Sébastien Ayreault : « La force sexuelle : c’est du vent qui pique les yeux »
Visite en émoi prolo avec l’auteur français de Loin du monde, écrivain-musicien exilé aux US.
Dans Loin du Monde, il se raconte à 10 ans, via un alter ego confronté en un trou paumé à ses premières décharges érotiques. Auteur de Dieu vit au-dessus du frigo (Ex Aequo, 2010) puis de deux courts textes (Sous les toits et Le Cri de l’oiseau moqueur, Storylab, 2011), Sébastien Ayreault, 36 ans, promène de livre en livre son double David Serre de Cholet à Paris, puis Atlanta – où il bosse aujourd’hui comme « une sorte de bon à tout faire » sur les décors de la quatrième saison de Vampire Diaries de Julie Plec et Kevin Williamson. Echanges numériques.
Votre roman serait « d’inspiration autobiographique ». Dans quelle mesure ?
Sébastien Ayreault : David est fait de la réalité que tu vis et celle que tu essaies de retranscrire en tapant sur le clavier… Mais oui, comme mon personnage, j’ai eu des parents ouvriers – mon père était mécanicien à l’usine –, le HLM à Cholet, l’école laïque, et Dieu partout…
Ça vous soûle, les questions sur l’autofiction ?
Je suis né à la littérature avec Calaferte, Miller, Fante et Bukowski… Je ne sais pas si ce terme existait à leur époque… L’autofiction n’est ni un genre, ni une mode, ni un choix. J’imagine mal un type se réveiller un matin en se disant : « Oh tiens, et si j’écrivais de l’autofiction, c’est à la mode ! »
Surtout des Américains, vos modèles…
En France, j’aime Céline, Vian, Zola… Mais dans l’ensemble, je trouve la littérature américaine plus populaire, moins bourgeoise. Tous ces écrivains ouvriers, fermiers, baroudeurs, taulards, paumés, chômeurs… C’est très physique !
Et « roman générationnel », vous le prenez comment ?
L’enfance est universelle. Cela étant, celle de David, c’est les années 80, la cinquième semaine de congés payés, la moustache du père, Canal+ et son porno. La télé en direct. L’arrivée en force des dessins animés japonais. Les premiers bords de mer…
On continue dans les clichés : « roman d’apprentissage », particulièrement orienté cul ?
Exact. La question du sexe, je suis tombé dedans très jeune : au-dessus du frigo, il y avait un livre que j’ai ouvert [« photos en noir et blanc […] Des femmes entre elles. Des femmes toutes nues. »] A partir de là, la vie bascule. Faut la contrôler, cette force sexuelle : c’est du vent qui pique les yeux.
Vous parlez aussi pas mal de la mort… Tombé dedans très jeune, là aussi ?
Oui : la disparition, comme la sexualité, certains y sont confrontés très tôt…
David, à 10 ans, s’illustre par sa facilité de composition/recomposition de ses relations, amicales, amoureuses…
Naître avec de grandes oreilles pourrait bien te bousiller la jeunesse, te tenir éloigné des filles très longtemps. Pourtant, tu n’y es pour rien. Les plus beaux trains ne s’arrêtent jamais en gare, faut courir après et les prendre en route. De la colère à la joie en un clin d’œil. Les enfants traversent les émotions (et les autres) à une allure folle…
D’où son rapport à Gobelin, le pouilleux du village ?
Gobelin, c’est le type qui ne sent pas bon, toujours mal peigné, fringué, les oreilles sales. Le type tout seul dans la cour. Ses parents sont la risée du village : alcooliques, sales gueules, défaits. David a beaucoup de compassion pour lui, lui prête un livre, mais l’instant d’après, il veut le frapper.
La ville de David marque quand même les frontières sociales de manière presque caricaturale, non ?
Ah non, pas du tout. Dans les années 80, dans l’ouest de la France, plus tu avais une voiture plate, plus tu partais en vacances dans le Sud. Une rue avec d’un côté des HLM et de l’autre des grandes maisons neuves. Certains mettent vingt ans à la traverser cette rue, d’autres ne le font jamais. On vit dans une société de castes : au collège, fils d’ouvrier, tu n’avais aucune chance de rentrer dans le cercle du fils du médecin. Idem dans mon boulot aujourd’hui : les directeurs artistiques ne mangent pas avec les bons à tout faire…
Votre texte donne parfois l’impression de pouvoir être scandé…
Cela me vient de la musique. Vers 14 balais, j’ai commencé à écrire des chansons – quel style ? Je dirais « nostalgique », du rock, du blues, de l’électro. J’aime les rythmes qui se brisent, les notes qui restent en l’air – Bashung et L’Imprudence [2002], Menomena et Moms [2012], Arman Méliès… C’est aussi une autre manière de marquer la virgule. Mon premier livre, je l’ai écrit en vers libres. La musique, c’est un sentiment immédiat : j’écris, j’enregistre, j’arrange, j’envoie sur YouTube et déjà, elle n’existe plus. La littérature, c’est une course de fond.
A part ça, émigrer à Atlanta, c’était une façon de passer de Loin du monde à là-où-ça-se-passe ?
En ce moment, je travaille sur les décors d’une série télé, Vampires Diaries [dont le final de la troisième saison a été diffusé en octobre sur NT1]. Un bon boulot, physique, tous les jours différents. Je suis tombé dans les yeux d’une fille en arrivant à Atlanta… Et j’y suis resté.
Le livre
Sociologie et touche-pipi
« Je suis né en 76, dans un petit bled paumé de l’ouest de la France appelé Maulévrier », écrit Sébastien Ayreault. Bien conscient malgré son jeune âge – 10 ans – de ne pas grandir au cœur de l’action, David ne s’ennuie pas trop pour autant, depuis qu’il a entrevu la possibilité d’expérimenter différents types de rapports sociaux au contact des autres en même temps que les délicates promesses situées entre les jambes des filles. Ses parents plutôt absents ne lui font pas peser grand-chose sur l’échine, alors il alterne entre jolies voisines, rebelles autoproclamés et Gobelin, ce « serre-cœur » semblable en tous points à « ces sales cabots du bord des routes qui n’ont connu de la tendresse que les coups de pied au cul ». Posé dans leur coin, David et Sébastien nous regardent sans clémence, mais avec style. F. P.Loin du monde
Au Diable Vauvert
144 pages, 15 euros