Soko n’a pas l’habitude d’embrasser des garçons. Elle l’a fait pour la publicité déguisée sur Youtube la plus vue de l’année (76 millions de plays pour la marque de prêt-à-porter américaine Wren). Devant la réalisatrice Tatia Pilieva, vingt personnes s’enroulent la langue alors qu’ils viennent de se rencontrer. Pendant les slurps, I Thought I Was An Alien tourne en BO. L’occasion de relire ce qui s’est passé la première fois qu’on a vu Soko, en 2012 – rien à voir avec le patin.
Sauvage et surbookée, Soko soigne son image et un premier album introspectif peuplé de morts et de mots doux entre deux films hystériques. Bientôt le nervous breakdown ? Se demandait Standard en janvier dernier… le clip sorti la semaine dernière est une réponse possible. L’interview qui suit en proposait d’autres…
interview Soko magazine standard Antoine Chesnais

© Antoine Chesnais

It-girl dès ses premières démos sur Internet, Stéphanie Sokolinski, 26 ans, aura mis cinq ans à achever son premier album, I Thought I Was An Alien, collier de quinze perles lo-fi enregistrées sur GarageBand en mode couch-surfing entre Paris et Los Angeles, tournages (Bye-Bye Blondie de Virginie Despentes) et tournées (avec Adam Green, Jeffrey Lewis). La jeune auteur-compositeur-interprète, également comédienne (nominée en 2010 au César du meilleur espoir pour A L’Origine de Xavier Giannoli), pose sa pierre sur un chemin semé d’embûches et d’anges gardiens, avec un bel album de depressed-pop, introspectif et amoureux, dont le premier clip est signé Spike Jonze. Ces chansons de bric et de broc, inspirées par Daniel Johnston ou le Velvet Underground, dressent le portrait fragile d’une femme-enfant du siècle, entre no future et tout, tout de suite, dans une lumineuse urgence.

Ta vie de globe-trotter ?
Soko : Ces dernières années, j’ai squatté sur des canapés à Londres, New York, Seattle ou Los Angeles. C’était super de jouer avec plein de gens et de vivre de ma musique, mais je n’ai toujours pas de maison, et cette sécurité me manque ; j’en ai encore pour un an comme ça. C’était mon anniversaire en octobre et mes potes m’ont fait des cadeaux légers.
C’est pour ça que tu as beaucoup enregistré sur GarageBand ?
Oui, si je ne capture pas le truc tout de suite, j’ai l’impression que je ne retrouverai plus l’émotion du moment. Pour la première et la dernière chanson de l’album, et j’ai conservé beaucoup de voix d’origine que je n’arrivais pas à refaire en studio. Toutes les drum-machines ont aussi été repassées dans ce logiciel, parce que ça sonnait trop clean et que j’adore sa reverb’ cheap. Réenregistrer les voix, c’est la pire corvée qui soit. Retrouver une émotion qui date parfois de quatre ans, c’est horrible.
En concert, pourtant, tu es bien obligée de te reconnecter à ces émotions, non ?
Oui, c’est bizarre, mais en concert, je suis vachement moins timide et en même temps dix fois plus sensible, très vulnérable. Ça m’arrive souvent de pleurer, sans le vouloir ni le prévoir, et donc de faire pleurer le public. J’adore ces moments-là. Comme je trouve super le fait de poster sur Facebook que « demain, je joue dans tel petit parc allemand à telle heure » et de voir débarquer trois cents personnes. Je préfère ça aux clubs.
Et quand tu joues en Australie devant quinze mille personnes ?
Après ça, j’ai arrêté pendant un an. Ce n’est pas du tout mon truc. Je me posais beaucoup de questions : « Pourquoi les gens viennent me voir alors que je n’ai rien sorti ? C’est du buzz ? C’est de la merde, ça ne veut rien dire ! »
Ta chanson I’ll kill her tournait beaucoup sur le Net…
Mais c’était de la merde. Ça n’est jamais sorti officiellement, j’avais l’impression d’un petit gribouillage sur un bout de papier que quelqu’un, deux ans après, voulait exposer au Guggenheim ! Hyper frustrant.
Ton côté « do it yourself » est proche de Daniel Johnston, avec qui tu as tourné.
Daniel travaille de manière très spontanée. Il enregistre dans son garage sur tape-recorder, c’est brut, sans fioritures. J’ai fait quelques dates avec lui, c’était trop bien, on a chanté quelques titres ensemble, dont Lousy Week-end, ma préférée. Daniel ne me parle pas de ma musique, il dit juste : « Quand est-ce que tu viens à Austin enregistrer avec moi ? »

Soko : « Depuis la mort de mon père, je me dis constamment qu’il faut que  je fasse le plus de choses possible tout de suite.»

Ton disque est une sorte d’autoportrait psychologique, comme avec I’ve been Alone Too Long, où tu évoques ton père disparu.
Beaucoup de mes chansons sont comme des lettres, adressées à des gens. J’ai énormément souffert de la perte de mon père en grandissant, et j’ai écrit plein de chansons pour lui, ou pour ma grand-mère. Je me sens toujours un peu menacée. Mon père est mort d’une rupture d’anévrisme, en dix minutes, du jour au lendemain, il n’avait aucune maladie. Ce souvenir est un poids, ça dicte presque ma vie, et mes relations avec les gens sont souvent lourdes à cause de ça. Je me dis toujours que je peux mourir demain en traversant la route, j’ai l’impression que j’ai plein de trucs urgents à faire, qu’il faut que je fasse le plus de choses possible tout de suite…
Tu as joué l’année dernière dans le film de Virginie Despentes, Bye Bye Blondie, adapté de son livre en 2004. Il va sortir, finalement ?
Oui, oui, ça a été long et compliqué, mais le film sort a priori fin mars, début avril. J’adore Virginie, j’adore ses bouquins. Après avoir lu King-Kong Théorie [2006], j’avais envie de frapper la terre entière, je me disais : « Je suis féministe ! » Sur un tournage, elle est hyper gaie, hyper contente, elle porte toute son équipe, c’est génial. En même temps, il y a des moments d’insécurité, des gros doutes, des trucs noirs… Aujourd’hui, si j’ai besoin de conseils, je peux l’appeler. Elle a vécu des trucs très lourds et elle est à l’écoute.
D’autres projets au cinéma ?
Je termine un tournage en Israël [Friends From France, de Philippe Kotlarski et Anne Weil, sur deux agents secrets amateurs dans l’URSS de 1982] et j’en prépare un autre, assez lourd [Augustine, d’Alice Winocour] sur l’hystérie, dans lequel j’ai le rôle principal, avec Vincent Lindon en professeur Charcot [1825-1893]. Quand j’ai lu le scénario, j’ai eu le coup de foudre, la production a vu mille deux cents nanas, mon agent les a appelés pendant huit mois et finalement ils m’ont prise. Ça ne me fait pas du tout peur, mais c’est un gros challenge : il y a trois scènes d’hystérie vraiment balèzes, je fais des mouvements pas du tout naturels, une manière de se tordre que même un gymnaste ne peut pas reproduire : se relâcher, contracter d’autres muscles… c’est assez proche de la crise d’épilepsie.
Ça va aller ? Tu vas tenir le coup ?
Un médecin du travail m’a dit récemment : « Vous sortez un disque, vous allez être en tournée, vous tournez deux films en même temps… non mais là, JE VOUS L’ANNONCE, VOUS ALLEZ CRAQUER ! » Oh putain ! Merci !

Entretien Wilfried Paris, en janvier 2012 dans Standard n°34

Dernier album paru :
I Thought I Was An Alien
Because