De son exil au Brésil, Sebastien Tellier ramène l’Aventura, huitième album aux sonorités carioca. Prévu pour le 26 mai, ce nouvel opus a été enregistré avec Arthur Verocai, compositeur peu connu, à moins d’avoir scruté les crédits des albums brésiliens des années 70. Retour sur une interview de 2007 (Standard n°18), à l’époque où le barbu stratosphérique avait choisi la compagnie d’un des Daft  pour la production du très R&B chic Sexuality.
Sebastien Tellier interview studio Credit-L.Brancovitz

©L.Brancovitz

Il paraît que vous déjeunez généralement à 17h, 17h30. Je dérange ?
Sébastien Tellier : Je viens de finir. Comme je lève tous les jours à midi, je suis bien obligé. Aujourd’hui, j’ai pris des boulettes de veau sauce tomate accompagnées de tortellinis au pistou. C’était super. J’ai terminé avec un croissant à l’abricot, merveilleux [Il rit en caressant son ventre presque proéminent]… et un beignet à la framboise… Je ne mange plus de bonbons, mais j’adore tous type de desserts. Et toute la bouffe, d’ailleurs. Grosse obsession.

Vous venez également de terminer ce troisième album, Sexuality, avec Guy-Manuel de Homem-Christo, de Daft Punk. C’était comment ?
J’avais toujours voulu travailler avec « Guy-Man », pour les textures des albums de Daft mais aussi pour son travail de remix avec son label Crydamour. Il a adoré mes maquettes et s’est mis à bosser sans s’économiser. L’album, on l’a enregistré dans le studio de Romain de Mojo. On a eu accès à du matériel d’exception, les synthés les plus recherchés, les reverb’ les plus belles, des conditions de travail hyper rares en Europe. Pour la première fois, un de mes albums a une production de tueur. En plus, je me sentais bien en confiance avec Guy-Man : plus besoin de faire une centaine de prises de basse et de chant pour choisir les meilleures. Là, c’était hyper simple.

Vous disiez l’an passé vouloir écrire de la « musique pour ville nouvelle, genre Cergy », une « BO de film intello, genre Rohmer » et le nouvel Atom Heart Mother
[Riant bruyamment] On est loin du compte, effectivement ! Je voulais faire de la musique érotique qui puisse exciter l’auditeur, tout en rajoutant une sensibilité italienne. C’est pour ça que j’ai fait appel au type qui faisait celle des pornos Marc Dorcel dans les années 80. Il joue de la basse synthétique et il a rajouté un parfait groove à l’italienne. Au final, l’album, c’est du R&B sérieux. Sans blague. Sans sous-entendu. Un peu comme si Bryan Ferry faisait de la musique de pointe aujourd’hui.

Sébastien Tellier : « Le sexe est un concept sérieux : tu ne peux pas faire le zinzin, c’est pas la fête à papa, c’est là que tu montres à ta meuf que t’es un rebelle cool ou pas. »

Vous êtes vous replongé dans les classiques érotiques des années 70, type Joe d’Amato ?
L’esthétisme des vieux films érotiques italiens, j’adore, et les pornos, c’est toujours assez sympa à mater. N’empêche, je ne suis pas non plus un grand consommateur. Ce qui m’intéresse, c’est que tout s’y passe comme dans un rêve. On te fait croire que le bonheur, ce n’est pas être milliardaire ou champion du monde de moto, c’est d’être complètement épanoui au niveau de la baise. En plus, le sexe, c’est gratos (enfin, pour qui peut). En tout cas, je remercie la société de nous offrir autant de sexe, parce qu’en fait, j’aime bien ça.

Quel arbitrage faites-vous entre musique arithmétique et grand n’importe quoi ?
Cette schizophrénie, je l’ai toujours eu. Soit j’ai envie de faire ce qu’on attend de moi et je prends plaisir à être un bon chien, à faire mon devoir, soit j’ai envie de faire n’importe quoi.Je n’aimerais pas faire que de la musique contemporaine avec des bruits de casserole et des coin-coins, ni taper que dans la musique clinquante. J’essaie juste de me renouveler à chaque album. Pour Politics [2004], le concept tournait autour d’une grande réflexion dans le vide, l’absurdité de la rhétorique politique. Je sortais les grands moyens, mais ça dégueulait de partout, le paquet cadeau. Alors que le sexe, paradoxalement, est un concept beaucoup plus sérieux : tu ne peux pas faire le zinzin, c’est pas la fête à papa, c’est là que tu montres à ta meuf que t’es un rebelle cool ou pas. Pour les concerts, je ferai très attention de bien jouer l’album, en restant dans une posture de séduction. Et si à l’avenir, je sors un album traitant de psychologie, je me raserai les cheveux et la barbe, je porterai des gilets marrons et je fumerai la pipe…

Bien sûr. Sexuality est-il écrit pour quelqu’un en particulier ?
[Il réfléchit] Effectivement, c’est avec ma nouvelle copine Amandine [de la Richardière, actrice] que tout s’est mis en place. Elle m’a fait croire qu’elle était une ancienne actrice porno. J’étais comme un fou, je ne savais plus quoi dire, la machine à fantasmes tournait à plein régime. Toutes les chansons contiennent des références à notre vie commune : c’est la vraie muse de l’album.

Sur Sexual Sportswear, vous avez quand même une vision inquiétante de la sexualité.
Houlala, mais non… Sportswear, c’est tout simplement parce que mon grand fantasme, c’est le survêt’ : imagine, la fille se penche en avant, et tu fais glisser doucement son pantalon de sport. Mille fois mieux que soulever une jupe ! C’est la naissance du monde, de l’instinct sexuel. C’est pour ça que j’ai rajouté un bruit de tremblement de terre au début. Dans mon rêve, le survêt’, tu l’enlèves dans l’espace.

2001 l’Odyssée de l’espace version érotique, quoi. Pourtant, on pense plutôt à Phantom of the Paradise
[Riant] C’est un film qu’on adore tous les deux, Guy-Man et moi. La musique, le style De Palma sont géniaux. Guy-Man c’est une sorte de Swan [le producteur diabolique du film], mais un Swan gentil. Un petit saint. Toujours est-il que Sexual Sportswear, c’est juste l’apéritif de l’album, le morceau n’est pas vraiment représentatif.

Il paraît que vous avez un mode d’écriture relativement « glandeur » ?
Il faut toujours que je divertisse une partie de mon cerveau, afin que l’autre se laisse aller. Dès que j’ai du temps, je branche la Playstation. Les jeux de golf ou de pêche, c’est parfait pour composer : tu  es chez toi, tu jettes ta ligne et t’attends qu’un poisson morde, génial [riant très, très fort] ! C’est tellement soporifique que tu laisses vachement ton cerveau travailler. De toute façon, quand tu fais de la musique, c’est pour avoir du temps, penser à soi, à sa meuf, emmagasiner de l’expérience pour avoir des choses à dire.

On dit que vos week-ends commencent le mercredi car vous détestez Paris.
Pas faux. Faut dire que les parents de ma copine ont une immense villa en Normandie. Comme j’habite à côté de la gare Saint-Lazare, en une heure et demie je suis au paradis : un immense haras, au milieu des chevaux… Il y a quelques années, je fantasmais sur la Californie, comme tous les musiciens français qui font de la musique sexy. Maintenant l’Italie, plus exactement la Lombardie et la région des grands lacs pas loin de Milan, l’a remplacé. C’est là qu’il y a les plus grosses baraques, une sorte de Hollywood italien. En plus, les Italiens sont vraiment classes, bien sapés, avec les plus belles chaussures. Mais le grand kif, c’est d’aller au restau en bateau à moteur avec sa meuf…

Où en êtes-vous dans l’ambition de devenir « le mec le plus classe du monde » ?
[Soupirant] Quand j’étais ado, je pensais que je ne me déplacerais qu’en 747. J’adore les mecs comme Bryan Ferry pour sa classe, Miles Davis pour sa façon de se fringuer. Pour l’instant, il vaut mieux que je m’entoure de mecs classes qui me rendent moi-même classieux [se passant la main dans ses cheveux qui laissent découvrir de grandes golfes]. Faudrait aussi que j’arrête les pâtisseries.

Par Timothée Barrière