Sélection du Festival d’Avignon
Une belle édition, dit-on quand, malgré les vingt pièces vues (quasi) d’affilée, on se réjouit sans se lasser. Ainsi, le chef de troupe Vincent Macaigne fut couronné roi, on acclama l’autrefois déchu Pascal Rambert, et l’impitoyable Romeo Castellucci nous fit pincer le nez de grâce et de torpeur.
Turnover du sentiment amoureux
Critiques et public conspuèrent sa pièce After/Before en 2005. Les mêmes saluèrent cette année debout et mains battantes Clôture de l’amour. La salle en très haute empathie n’a plus moufté, le mistral a tourné. Dans notre bibliothèque amoureuse et désespérée désormais, entre Racine et Shakespeare : Pascal Rambert. Avec ce texte, l’auteur et metteur en scène résilie le contrat qu’un homme avait signé sur le corps de sa bien-aimée dans Le Début de l’A. (2007) et clôt leur histoire dans une séparation dure, à la hauteur de leur adoration. Entre, il y eut Libido Sciendi (2008), une pièce de danse où un garçon et une fille faisaient l’amour, comme si le tout additionné formait une trilogie.
Sur le plateau, qui reconstitue une salle de répétition du Théâtre de Gennevilliers (dont Rambert est directeur), Stan et Audrey (personnages et comédiens ont les mêmes prénoms et métiers) entrent silencieux et s’ajustent à quelques mètres, comme aux prémices d’un match de boxe on tient la bonne distance. Lui physique sec et nerveux, elle silhouette filiforme que prolongent encore de longs longs cheveux. Il commence : « Je voulais te voir pour te dire que ça s’arrête. » Le ton direct est donné, et pendant deux heures, il va parler puis elle va répondre – à la mi-temps, une chorale d’enfants entonnera Happe de Bashung –, deux embardées l’une après l’autre sans s’interrompre, d’une violence telle qu’on la croirait à bout portant. « C’est comme une chambre de torture où les armes destructrices sont les mots », dit Pascal Rambert, qui a « cousu à l’aiguille sur la peau » de ses acteurs un texte sans ponctuation, avec ses répétitions et ses impasses. Impact physique de la parole qui courbe les corps qui ne s’approcheront pas, au risque d’arracher à l’autre sa langue. Rien du quotidien ne sera exprimé, juste la substantifique moelle de l’amour éviscéré. « Nous aimions nous aimer c’est tout mais nous aimions-nous Audrey ? », dit Stan. On pense à L’Abécédaire de Deleuze qui, à D comme Désir, évoque Proust et les paysages de l’autre un jour épuisés. C’est le turnover du sentiment amoureux, comme un produit de consommation jetable, l’idylle a fait son temps.
par Mélanie Alves de Sousa
Webdocu par Neigeatokyo (Mélanie Chéreau)
Clôture de l’amour
Texte, conception, réalisation : Pascal Rambert
Avec Audrey Bonnet et Stanislas Nordey
Répétiteur Thomas Bouvet
Théâtre de Gennevilliers du 30 septembre au 22 octobre
Le texte Clôture de l’amour est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs.