Bat For Lashes
En 2006, Natasha Khan, alias Bat For Lashes (battre des cils), confiait son envie de travailler avec Devendra Banhart. Huit ans plus tard, c’est en compagnie de Gregory Rogove, batteur du chanteur folk, que l’anglo-pakistanaise s’affiche dans le clip d’Under the Indigo Moon, tout nouveau morceau qu’elle a réalisé avec Beck. Retour sur ses premiers rêves dans le Standard n°17.
A notre arrivée, Natasha est au piano et ne nous remarque pas.
Natasha, bonjour. D’où venez-vous, précisément ?
J’ai grandi entre deux cultures : mon père est pakistanais et ma mère anglaise. C’est comme un conflit entre deux philosophies de vie, avec la force d’une ouverture d’esprit à large focale. Mon père était très religieux, passionné. J’ai vécu quelques années au Pakistan puis également à San Francisco, car j’étais amoureuse de Jack Kerouac – j’avais lu Subterranean Kerouac [biographie de l’auteur de Sur la route parue en 1998] et je voulais devenir l’un de ces personnages, explorer la spontanéité, le whisky, le jazz. J’ai exploré tout ça, mais j’ai trouvé mieux avec mes amis. J’ai ensuite étudié dans une école d’art le dessin, la musique, le cinéma, que j’ai mélangé pour comprendre ce que j’avais vraiment envie de faire.
Dans le clip très étonnant de What’s a girl to do, vous roulez à vélo de nuit dans une ambiance très proche du film Donnie Darko [Richard Kelly, 2001]. C’est votre idée ?
Oui, ça faisait partie du briefing que j’ai écrit pour le clip. Je voulais mettre l’accent sur cet univers cinématographique que j’adore, Donnie Darko, The Goonies, E.T. Des voyages initiatiques ou les personnages passent de l’enfance à l’âge adulte, prenant leurs vies en main en enfourchant leurs BMX.
Vous êtes un oiseau de nuit, non ?
La nuit est un moment particulier pour moi, je m’y sens bien. C’est un temps de sensation et de travail intense, plus particulièrement l’instant où l’on bascule dans le sommeil, avec l’impression de passer du singulier à l’universel. On peut capter l’invisible. Au petit matin, je suis très productive, comme rechargée de cette expérience.
Et de vos rêves provient votre univers visuel ?
Je suis née aux environs d’Halloween. Nous faisions toujours de grandes fêtes costumées lorsque j’étais enfant, et j’aimais beaucoup ce monde de la nuit, sous la lune et ces mystères. Je continue à me costumer sur scène. Je crois que certains habits ont le pouvoir de canaliser les énergies cosmiques. Je tiens peut-être de mon père cette faculté à imaginer des histoires.
Pourriez-vous nous en raconter une ?
Celle qui raconte pourquoi les hommes ont le droit de pleurer. Une sirène est amoureuse d’un pirate : idéale idylle mais amour impossible. Elle ne sait comment le retenir, car lui n’aime rien d’autre qu’écumer les océans. Ne supportant plus cette situation, ayant perdu le sens de sa vie, la sirène demande à son père, Seigneur de la mer, de mettre fin à ses jours. Ce dernier comprend la douleur de sa fille et s’exécute à contrecœur, désintégrant son corps aussitôt transformé en eau qui, en un courant vif, pénètre violemment le corps du pirate pour ne devenir qu’un intarissable torrent de larmes. Je l’avais écrite pour mon copain qui habitait New York.
C’est très beau. Vous écrivez beaucoup de chansons ?
J’ai terminé Fur & Gold il y a longtemps et je n’ai pas beaucoup composer depuis. A vrai dire, je n’ai écrit qu’un seul morceau. Aujourd’hui, j’aimerais travailler avec des artistes plus visuels, vidéastes, cinéastes (disons Vincent Gallo, Scott Walker, Devendra Banhart) et réfléchir à un univers plus ambitieux, notamment pour la scène.
Nous étions censés dîner ensemble. Quel est votre plus fort souvenir culinaire ?
Lorsque je vivais au Pakistan, ma famille m’a offert une chèvre. Je devais m’en occuper et la nourrir chaque jour. Elle était adorable et je jouais avec elle tout le temps. Un jour, lors d’une fête religieuse, ma chèvre a été suspendue par une corde et éviscérée. J’ai trouvé ce spectacle particulièrement intéressant mais je n’ai pas tellement aimé le goût plutôt fort de sa viande en curry.
Par Jean Soibon
Chauves-souris
C’est en rêve qu’un cheval est apparu à Natasha Khan, à la fenêtre de sa chambre, lui annonçant son destin musical. Prémonition de la croisade d’une Jeanne d’Arc à la pop hantée, dont la première étape, Fur & Gold, disque minéral et généreux, dévoile un recueil de chansons évidentes, belles et patinées. Tantôt piano/voix lacrymal, tantôt ballades pour gynécée, souvent sombre et parfois martial, l’album est produit par David Faultline Kosten (du très beau label Leaf) et invite Josh T. Pearson (ex-Lift To Experience). L’apparence appliquée des concerts et des vidéos teens-mystiques de Bat For Lashes vibrent d’une honnêteté touchante, soutenus par un décorum sur-mesure (plumes de paons, bijoux métalliques, dessins, collages, tatouages de chauves-souris, colliers shamaniques), ils offrent l’épaisseur nécessaire à un projet sonnant juste. J. S.Fur & Gold (Parlophone/EMI).