En 2011, l’électro-dadaïste Sydney Valette racontait la léthargie des dimanches, « jour de glande absolue » (Standard n°33). Après le concert qu’il donnera ce samedi au Quartier Général, ce fou rêveur honorera comme il se doit son jour de repos. Retour sur une rencontre home sweet home.
Sydney Valette autoportrait

© Romain Le Cam

Plutôt mourir que crever est un disque 100 % fait maison. C’est comment chez toi ?
Sydney Valette : J’ai dû déménager treize fois en six ans, mais depuis trois mois, je vis dans un deux-pièces plutôt mignon du 10e arrondissement parisien. J’aimerais bien trouver plus grand, il est bas de plafond et fait un peu maison de poupée. Parfois je m’y sens bien, parfois moins… Le problème, c’est que je ne peux pas trop sauter en l’air. Mais c’est mon petit cocon quand même. Sinon, je vais chez mon père : il habite à la campagne à côté de Bordeaux, et moi, j’aime beaucoup la nature. J’ai besoin de sentir l’air passer.

Comment travailles-tu ?
Je vais au bureau, en fait. Mais dans mon salon… Je compose généralement le matin, car je peux prévoir l’après-musique : une dépression passagère. Une heure après avoir travaillé, je ne peux plus rien faire. Je suis vide, j’ai l’impression d’être un fantôme. Alors je m’allonge ou je vais me balader parce que sinon, je bouge très peu à part mes doigts sur mon synthé, mon ordi, ma souris et mon micro. La musique électronique, c’est du travail de bureau, une sorte de graphisme sonore. Finalement, derrière toutes les apparences de la normalité, je fais quelque chose de très libre. Je suis au bureau et je souris.

Tu bosses parfois en pyjama ?
Bien sûr, à la japonaise. En même temps, je commence à m’habiller, car les vêtements structurent le corps. Ils te rigidifient et te mettent d’attaque pour travailler.

La solitude, c’est pesant ?
Oui et non. Je ne suis pas complètement seul, j’ai composé Paradise et Tiger or Tiger avec mon ex-copine Alex June. Maxime deBonton qui m’a signé sur son label m’a également aidé à produire l’album. Pour le live, je travaille depuis peu avec un ami qui fait de la musique acousmatique. Il est aux machines et aux synthés, et moi à la voix, aux synthés, aux effets et aux percus. C’est très nouveau pour moi.

Sydney Valette : « Les autres existent et c’est pour ça que je sors de chez moi. »

Pourrais-tu définir ton home sweet home idéal ?
Un peu la pochette de l’album. Je l’ai réalisée aux Ateliers de Sèvres en 2008. C’est une maisonnette en argile toute blanche de la taille d’une mini-main entourée de PQ. Derrière la porte, il y a un trou noir inquiétant, qui ressemble un peu à un anus avec de la neige autour qui flotte sur un océan imaginaire. Sans rire, j’adore être chez moi, je me sens comme un chat d’appartement. Il y a tellement de choses qui peuvent se passer dans un si petit espace, c’est incroyable : lire, manger, cuisiner, faire le ménage, du yoga, la sieste, de la musique… La plupart des gens n’en ont pas conscience car ils travaillent à l’extérieur. Pour moi, c’est un monde à part entière. Mais ça ne suffit pas parce que les autres existent et c’est pour ça que je sors de chez moi.

Qu’est-ce que tu vois par ta fenêtre ?
Un méli-mélo de toits haussmanniens avec un bout de ciel bleu. Je donne sur une cour qui ressemble à un puits. Quand je m’allonge, je vois le ciel par ma minuscule fenêtre. Les gens sortent la tête dehors pour fumer, téléphoner, et puis j’entends des chants de muezzin de la mosquée à côté. Ça m’inspire.

Composer seul est-il une peur du monde extérieur ?
C’est juste une nécessité. Si j’avais les moyens de louer un studio, je le ferais. Mais ça acquiert un aspect poétique. J’ai une liberté immense, mais je suis confronté à des impératifs techniques.

Comment es-tu devenu musicien ?
J’ai fait du piano classique pendant dix ans. Mais avec la musique électronique, il a fallu faire un choix. Le piano me tient à cœur, c’est un engagement au niveau du corps, bien qu’avec les synthés je m’en rapproche. J’ai commencé à écrire des chansons en 2005… Au début, je le faisais pour moi et les potes, et aussi pour les filles dont j’étais amoureux. Le disque a donc été un processus un peu imprévisible, né d’une rencontre avec mon label.

L’inspiration, en dehors de ton chez-toi ?
Je lis des romans, de la poésie, de la théorie sur la musique contemporaine – un livre qui compile des articles sur John Cage et Brian Eno, notamment –, ainsi que des bouquins zen, car je fais du yoga. Mes textes sont confrontés au vide et mettent le langage dans une situation bancale où les mots les plus banals sont à la limite mais font sens. Il n’y a pas d’élaboration intellectuelle. Ils se confrontent au basculement dans l’absurde à travers l’énonciation, l’addiction ou le quotidien. Je suis fasciné par la figure du haïku, car on ne peut pas faire plus simple, plus naïf et plus profond à la fois. Comme si le langage était le vernis du vide.

Sur Dimanche, tu chantes : « Aujourd’hui c’est dimanche, je me réveille et regarde par la fenêtre le ciel blanc avec quelques toits / La tête encore dans le brouillard de la veille, on essaye de réfléchir, mais on n’y arrive pas, on se laisse absorber par tout ce qui nous entoure, on vit un rêve. » C’est ça le dimanche pour toi ?
En fait, c’est le jour à double tranchant, merveilleux et horrible. En général, c’est la glande absolue pour moi. Je lis, je regarde des vidéos, je plonge dans les méandres de YouTube, je vais marcher. Et puis souvent c’est dur pour la tête, car je suis sorti la veille. Dimanche est le premier morceau sur lequel j’ai posé ma voix, un dimanche justement. Le dimanche, c’est comme Paris en août, c’est l’expérience du vide. Le jour du Seigneur…

Sydney Valette autoportrait

autoportrait

Quelle est ta musique embryonnaire ?
La variété française des années 80, Souchon, Cabrel, Goldman que j’écoutais à la radio, et les compiles Dance Machine très mainstream. Ma mère m’a initié à Michael Jackson, Prince et puis tous les trucs un peu funks du label Sun. Mon père, qui est chanteur, écoutait du jazz et de la chanson française.

Et ton côté Taxi Girl ?
J’ai découvert ça à 21 ans. C’est une réminiscence constante dans ma musique. Il y a aussi Elli & Jacno, mais aussi Deux [duo français minimal électro-pop des années 80], qui traîne une image désenchantée derrière une plastique guillerette. Complètement charmant.

As-tu des affinités avec des artistes qui composent à la maison ?
Je connais bien Björn, de Thieves Like Us, qui a son home-studio à Paris comme moi. Il a participé à la production de Dimanche.

Qu’écoutes-tu chez toi ?
John Mouse ! Une sorte de prédicateur un peu fou de Cardiff, prof de philo, que j’ai étudié moi aussi ; il détourne la pop avec des textes stupides et a une voix d’outre-tombe. J’écoute beaucoup Brian Eno, qui me fascine, particulièrement Small Craft On A Milk Sea [2010] et Another Green World [1975]. Mais j’aménage aussi des plages de silence. Quand on vit seul, on est souvent confronté au silence. Une fois qu’on a appris à l’apprivoiser, c’est aussi agréable et important que la musique. Pour moi, c’est vital, sinon mon cerveau ne peut pas fonctionner. Sinon, je chantonne beaucoup, sauf sous la douche.

A dada sur mon bidet

Sydney Valette Plutot mourir que crever

« Pourquoi pas je ne peux pas rester dans mes rêves-heuu ? / Non, non, non, j’veux pas me lever ! » braille Sydney Valette, 25 ans, sur un ton de gros bébé énervé prêt à casser tous ses synthés-jouets. Intitulé Frustration onirique, cet hilarant haro post-dada prélude l’excellent Plutôt mourir que crever : un premier album cuisiné maison par un fou rêveur, fils de crooner jazz et amateur de lunettes goutte d’eau, de philo et d’électro. Après avoir plaidé pour que Dimanche soit « le jour de tous les jours » sur un beat névrotique, il hurle « qu’il est doux d’être un animal ! Qu’elle est douce la régression ontologique ! » (Peurs viscérales) ou convie son ex, Alex June, en duo psyché-lyrique (Paradise, Tiger & Tiger). Parfois, le timbre pleure, les mots s’aggravent et les productions se désarticulent – quasi martiennes (Tiger Jogging). Désenchantée mais follement dérisoire, héritée de Taxi Girl et cousine des Crystal Castles, sa pop synthétique vacille constamment entre onirisme et surréalisme, romantisme suranné et rage punk. Obsessions, angoisses, dépendances narcotiques ou éthyliques hantent ses fables ordinaires de la vie urbaine, faisant du Parisien une délicieuse anomalie. Chez Sydney Valette au fond, le cocon paradis n’est qu’une abstraction. Il pousse les murs pour confiner au rêve. E. C.

Sydney Valette
Plutôt mourir que crever
deBonton / Phunk

Après l’interview, Sydney nous a envoyé ce mot, révélant l’origine fantasmée de sa vocation.
« Je suis chez ma mère avec Jérémie. C’est la tempête sur la France depuis dix jours. Une sorte de déluge apocalyptique qui la noie. Partout les gens vivent dans la peur. A ce moment-là, il fait beau et Jérémie fait du bricolage dehors sur les rochers abrupts qui tombent dans la mer. Soudain, avec une violence et une vitesse inouïes, une énorme tornade apparaît juste à côté. Je dis à Jim de rentrer, mais après quelques secondes, celle-ci passe sur la maison, s’effrite, prise dans la tourmente alors qu’il fait beau dehors. Une magnifique lumière même. De fin de journée estivale. Quelque part. En Méditerranée. Ça tremble de partout, je crois vraiment que la maison va s’écouler. Mais j’ai, je, j’ai, je ne sais quelle confiance en moi qui fait que je me tiens droit dans le salon en attendant que ça passe. Et ça passe. Et je me retrouve sur une grande route menant à Paris au milieu du désert. Une sorte d’allée, à la romaine. Je passe une première porte antique en pierre jaune très vieille et magnifique, puis j’arrive à la deuxième entrée qui mène au palais présidentiel. J’arrive un peu les mains dans les poches d’ailleurs et je contourne le buffet à l’entrée de l’escalier et me faufile par la gauche à l’intérieur du palais. Là, je rencontre deux hommes politiques, doubles Jean-Pierre Marielle, qui jouent, qui sont peut-être gays mais pas sûr. Je crois que je m’embrouille avec eux parce qu’ils font des phrases un peu énervantes et que ça m’empêche d’avancer. C’est un rêve en fait, car le rêve est sous-jacent à ma musique. Il explique comment et pourquoi j’ai commencé à faire de la musique. En plus, j’en avais marre de répéter tout le temps la même chose. » E. C.