Prêtresse bouclée de la génération iPod, la Londonienne Ebony Bones aborda la fashion week en liant son électro-funk de carnaval à la collection « pirate » de Castelbajac. En backstage du défilé du couturier au Carrousel du Louvre, babillage et rhabillage de saison.

 

Clapotis des vagues, ailerons de requins dépassant d’une mer factice. Puis sous les palmiers, fuyant d’une case en osier sur la piste dévouée au défilé JC/DC, c’est l’entrée féline d’Ebony « Boney » Thomas et de ses sauvages. Martellement tribal, celui de W.A.R.R.I.O.R., puis déhanchement de mannequins corsaires pendant huit titres live tirés de Bones Of My Bones, premier album vaudou-cool. Ses bottes-squelettes donnent la cadence, hélas l’audience se lève avant la fin de sa reprise de I Wanna Be Your Dog. De quoi terminer marron ? « Je ne fais pas partie de ces chanteuses hypersensibles. »

Comment as-tu rencontré Castelbajac ?
Ebony Bones : Il a demandé une entrevue, à Paris. Nous avons eu une conversation très polie, pendant plusieurs heures, autour de l’identité et du manque de conscience sociale en art. Comme mon père, il est né en 1949 mais j’avais l’impression de parler à quelqu’un de mon âge ! Il possède encore sa marque il a créé des vêtements pour Madonna et Jean-Paul II. Je le trouve très inspirant. Magique.
Sa collection printemps-été a pour thème les « pirates ». La piraterie, en mode et en musique ?
On vit dans une société pirate, une nation pirate ! Je crois pourtant que les gens ne laisseront pas tomber l’industrie du disque parce qu’elle leur permet de partager. Pourant ça ne fait pas sens pour tout le monde : Lily Allen a complètement craqué en déclarant qu’elle ne fera pas de nouvel album tant que la question du téléchargement ne sera pas réglée – elle peut toujours attendre ! Voilà notre monde : n’espérez pas que les masses s’adaptent à vous, adaptez-vous aux masses.

Ebony Bones : “Trois millions de downloads illégaux ! Ça ne m’a pas du tout énervée. N’espérez pas que les masses s’adaptent à vous, adaptez-vous aux masses.”

Ton disque a été beaucoup téléchargé, non ?
Oh yeah ! Trois millions de downloads illégaux ! Ça ne m’a pas du tout énervée. Je me fous à combien s’élèvent mes ventes, ce qui m’importe, c’est que les gens paient pour m’entendre, car vous ne pouvez pas pirater les émotions. Ado j’étais une vraie pirate : je bricolais des mixtapes toutes pourries avec ce que j’entendais à la radio, New York Dolls, Can, Fela Kuti. Spécialement à Londres, les tribus musicales se mélangeaient bien. Mes profs me renvoyaient en racontant à ma famille « la petite Ebony vend de la musique pirate à l’école ! »
A propos de tribus, c’est quoi ces anneaux en mousse qui ont rendu ton look célèbre ?
[Elle me propose d’en essayer un.] C’est une référence à une tribu sud-africaine, les Ndébélés, qu’on trouve aussi au Zimbabwe. Les femmes portent des parures pouvant atteindre 25 kg, les anneaux de cuivre colorés s’empilent autour du cou et de la taille en fonction de leur importance, de leur intelligence. Pour nos costumes de scène, j’aime mélanger les cultures, motifs égyptiens, japonais. Ne pas avoir de styliste, porter ce qu’on veut, c’est le grand pied. Le message : soyez votre propre idole, il n’y a pas que Pop Idol dans la vie.

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Ebony Bones : “J’aime la charpente masculine. J’ai réellement dit « j’aime la charpente masculine » ? Au secours !”

Tu es ta propre compositrice, productrice, multi-instrumentiste, styliste ?
Ma propre personne. Pour la mode je travaille avec le designer Timothy James Andrews, ainsi qu’avec une copine adorable tout juste sortie de l’école et ils ont beaucoup d’imagination.
Comme M.I.A., suspendras-tu ta carrière pour dessiner ta ligne de vêtements ?
Pas du tout. C’est un tel cliché, si narcissique : « Pour sentir aussi bon que moi, achetez mon parfum. » Je déteste ça, il y a tant d’autres choses à faire. Mais j’adore les gadgets alors pourquoi pas une jolie ligne de clés USB ? Je perds toujours la mienne.
Qui a le meilleur look ?
Toutes époques comprises ? Sly & The Family Stone. George Clinton. Des gens qui sortent de leurs circonférences et galvanisent leur audience. Oh ! J’adore aussi Chloë Sevigny parce qu’elle a l’air de s’en foutre intégralement, vraiment punk. Je préfère de loin la mode masculine, notamment Galliano. Il faut la célébrer davantage. Voilà : si je dois créer une ligne, ce sera pour hommes. Style début de siècle, larges épaules… j’aime la charpente masculine. J’ai réellement dit « j’aime la charpente masculine » ? Au secours !
Que regrettes-tu voir se démoder ?
Cannes et chapeaux. Les hommes font beaucoup d’efforts pour donner l’impression qu’ils ne font aucun effort pour s’habiller : c’est le cancer du style. Bon, il ne s’agit pas de dénicher des Lady Gaga mâles tous les cinq mètres, mais… exprimez-vous !
Justement : tu ne voulais pas que ton disque soit « trop poli », les morceaux te seraient venus « en une heure », « comme quand tu as trop bu et que tu vomis ». Ça va mieux ?
La plus merveilleuse des gueules de bois. Tu vois ces gosses qui sautent partout, sans raison ? Mon enfance est toujours vivante en moi. Les artistes indés sont souvent trop polis : des gosses des classes moyennes qui n’ont rien contre quoi se révolter, ne causent que de filles et de fumette. Gonflant. Sauf Empire of the Sun.
Et ton second album en 2010, enregistré à Mumbai avec un orchestre symphonique indien ?
Je dois d’abord terminer la tournée – Bones of My Bones est rentré dans le top dix au Japon –, le sortir aux Etats-Unis, tourner le clip de W.A.R.R.I.O.R. à Miami, puis j’ai un shooting avec Jean-Baptiste Mondino pour le New York Times : « la nouvelle royauté musicale », avec plein de couronnes, très drôle !

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“Les hommes font beaucoup d’efforts pour donner l’impression qu’ils ne font aucun effort pour s’habiller : c’est le cancer du style.” Ebony Bones

Ton interview ouvre notre numéro « jeux ». Quel est ton favori ?
Le jeu de l’amour. Je perds toujours donc je mise beaucoup sur 2010.
Tu veux dire que des hommes peuvent, euh, te quitter ?
Je n’ai jamais dit qu’il s’agissait d’un homme ou d’une femme, si ? [Elle éclate de rire.]

Photographie Caroline de Greef, stylisme Olivier Mulin & Vava Dudu dans Standard n° 26

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Bones Of My Bones
Sunday Best / PIAS