniforme sera plus militaire, à la mode de Krypton.
Je dois vous dire : je suis un peu inquiet.
Oh ?
Comment réussir, dans un tel blockbuster, à se garder un peu d’espace de jeu ?
Je n’ai pas du tout peur d’être broyé par la machine. Zack Snyder est assez calme, l’ambiance sur le plateau est détendue.
Oui, mais The Dark Knight [Christopher Nolan, 2008] était réussi aussi parce que les scènes du Joker étaient longues, donc propices à la phénoménale performance d’Heath Ledger. C’était très inhabituel.
Le Joker est un vrai méchant de cinéma. Il se tamponne de tout et ne songe qu’à ruiner l’existence des autres. Zod, non. C’est un général et… [il serre les dents] mmmmh, je ne peux pas en parler ! Il y aura des effets spéciaux, du grand spectacle, mais aussi des séquences plus traditionnelles, avec plus de place pour les dialogues.
Que va devenir votre personnage de flic dans la saison 2 de Boardwalk Empire ?
Je ne peux pas en parler non plus… mais si vous avez vu la saison 1, vous savez que Nelson Van Alden a pris tout un tas de mauvaises décisions qu’il va devoir assumer. Il a perdu le contrôle et il essaie de se remettre dans le droit chemin, aidé par sa foi. Il n’est pas si méchant.
Il paraît que vous êtes fan de Seul contre tous, de Gaspar Noé [1998]. Vrai ?
Vrai. Je l’ai découvert dans un festival d’art et d’essai à Chicago et je n’avais jamais rien vu d’aussi extrême et obscène, repoussant si loin les barrières de la décence, c’était très choquant, mais sans être sensationnel, très méditatif – à la fois calme et ignoble. De lui, j’ai aussi vu Irréversible [2003], qui m’a paru plus cruel. Les scènes de viol et de meurtre étaient dures à regarder mais je suis allé jusqu’au bout, car je voulais savoir jusqu’où il était capable d’aller. Son dernier, Enter The Void [2010], c’est la limite : trop énervant, grandiloquent. Déjà fini ? C’était un plaisir.
par Richard Gaitet
Take Shelter, en salles demain
Par Magazine Standard
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