No More Riot Grrrls ?
Soupape du punk féministe des années 90, le mouvement Riot Grrrl aura combattu becs et ongles rayés toutes discriminations sexuelles. Il refleurit aux quatre coins des Etats-Unis dans une version plus « fun » et moins « hardcore ». Le dernier en date ? Heartsrevolution qui sort son premier album le 14 avril prochain.
Le courant serait mort, enterré sous les décombres de ses groupes fondateurs. Lorsqu’on évoque le Riot Grrrl, on pense à Bikini Kill (1990-1998), Bratmobile (1991-2004) ou Heavens To Betsy (1991-1994) : des meufs hargneuses, engagées, furieusement cools, pas toujours jolies… et c’est tout ? On se souvient de l’objectif initial, ambitieux, attirant : déclencher une émeute de filles. Sous esthétique punk, nourries de fanzines trashs et de culture underground US, les chansons abordaient le sexisme, l’homophobie, le viol et la prise de pouvoir par les femmes. Mais les années passent ; les médias réduisent la meute à des sapes très « goudou femme-enfant », à leur haine supposée de la gent masculine, à un message inaudible noyé dans un bourbier de guitares saturées, de rythmes surexcités. Où sont passées les filles énervées ?
Jenna Riot : « Aujourd’hui, le mouvement est davantage queer et pose les difficultés d’être femme et lesbienne. »
En 2000, le nouveau millénaire se prend dans les mirettes le minimal, sexy et sévère The Teaches of Peaches, adepte de minis shorts roses puis de belles barbes postiches. Le thème ? La liberté sexuelle, omniprésente – identifiée Grrrl. Mais quand une journaliste demande à la furie de Toronto si elle s’identifie au courant, « l’activiste du sexe » répond : « Je n’ai pas l’impression d’en faire partie mais j’ai beaucoup de respect pour le mouvement. » Bla-bla. Deux ans auparavant, Kathleen Hanna, ex-Bikini Kill, crée Le Tigre avec Johanna Fateman et JD Samson (arborant fièrement la moustache). Le virage est sensible : « La scène Riot Grrrl était très en colère et les gens pensaient que nous les haïssions. Alors nous avons décidé de jouer pour ceux que nous aimons, pour nous unir à eux et nous amuser. » Niveau révolte, ça sent le sapin.
« Renaissance »
L’Emeute aura malgré tout fait quelques émules. DJ à San Francisco, Jenna « Riot » (c’est assez clair ?) vient de publier son premier album, le très électroclash Girl You Look Expensive. Apparence glamour, formes plus que généreuses et boucles d’oreilles en forme de cœur, Jenna milite pour le deuxième sexe dès l’adolescence. Le Riot en écho à son combat – « ça m’a sauvé la vie » – elle se considère plutôt « post-Riot ». « J’étais jeune quand tout a commencé. Aujourd’hui, le mouvement est davantage queer et pose les difficultés d’être femme et lesbienne. » Pour elle, si le Riot est méconnu du grand public, c’est « parce qu’on a toujours eu du mal à reconnaître les mouvements menés de front par des femmes. » Sa consœur Cindy Wonderful, du duo lesbien Scream Club, écrit, en exagérant gentiment, que « Girl You Look Expensive signe la renaissance du Riot. Qui aurait pu penser que la politique radicale pouvait être si sexy ? »
L’une des nouveautés du post-Riot reste l’interpénétration des genres, pas seulement sexuels, mais musicaux. Scream Club, originaire d’Olympia (Washington), décrit la sienne – cheap, fluo, intrigante – de « Radical Queer Electro Sex Hip Hop Punk Rock Glam Rap ». Sur Don’t Fuck With My Babies, le tandem parle de « lever une armée queer » dont on saisit bien l’idée à travers le clip Split and Glitter, où Cindy et sa camarade Sarah Adorable, entourées d’une nuée d’Amazones bling-bling en bas résilles maquillées comme des camions gaulés, embrassent et secouent un prêtre et ses ouailles, avant que l’ensemble ne dégénère en party naturiste. « Il est important que des femmes s’emparent du hip hop, souvent sexiste et homophobe, pour transmettre un message positif. » Clin d’œil historique, Scream Club vient de signer un duo avec Peaches, au refrain explicite : You’re fine as fuck / So fuck me fine.
De l’eau dans la vodka
Si les visages et les sons se renouvellent, le Riot peine à trouver des guerrières frontalement politisées. Lauren et Tiffanie de Follow That Bird!, tandem d’Austin formé en 1995, sont considérées comme les héritières de Sleater-Kinney, band majeur du Riot Grrrl (1995-2006). Respectueuses de leurs aînées, elles ne sont pas pour autant certaines de faire partie du même délire. Les deux Texanes, à l’allure très new-yorkaise, choisissent une tonalité plus contemplative. Sur leur album éponyme, les voix languissantes se glissent dans la délicieuse et continuelle fracture mélodique des morceaux. Les néo-Grrrls semblent avoir mis de l’eau dans leur vodka. Cassia, bassiste du trio New Bloods de Portland, qualifie le Riot 2008 de « brutal, coriace et fun », concédant que son groupe essaye de « faire ressentir les choses, plus que penser ». Leur album The Secret Life est néanmoins sorti sur le label Kill Rock Stars, emblème Riot. Il dépeint des rituels tribaux, très roots, donnant sens au maquillage de la batteuse Adee, digne d’un chef apache.
Scream Club : « Il est important que des femmes s’emparent du hip hop, souvent sexiste et homophobe, pour transmettre un message positif. »
Quant au binôme californien The Peppermint – une fille (Emmy) et un garçon (Grm) « 100 % féministe » – il « ne veut pas donner de leçons ». Programmé en 2005 au Ladyfest, festival féministe international, The Peppermint constate l’entraide du milieu, très « communautaire ». New-yorkaise depuis peu, Emmy, nous accueille dans son petit studio de l’East Village. Brune et étrangement timide. Avec ses cris stridents et ses guitares dont les cordes manquent de se briser, l’album Jesüs Chryst ressuscite le son Bikini Kill et rappelle Pussy Whipped (1993) ; lumière noire au bout du tunnel.
Stand-up !
Le Riot Grrrl, à défaut d’extinction, serait en mutation. Encore conscient mais freinant sec sur le hardcore, éventuel reflet d’une meilleure acceptation des genres et des sexualités. Nous rencontrons Bitch à Brooklyn, au lendemain d’un live avec Ferron, dont elle produit l’album folk Boulder sur lequel on note la présence de JD Samson et de la très engagée Amy Ray. S’identifie-t-elle au Riot ? « Yes », sans équivoque. Compagne de l’actrice Daniela Sea (The L World), Bitch s’exclame bruyamment, fait voler ses dreadlocks, perturbe le brunch alentour. Avec son nom grossier, elle tape pourtant, étonnamment, dans le… stand-up, balançant des plaisanteries entre chaque morceau. « Je suis venue à la chanson par le théâtre », allusion à sa première formation Bitch & Animal, « créée comme une blague ». Sur disque, Bitch n’est pas là (que) pour rigoler : « Il y a un cynisme criant parmi ma génération. J’étais comme eux, éduquée comme un trou du cul cynique ! » Sur Red Roof, elle écrit « Jésus n’était qu’un marginal, comme moi », dénonce le sexisme, crache sa rage. Sur son nouveau maxi rock B+TEC, elle ajoute l’espoir à la colère. Ces filles ont encore beaucoup de choses à dire.
Par Nadia Ahmane (à New York) et Richard Gaitet dans Standard n°22
« Enfant de Russel Simmons et Martin Luther King »
Pour Gina Mamone, 32 ans, fondatrice du label transgenre Riot Grrrl Ink, l’émeute des filles est encore vivace.
Qu’a représenté le Riot Grrrl pour toi ?
Gina Mamone : Je viens d’une petite ville où j’ai grandi transgenre, toujours perçue comme différente. A l’université, j’ai découvert Ani Difranco, Kathleen Hanna… des filles qui faisaient du bruit, qui prenaient de la place… toutes ces choses qu’on m’avait reprochées. A partir de là, la philosophie Riot Grrrl a régit ma vie. Personne ne peut nous rendre heureuses à part nous-mêmes !Comment avez-vous créé Riot Grrrl Ink ?
Avec un ordinateur et un minimum d’argent. MySpace ou Facebook ont changé les choses. Au début [en avril 2003], les filles restaient éveillées toute la nuit à écrire leurs fanzines. Je voulais que ce label fasse découvrir les nouveaux visages du mouvement. Il est important de se souvenir de notre héritage féministe en regardant vers l’avenir.Quels sont les projets du label ?
Nous continuons à promouvoir l’art à l’état brut, celui qui fait bouger les choses. Nous voulons que les exclus se sentent acceptés, avec une voix pour se faire entendre. Nous faisons tourner cent quarante artistes aujourd’hui, qui l’aurait cru ? Nous préparons pour avril la sortie du prochain Nervous But Excited [un duo de filles folk du Michigan], le premier album écologique, c’est à dire sans trace de carbone. C’est inédit – et très excitant.Entretien N. A.
Jenna Riot, Girl You Look Expensive (Crunks Not Dead)
Scream Club, Big Deal (Emancypunx Records)
Follow That Bird!, Follow That Bird! (Follow That Bird!)
New Bloods, The Secret Life (Kill Rock Stars)
The Peppermint, Jesüs Chryst (Paw Tracks)
Bitch, B+TEC (Short Story Records)