Héritier génétique et traditionnel de l’afro-beat, Seun Kuti sera en concert au Plan le 28 mai. Le chanteur et saxophoniste de 31 ans sera accompagné d’Egypt 80, l’orchestre historique de son père Fela, pour jouer A Long Way To The Beginning, son dernier album. Retour en 2008, quand le Nigérian évoquait ses ambitions politiques (Standard n°20).
Seun kuti ©Caroline de Greef

©Caroline de Greef

Ces jours-ci, le président nigérian Umaru Musa Yar’Adua fête sa première année de mandat, après l’une des élections les plus corrompues de l’histoire du pays. Il affirme avoir fait « progresser le respect de la loi et de la démocratie ». Qu’en pensez-vous ?
Seun Kuti : « Le respect de la loi » pour le gouvernement, c’est le business – pas pour le peuple qui ne connaît que l’illusion de la liberté. Nous sommes encore brutalisés par la police, juste en marchant dans la rue, si les flics n’aiment pas ton visage. Ce président n’a fait qu’approuver la politique du précédent, Olusegun Obasanjo [1999-2007] et distraire le peuple. Personne ne peut croire que seize millions de dollars ont été dépensés pour une électricité que nous n’avons toujours pas. Il a été placé là par sélection, pas par élection, avec des votes cachés. Cela aurait du être le frère d’Obasanjo, mort trop tôt ! C’est pourquoi je ne vote plus : une perte de temps. Il a confessé lui-même le scrutin truqué ! Un chef d’Etat qui admet l’illégallité de sa position ? Une enquête est en cours auprès de la Cour suprême, mais nous savons tous comment marche le Nigeria : c’est une farce. Ce président – ce chef d’entreprise – ne respecte que le Mal. En huit ans de gouvernement de l’Etat de Katsina, il n’a pas réussi à résoudre le problème des soins et des transports. Comment pourrait-il le faire pour tout le pays ?

Mi-juin, il sera en visite officielle en France. Quelle devrait être l’attitude de la France à son égard ?
En premier : retirer son nez des affaires africaines, elle a fait assez de dégats. Peu importe de quoi ils auront parlé, ils oublieront tout. Ensuite, changer le protocole : l’Afrique mendie sa nourriture, son eau, ses routes, son électricité, alors que nous sommes le continent le plus riche en termes de ressources. L’Amérique vient nous acheter du riz, et nous achetons du riz à la Thaïlande ! Ils prennent les citoyens pour des bébés ! Je n’attends donc rien des rencontres d’une marionnette avec Sarkozy, Poutine, Bush… jusqu’à Barack [Obama] ! Et Barack me parlera, plutôt qu’au président.

Avez-vous déjà eu des ennuis ? La police fait-elle toujours des descentes à la République de Kalakuta [le quartier historique de la famille Kuti] ?
Moins agressives qu’auparavant, mais je me suis fait arrêter il y a deux semaines, pour rien : je fumais de la marijuana. Neuf heures de cellule pour un joint ! Ils m’ont laissé partir parce qu’ils ont lu que j’étais en concert en France. En décembre, mon frère Fémi a vu débarquer 400 policiers chez lui pour vol et recel supposé d’armes à feu ! Un artiste international nommé aux Grammy Awards en 2003 ! Je me sens violé. Et cela arrive tous les jours en Afrique ; moi j’ai de la chance, les gens m’écoutent. Pendant les procès, vous ne voyez même pas le juge ! La révolution ne se doit pas de planifier, elle doit être spontanée, avec des morts en pleine rue. Et pourtant : les révoltes de Kabila, Mobutu, même Mandela n’ont rien pu changer ! Jerry Rollins au Ghana ! Le prochain Che Guevara africain doit penser au futur.

Seun Kuti : « Si vous voulez vous faire botter le cul par les flics, appelez-les zombies. Ça marche toujours. »

Et si c’était vous ?
J’ai besoin d’expérience, d’avoir du succès avec mon premier amour, la musique, et ensuite j’y penserai. Nous avons des régulateurs, mais pas de leaders. Mon oncle Beko Kuti, membre du gouvernement, n’arrive pas à agir, faute d’argent. Je préfère être mon propre soutien, avec le peuple derrière moi – et c’est tout. Pour moi, la musique, c’est de la politique. Grâce à elle, l’idéologie de la vérité est répandue pour contester. Elevé par mon père, j’ai toute l’inspiration qu’il faut, ne vous inquiétez pas ! J’ai lu Malcom X, Marcus Gavey, et même des livres religieux… quoique je n’ai pas aimé le Da Vinci Code. Mais comme disait mon père : « j’ai un doctorat de bon sens. »

Utilisez-vous le mot « zombie » de Fela, pour stigmatiser la lenteur des politiques ?
Pas la lenteur : leur absence d’âme. « Marche », « tire », « stop ». Si vous voulez vous faire botter le cul par les flics, appelez-les zombies. Ça marche toujours.

Parlons d’afro-beat : comment, si jeune, gagner la confiance d’un groupe de musiciens de 50-60 ans ?
J’ai ça dans mes gênes. Nous avons une relation spéciale : je chante avec eux depuis mes 8 ans, chaque membre est comme un frère, un oncle, nous sommes une unité en marche. Lancer un groupe d’afro-beat coûte très cher. Je suis le fils de Fela, mort depuis dix ans, et j’ai presque mis six ans à enregistrer ce premier album. L’afro-beat est la musique du futur, dans 40 ans, ce sera le mainstream mondial. Comme le hip hop, c’est l’idéal pour s’exprimer. Le rock s’adoucit, mec.

Seun Kuti : « L’afro-beat est la musique du futur, dans 40 ans, ce sera le mainstream mondial. »

Votre frère Femi partage-t-il le même avis ?
Mon frère aime faire fusionner l’afro. Mais on ne parle ni de ça, ni de musique, ni de business. On parle… de trucs. Mais tout est très cool. Mon père est le Mozart, le Bach de notre musique. Je ne crois pas que l’afro-beat doit sonner comme le rock, le funk, le hip hop. Tous les genres devraient plutôt sonner comme l’afro-beat, mon album le prouve, original afro style. J’aime le nouvel album de Jay-Z, Nigerian Gangster, avec les rythmes de Fela.

Vous êtes fan d’Eminem. N’est-il pas l’un des symboles de l’impérialisme culturel occidental que les Kuti combattent ?
Je ne regarde pas sa nationalité, je regarde ses qualités de musicien, ses textes. Il sait raconter des histoires. Parfois, ses sujets sont vraiment stupides, mais son flow, mec, ses figures de styles, ses rimes, quel grand artiste. Alors que Pharrell Williams a été payé par la CIA pour ruiner le hip hop… Chut ! Je pensais que Pharrell ferait des beats comme James Brown de la soul, je ne comprends pas son concept, s’habiller comme un Blanc, faire sonner Snoop Dogg comme… Drop like it’s hot, Sexual Seduction… Donc ne blâmons pas Emimem pour MTV uniquement parce qu’il est Blanc.

Qu’est-ce qui est exotique, pour vous ? 
Personne ne m’a jamais dit que j’étais exotique, jamais. Les Japonais ? Je ne crois pas aux étiquettes, blanc, noir, oriental. Je crois aux choses exotiques, comme les Pyramides de Gizeh, que je n’ai jamais vues. Alors que mon groupe s’appelle Egypt 80 ! Ça fait deux ans que je promets à ma copine que nos prochaines vacances, ce sera là-bas. Et nous irons. Booya !

Fela 1er réédité

Seun Kuti portrait

« En 1963, Fela rentre au Nigeria, son diplôme de piano et de trompette au College of Music de Londres en poche. Il est embauché à la Nigerian Broadcasting Corporation, la radio nationale, sur la promesse d’un poste de chef d’orchestre. Rien ne se fait, et Fela fonde son propre groupe auquel il donne, comme à Londres, le nom de Koola Lobitos. Au Nigeria, personne n’achètent ses disques, les salles sont vides. Il tente sa chance au Ghana, jouant du highlife, un mélange de jazz et de percussions africaines – de la musique de danse, assez blanche – et alterne les tournées entre les clubs d’Accra et de Lagos. »* Et c’est ce highlife, un jazz d’ambiance pour faire danser les toubabs qui rencontra très peu de succès, que l’on écoute, intrigué, sur la double réédition Lagos Baby 1963-1969. « On sent qu’il cherche un certain son », dit Seun de ces documents précieux, aux sonorités désuètes, composés juste avant le voyage aux Etats-Unis, où Fela Ransome-Kuti connaîtra l’humiliation, la concurrence de la soul, les galères pour payer l’hôtel – et la rage qui l’amènera à créer à son retour, de toutes pièces, l’afro-beat, « sur fond de basse, des rythmes typiquement africaines, de polyphonies d’instruments ». Historique.

* in Fela le Combattant, de Mabinuori Kayode Idowa (Florent Massot).