Avec Whispering Pines 10, la performeuse et vidéaste, Shana Moulton offre un univers onirique où les énergies parallèles fusionnent avec des objets récupérés. Sous prétexte d’embellir le quotidien, avec le personnage de Cynthia, l’artiste jongle  jusqu’à les transcender les facettes du monde en une énième dimension. Son travail a été présenté aux Etats-Unis, en Suisse, en Hollande, en Irlande. C’est à la galerie Dohyanglee, lors de l’exposition de groupe Probable, préférable, plausible, possible orchestrée par la critique d’art Jill Gasparina, qu’on a pu découvrir son œuvre en France. Shana, derrière Cynthia, s’est montrée éblouissante de sincérité, légère, ingénue. Comme dans cet interview…

Shana Moulton

Votre esprit, ou l’intérieur de votre corps peuvent être des portails symboliques propices à l’évasion.

Dans vos films, les éléments se fondent les uns aux autres et créent une nouvelle dimension. Vous créez des hallucinations, une féerie contemporaine ?
Shana Moulton : Dernièrement, j’ai lu le livre Nomad codes d’Erik Davis, dont certains passages constituent une excellente illustration de mon travail. Je suis toujours en quête de magie, c’est une manière d’échapper à la banalité. Pour accentuer cette quête, j’ai recours aux fantasmes et aux hallucinations. Parfois, dans la routine, on arrive malgré tout à percevoir des ouvertures à la rêverie. Votre esprit, ou l’intérieur de votre corps peuvent être des portails symboliques propices à l’évasion.

Chaque élément semble avoir une symbolique particulière. Les choisissez-vous de manière spontanée ou vos recherches sont-elles très précises ?
Les deux sens. Parfois je trouve un objet dans un dépôt-vente ou un magasin « tout à un dollar ». Cela ne l’empêche pas de sembler rempli d’énergies et de m’évoquer quelque chose de mystique ou totémique. Si, au contraire, l’objet  est difficile à trouver et demande de la recherche, il s’intensifie encore plus par le biais d’un pouvoir mystérieusement énergétique. Une fois, j’ai trouvé par hasard un panneau gravé que je n’arrivais pas à déchiffrer. Il est devenu le point central d’une de mes vidéos. Une autre fois, c’était un poster en 3D représentant un œil magique qui est devenu la métaphore d’autres sphères, une forme d’ouverture d’accès à un monde parallèle. Souvent, je recherche quelque chose d’alchimique, et je collecte, par exemple, des formes circulaires : des billes en argent, un presse-papier en verre, un paon faisant la roue en jouet etc.

Vous jouez avec l’aspect matériel et l’immatériel des choses.  Est-ce lié à votre perception de la spiritualité ?
Quelque part, oui. Mais je ne suis pas certaine de pouvoir définir ma vision de la spiritualité. Je trouve le new-age stimulant. Après avoir lu un bouquin là dessus, je suis sortie de chez moi et ai perçu une lumière dans ma rue que je n’avais jamais vue ; je me sentais pleine d’espoir et d’optimisme. Jouer entre le matériel et l’impalpable est sans doute l’expression de mes ambivalences.

Cynthia est-elle une partie de vous ? Un alter ego ou double ? Une pure fiction ?
Cynthia est une part de moi. La plupart de ses scénarios sont inspirés de choses qui sont arrivées à moi ou à des personnes proches. Elle est aussi connectée à des personnages de séries télévisées ou de films qui m’ont touchés : comme Nadine, la femme à la bûche de Twin Peaks, Carrie du film Carrie, le rôle de Julianne Moore dans Safe, Alice et son pays des merveilles. Cynthia ne correspond à aucune histoire particulière, même si elle vit en Californie, dans une zone pavillonnaire. Elle n’a pas d’âge défini ni de statut marital, de vie sociale ou de carrière. J’ai toujours préféré mettre en avant des états d’âme plutôt qu’un rôle social. Elle est agoraphobe et recluse, ce qui pour moi, ne constitue pas une aliénation mais le symptôme d’une vie de banlieue.

Il y a quelque chose de pur et naïf dans vos films et performances, vous avez gardé une part d’enfance ?
Oui, j’ai besoin d’expérimenter les choses de façon narrative comme s’il s’agissait de la première fois. Cynthia vit un état d’anxiété, d’inconfort, elle représente un réel désir de transcender le quotidien et cela déclenche une succession d’évènements. Sa constante recherche d’auto accomplissement peut apparaître naïve, mais elle reflète ma manière d’aborder l’art. Une belle expérience artistique pour moi, c’est quelque chose qui me procure la sensation que j’avais,  enfant, en découvrant une nouvelle aire de jeux. Une excitation que je n’aurais jamais ressentie auparavant et qui me propulse vers des univers à explorer.

Par Lia Rochas-Paris

Shana Moulton

Tous les visuels : courtesy de l’artiste, © Paul Fargues