Producteur d’un groove d’avant-garde, architecte sonore pour M.I.A, Wesley Pentz alias Diplo, 29 ans, revient tout juste de Jamaïque où, outre le reggae massive de l’album Major Lazer disponible en juillet, le blondinet a tricoté une autre spécialité locale…
Diplo

©Caroline de Greef

Racontez-moi votre voyage en Jamaïque. Par rapport à votre premier séjour en janvier 2007, vous sentez-vous plus proche de l’île ?
Diplo : Je descends dans ces îles… Saint-Vincent, Trinité, la Jamaïque, Porto Rico… depuis près de dix ans ; ce n’est qu’à trente minutes d’avion de la Floride, où j’ai grandi. Mais je n’y travaille sérieusement que depuis deux ans. En Jamaïque, nous n’avons pas le bras long. J’y ai quelques amis, nous faisons du business, comme d’habitude… J’enregistre avec Vibz Kartel depuis cinq ans maintenant. C’était le premier mec que j’avais en tête en venant. Je veux dire : les dee-jays de la côte Est collaborent constamment avec les îles, ce n’est pas neuf. Mais, d’accord, moi et Dave [le producteur Switch] avons spécialement l’air plutôt blanc, et un soir, nous sommes allés au studio, bourrés, sans n’en avoir rien à foutre et nous avons laissé les beats faire le taf… Les gosses devenaient dingues en écoutant nos morceaux, pour de vrai.Je crois qu’ils nous aiment à cause de M.I.A : ses vidéos explosent sur leurs huit chaînes musicales.

Diplo : « Les ingénieurs du son fument plus d’herbe que je n’en ai vu de toute mon existence… »

Les gosses avaient-ils un surnom pour deux blancs-becs ?
« Merde… Les blancs-becs assurent. » Maintenant, ça devient plutôt chaleureux. Il y a des Jamaïcains blancs, aussi ! Cette couleur n’est pas tellement rare.

Que trouviez-vous exotique sur place ?
Putain, les gars qui font les cocktails ! Un mélange (dégueulasse) de Red Bull et de Guinness devient sauvagement populaire… il y a aussi la folie des liqueurs maisons, par exemple à base de cola, de crème-glacée et de rhum japonais pourpre… Leur poulet frit par contre est exactement comme en Floride et en ce moment, je suis à fond sur le poisson et les dumplings [des boulettes de pâte] dès le matin. Ça, c’est leur meilleure merde. Les femmes sont sublimes, les enfants sont sublimes, l’endroit est si vert… l’exotisme, pour moi, c’est quand tu abandonnes l’asphalte… pour entrer comme dans des jungles… le niveau entre les deux.

Comment expliquez-vous votre goût très spécial pour les aventures tropicales ?
Hum, je m’ennuie juste un poil à la maison… Tenez, hier soir, je me renseignais sur les détails pour retourner au Brésil en lisant le pire magazine de l’histoire. Je n’avais pas réalisé à quel point tous ces machins de récits de voyage sont fascinés par la culture Indiana Jones. Ces mecs qui quittent leurs femmes et sautent dans un train pour l’Inde, ceux qui se tirent au Cambodge dans les seventies et qui ne reviennent jamais… quelles conneries… On dirait que j’ai de la chance. Je ne fais que suivre le mouvement, vous savez.

Que signifie ce nouveau pseudo, « Major Lazer » ?
Ça sonnait bien… et c’est idiot. Les gens adorent le son laser sur les mixtapes. Et tout le délire autour des militaires, des rebelles et du futur est toujours aussi présent dans les paroles de dancehall jamaïcain. Nous sommes partis de ces vieilles pochettes vertes, avec tous ces dessins humoristiques, qui représentaient le lointain mais avec une bonne grosse dread… une sorte de Terminator de la dread – dingo. On a donc créé ce vieux général à dreads en train de porter un énorme laser mon cul, et c’est devenu notre emblème, notre homme. Que Dave et moi produisons.

Ça fait quoi d’enregistrer dans les studios Tuff Gong de Bob Marley ?
Je voulais d’un endroit facile à trouver, difficile de faire mieux. Bunny Wailer tient toujours la baraque et les ingénieurs du son fument plus d’herbe que je n’en ai vu de toute mon existence… et ils ont toujours ces vieux scientifiques chinois cinglés qui gèrent les enregistrements. Ça, mec, c’était réellement le top – et le plus fort accent jamaïcain que je n’ai jamais entendu.

Vous avez donné une audience internationale au baile funk brésilien. Est-ce la bonne définition d’un artiste world wide : « qui prend des bouts de musique un peu partout pour bâtir son propre pays » ?
Merde alors : dans votre magazine, on rentre carrément dans les détails. Il y a des tas de vies fantastiques… et moi je ne peux en vivre qu’une, celle d’un mec américain blanc. J’aurais des nuits agitées, sinon. C’est bon de comprendre que les mômes avec lesquels je collabore au Brésil ne pourraient jamais obtenir de passeports tout seuls, et ne voient généralement pas plus loin que les deux prochains mois. Alors si je peux les mettre en lumière, eux, leur scène, ça me suffit. Et si la philanthropie d’un dee-jay blond des classes moyennes vous intéresse, allez sur heapsdecent.com…

A Londres, le mouvement « future primative » de la styliste Cassette Playa, ça vous dit quelque chose ?
Euh… non ! Bien sûr que si. J’ai fait la tournée des bars avec elle et M.I.A pas plus tard qu’il y a quatre jours… elles harcelaient les gens dans les rues de Shephards Bush. Elles font partie de mon crew. Je suggère aussi d’aller jeter un œil chez Amapo à Sao Paulo, si les jungle girls complètement tarées, c’est votre truc j’en suis sûr.

Et la France, c’est exotique ?
Yeah man [m’indiquant une photo de vieux Français à béret, moustachu, pull marin, deux baguettes sous le bras]. Un type comme ça, c’est exotique pour moi : je viens d’un pays de centres commerciaux, de routes crades et de skateurs. Les mimes aussi, c’est plutôt exotique.

Par Richard Gaitet dans Standard n°20

Bon en avant en 2014 avec Major Lazer – Aerosol Can feat. Pharrell Williams


Major Lazer – Aerosol Can feat. Pharrell Williams [Official Stream] by Major Lazer