Dans son Aventura avec l’arrangeur brésilien Arthur Verocai, l’ex-gourou prophétique et barbu revisite son enfance sous les latitudes d’un tropicalisme gorgé de soul. Entre vitamine D et bulles de champagne, Sébastien Tellier se révèle aussi bavard qu’un Indien Macuxi délirant sous la fièvre jaune.
Sebastien Tellier portrait Frankie & Nikki hotel particulier Aventura

© Frankie & Nikki

Sébastien Tellier : « Un certain nombre de valeurs auxquelles je croyais, la frime, l’intelligence, se sont effondrées. »

… Extrait des six pages à paraître en juin dans Standard n°41 

GEORGE MICHAEL et LES SOLUTIONS
L’Aventura est complexe, mais sonne léger. Les rocks en mi-la-si, j’en ai fait dix fois le tour depuis mes 6 ans avec mon père [Alain Tellier, guitariste notamment dans Magma]. Aujourd’hui, je recherche des accords mystérieux, des harmonies inimaginables a priori, sans que ce soit lourdingue et intello. La musique brésilienne réunit toutes les qualités que j’aime : difficile à jouer, technique, elle passe de gamme en gamme, le tout sous couvert de légèreté, d’ambiances très festives, enfantines. Quand on est artiste, on cherche des solutions, sans savoir forcément à quoi, mais enfin, on s’améliore. Là, j’avais la musique brésilienne, une formidable solution de mélodies légères et complexes qui collent merveilleusement au français. L’anglais, j’ai essayé en préparant le disque, ça ne prenait pas, ça manquait d’âme. Sinatra, quand il chante avec Jobim [auteur en 1965 du hit mondial de la bossanova The Girl from Ipanema], il reste Sinatra. George Michael, il a une voix tellement fantastique, envoûtante, mi-femme mi-homme, si sexuelle, que n’importe quel arrangement va du moment que sa voix reste en avant. Moi, j’ai une voix de musicien qui chante. Je l’utilise comme un instrument.

VEROCAI et LA VICTOIRE
Arthur Verocai [auteur en 1970 d’un album éponyme] a réussi à concentrer sur L’Aventura toutes les âmes de la musique de son pays. Nous avons fonctionné en véritable binôme : j’ai composé les chansons, écrit les textes, lui est venu sublimer l’ensemble. Il m’a appris que le simple fait d’aimer la musique est déjà une manière de réussir sa vie. Vivre à travers sa passion, non pas de sa passion, au quotidien, voilà l’immense victoire.

PETER PAN et PRÉHISTOIRE
J’ai 39 ans, Peter Pan devient adulte. Qu’est-ce que j’aimais il y a encore deux, trois ans ? Manger des spaghetti à la bolognaise devant la télé, retirer mes chaussures en rentrant chez moi, jouer aux jeux vidéo, fumer des joints… Autour de moi, je voyais mes potes évoluer, « Hé les gars, au secours, vous êtes en train de vous transformer ! » Et puis il y a un an, je deviens papa. Ça a tout changé. Déjà, le cri de l’enfant, quand il naît, te ramène à la préhistoire, à la biologie, c’est l’âme de l’humanité qui se révèle. Les jours qui ont suivi la naissance, je sortais dans la rue, je continuais de faire des trucs normaux comme acheter du pain, mais rien ne semblait plus pareil. Je me disais : « putain le monde a changé », j’y croyais. Évidemment rien n’avait changé, excepté en moi. Un certain nombre de valeurs auxquelles je croyais avant, la frime, l’intelligence, se sont effondrées. Retour aux bases : l’instinct, l’amour. J’ai passé quinze ans, disons entre 22 et 38 ans, à me chercher. Je savais que j’étais un artiste, qui j’étais, Sébastien Tellier, n’empêche, j’avais pas encore trouvé ma place. Avec un enfant, tu trouves ta place. Pas une place sociale. Une place vis-à-vis de la science, de l’univers, de la vie qui continue, de l’humanité.

… Extrait des six pages à paraître en juin dans Standard n°41 

Par Alexis Tain
Photographie Frankie & Nikki

 

Sebastien-Tellier-pochette-album-Aventura-cover

Le disque
Oiseaux flutiaux et enfant tarte
En 10 titres et 53 minutes, la jeunesse de Sébastien Tellier se réécrit au Brésil, « pays de splendeur et de joie, à l’âme éternellement enfantine ». Entre Rio et Paris, il a « fonctionné en binôme » avec l’arrangeur Arthur Verocai, légende de la musique brésilienne. Section rythmique vintage et synthés millésimés funk 70’s, volutes psychédéliques, flûtes et cordes : les titres extended (Comment revoir Oursinet ? 14’02 au compteur) laissent une large part à l’instrumentation. Au risque de dérouter – les paroles pataphysiques de Ricky l’adolescent et ce phrasé dont on ne sait jamais s’ils sont au premier ou au second degré –, L’Aventura bute en rythme sur les racines d’une forêt dense d’où s’échappent des oiseaux flutiaux capables de jouer des accords – « J’ai une passion pour les accords ». Dans la clarté de ce foisonnement moite, on sautille pour les attraper, comme des enfants tartes. M. A. et A. T.

L’Aventura (Record Makers)
Sortie le 26 mai