The XX : « Comme de l’huile et de l’eau sur une fenêtre. »
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Il aura suffi de deux lettres et trois corbeaux pour que la new wave reparte à l’assaut des tristesses contemporaines : juvéniles et blafards, les Anglais de The XX nous parlent amour, gloire et beauté par la voix de leur bassiste.
Il est 16 heures et c’est le Costes des grands jours avec jeunes femmes désœuvrées et gros flambeurs impassibles. Dans un boudoir discret – bougies sur nappe épaisse et espressos ultraserrés –, The XX tient salon. Trois ans se sont écoulés depuis le succès des Londoniens via xx, premier disque économe et triste reçu comme l’emblème ondulatoire de l’ère ouverte par la crise de l’automne 2008 (d’ailleurs période de formation du groupe), élu plusieurs fois album de l’année (The Guardian, Les Inrocks) et récompensé d’un Mercury Prize. Dans l’élan, Jamie Smith (alias Jamie XX, aux claviers) a cartonné seul en 2011 avec un remix monstrueux d’Adèle (Rolling in the Deep), un single futé de steeldrum-dubstep (Far Nearer) et un magnifique travail de relecture givrée d’I’m New Here (2010), l’album testamentaire de Gil Scott-Heron concocté par Richard Russell (We’re New Here). Devant tant de célébrité, on se replie vers Oliver Sim, bassiste-chanteur et songwriter en chef du trio aux côtés de Romie Madley Croft, guitariste.
A 19 ans, cet échalas efféminé à godillots de skin aime la banane à la gomina, les cols roulés et les clés de jardin montées en collier. Et ne réchigne pas à fabriquer des boucles d’oreilles avec des languettes de canette. Résigné mais optimiste après une vingtaine d’interviews, il nous décrit Coexist, collection vénéneuse de fragments amoureux qui envoie valser Casanova dans une mer de ciguë.
Où en est ta vie ?
Oliver Sim : Tout a changé, absolument tout. Avant la sortie de xx [2009], j’habitais chez mes parents dans mon bon vieux South London. Aujourd’hui, je ne sais plus trop où je vis. Je ne réalisais pas à quel point j’étais dans une bulle… je n’avais jamais quitté l’Angleterre, sinon pour des vacances à Toulon !
Ce qui frappe dans Coexist, c’est la montée en puissance de ton duo avec Romie.
C’est ma meilleure amie, on se connaît depuis l’âge de 2 ans. Composer ensemble est une façon de se parler et de mieux se connaître encore.
Elle a des accents lyriques parfois, et toi, cette voix traînante… Peut-on évoquer ton admiration pour la chanteuse soul-jazz anglaise Sade ?
On peut… J’ai découvert Sade super tard et vraiment, je la trouve parfaite ; un sens dingue de la mélodie, une telle concentration [ses yeux brillent], j’adorerais faire une reprise et en même temps non… Trop de respect.
Le thème du disque renvoie à celui de certains opéras, comme Cosi fan tutte de Mozart, lorsque les protagonistes se préparent à l’amour et à la confidence.
Sur le premier, je chantais des choses composées à 15 ans, des observations sur les gens et sur ce que je voulais devenir. Là, j’ai découvert ce qu’il se passait en moi dans les relations amoureuses, et voilà, c’est un peu effrayant… à la façon d’un Lou Reed.
Il y a souvent un petit côté berceuse.
Peut-être dans Angel et surtout Our song, où je chante à l’unisson avec Romie.
Vous êtes amoureux depuis toujours ?
Je te dis, c’est juste ma meilleure amie, la personne dont je me sens le plus proche.
OK, c’est un peu ton amour secret, comme dans Hunger Games [Cary Cross, 2012] : la fille aime son vieux pote, mais elle est obligée d’en épouser un autre…
[Sourire] Non, je ne suis pas Katniss Everdeen [l’héroïne, jouée par Jennifer Lawrence] ! Mais Hunger Games, c’est un peu nous face aux médias. Lorsque tu deviens connu, tout se complique. Tes relations avec tes amis, tes ex… La célébrité, c’est laisser tout le monde entrer dans ton intimité. Comment donner un peu de soi en restant sincère ? C’est notre combat.
Une façon, donc, de coexister avec les médias, le public ?
De faire tenir ensemble des choses qui ne se mélangent pas mais se juxtaposent. Romie voit ça comme de l’huile et de l’eau sur une fenêtre.
Autre mélange : vous restez jeunes, mais avec le succès, vous êtes passés de l’autre côté. Il y a une maturité un peu triste et une impulsion très juvénile.
C’est notre vie…
Et Jamie dans tout ça ? Il tourne partout comme DJ, empochant des milliers d’euros par set… Là aussi, ça coexiste ?
Il n’y a pas de problème, Jamie est avec nous, à fond. Ce côté dense et sec, plein de surprises, cet esprit danceen embuscade… il a porté loin la production. L’été dernier, je suis parti avec lui en tournée, il mixait des trucs incroyables dans des endroits fous. J’ai adoré ! Je me suis dit qu’on a une sacrée chance de vivre The XX, de profiter d’une époque où la créativité musicale est partout, sans limite.
Entretien Antoine Couder (avec Sylvie Thévenet) dans Standard n°36, en kiosque.
Photographie Clément PJ Schneider
Stylisme Edem Litadier Dossou
The XX en concert
Le 6 septembre au Cirque d’hiver
Billets en vente mercredi 25 juillet sur thexx.info et vendredi 27 juillet sur digitick
Le disque
Plus gloom que glam
Toujours cette ambiance suave et introvertie où s’alignent des chansons réduites à leur plus simple expression rythmique. Des pierres précieuses mélodiques qui hésitent entre plusieurs directions (Try), mais restent fermement tenues dans une marque de fabrique : intro sépulcrale, voix neurasthénico-romantiques qui se répondent sur le mode d’un dévoilement des sentiments, retenue de ce qui déborde par respect pour l’être aimé. Plutôt dans le comment que dans le pourquoi, Coexist cherche l’équilibre moral de l’amour, quelque part entre Montaigne et Kierkegaard (« Une condition capitale pour la jouissance, c’est de se limiter », affirme le second dans Journal d’un séducteur, 1843), s’autorisant des sautillements – Swept away, Reunion, sans doute les meilleurs moments d’un disque parfois trop timide, à voir avant tout comme un immense réservoir à remixes.Jamie Smith, producteur, n’est pas pour rien dans cette orfèvrerie portant le son du double X vers les recoins les plus inattendus. Dans cette déambulation sensorielle qui secoue par son extrême austérité, ce second album finit par ressembler à un ouvroir à musiques dans lequel on pourrait pêcher la bande-son des prochaines saisons de Skins ou des Misfits, alors que partout suinte un air du temps autrement exigeant ; celui d’une jeunesse cassée et cassante qui contemple impavide son âme fatiguée et innocente.
A. C.
Coexist
Sortie le 10 septembre (Young Turks / X)
Live! Le rimmel coule le 11 août à Saint-Malo, Route du rock.