Ca ne se décoince pas pour les Pussy Riot persécutées en Russie !
Bon, vous pouvez toujours leur écrire mais le jugement est tombé samedi : 2 ans de prison. Pas sûr qu’ils aient Internet dans les geôles de Poutine, mais à leur sortie, il est probable que les Pussy soient des stars mondiales punk pop. Rare pour des Russes ! On les attend…
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Nous sommes assez fiers pour le signaler : grâce à ses petites antennes au vent, Standard a été, en avril dernier, le premier média français à parler des mésaventures des Pussy Riot, un groupe de punk féminin emprisonné dans son pays, la Russie. Ce matin à 10 heures, Amnesty International a présenté aux autorités russes une pétition de 10 000 signatures que nous vous invitions à signer dans Standard n°35. Voici l’article de nous avions publier.
Vous pouvez toujours les soutenir en leur écrivant.
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Pour dénoncer les liens entre Vladimir Poutine et le clergé, le groupe punk moscovite Pussy Riot a piraté une cérémonie orthodoxe. Arrêtés, deux de ses membres risquent sept ans de prison.
Dans les ors opulents de la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou se lève un vent de tumulte, entre deux bâillements et filets de bave de touristes hagards. Le 21 février dernier, postée à quelques pas de l’autel, au pied de l’iconostase principal rendant gloire aux apôtres évangélistes, une meute en furie entonne sa prière sacrilège. Holy Shit, c’est son nom, fait bouger les murs byzantins et ses atours rococo. La dégaine est étudiée : minijupes-débardeurs sur leggings et godillots, comme l’antiquité riot grrrl Courtney Love, avec cagoules en tricot puérilo-anar laissant apparaître des langues tirées, à la Stupéflip ou Tyler the Creator. Le foutoir explose-tympans qui va avec, aussi : entre lacérations de guitares punks et grognements aléatoires presque hip hop, on rallume les trente-six chandelles du Birthday Cake de Cibo Matto et les missives des Sex Pistols les plus chargées sur une chorégraphie de poings moulinés façon air boxe. Avec des couleurs, partout, pour perturber la vision des hostiles en même temps que renforcer la joie communicative des potentiels soutiens, et des fessées mimées qui claquent, comme pour dire « viens me chercher, pour voir ».
De l’art ou du cachot
Dénonçant dans la grogne la collusion des autorités religieuses et du pouvoir politique, et dans le blasphème l’incohérence d’une Eglise miséricordieuse réduite à un alibi pour magouilleurs, les chants des femmes-mystères supplient finalement la Vierge Marie de bouter le mâle Vladimir hors du siège de patriarche. C’est la goutte d’acide qui fait déborder le calice : passé l’étonnement de l’assemblée, qui ne sait pas si ça tient de l’art ou du cachot, quelques fidèles ne voyant aucun souci à associer un Jésus à pagne et un président à Rolex tentent d’attraper les malotrus en attendant l’arrivée de la police. Les énergumènes masquées prennent le maquis comme elles peuvent, mais la flicaille finira par retrouver leur trace : les 3 et 4 mars, soit le week-end du premier tour de l’élection présidentielle, quatre d’entre elles (plus un de leurs copains) sont appréhendées.
Parmi elles, Maria Alyokhin et Nadejda Tolokonnikova sont mises en examen pour trouble « évident » de l’ordre public, « hooliganisme, incitation à la haine religieuse et conspiration organisée » : des chefs d’inculpation passibles de sept ans d’emprisonnement dans la législation russe. Niant leur appartenance au mouvement néo-féministe Pussy Riot auquel on les rattache (où règne le culte de l’anonymat et des pseudos), les deux jeunes mamans entament une grève de la faim. Derrière les barreaux et le ventre vide, espérant sensibiliser la population au bâillonnement systématique de ceux qui refusent la révérence pieuse, elles assistent bouche bée à la réélection programmée de leur ennemi. La Russie en est donc là ?
Sainte-sueur
Ce n’était pourtant pas la première fois que les « Chattes de l’émeute » dégoupillaient leur rage. Depuis sa création en septembre dernier, au lendemain de l’annonce de la nouvelle candidature à la présidence de Poutine, le collectif de vingtenaires intellos précaires (majoritairement constitué d’étudiants ayant potassé les gender studies) a pris l’habitude de semer la contestation dans les endroits les plus insolites. Appelant de ses vœux un « printemps russe » semblable aux révoltes arabes, on a pu croiser ses petits soldats à pompons sur les rails du tramway ou dans les couloirs du métro, en passant par les cabines de bus, occupés à inviter avec véhémence leurs concitoyens à « laisser l’air d’Egypte insuffler [leurs] poumons ».
Un premier fait d’arme donne à la troupe un rayonnement international : en décembre, elle parvient à s’infiltrer dans la prison où était incarcéré l’avocat-blogueur Alexeï Navalny (voir Standard n°31) pour avoir dénoncé la corruption galopante, en particulier le bourrage d’urnes orchestré par les troupes poutiniennes de Russie Unie lors des législatives ayant eu lieu quelques jours plus tôt. Sous les hourras des bagnards et les pieds dans la neige, les lutins laineux fanfaronnent une oraison funèbre à destination des établissements pénitentiaires où sont muselés les opposants.
Occupy Place Rouge
Quelques semaines plus tard, le 20 janvier, les indignées se tapent la Place Rouge. Hissé devant la cathédrale Saint-Basile, sur le Lobnoye Mesto, cette estrade circulaire utilisée autrefois pour rendre publics les édits du tsar, Pussy Riot fait sa loi. Fumigènes abrasifs, draps tagués à la bombe de peinture et drapeau du mouvement (croisement sur fond violet du poing serré révolutionnaire et du cercle rompu du sigle féminin) dans les mains, elles appellent à entrer en dissidence – leur vomi de l’autoritarisme et des abus toujours craché par des enceintes survoltées.
Depuis ces premiers contacts explosifs avec la population, la formation serait dans le collimateur du flippant « E », le centre chargé de la prévention de l’extrémisme, dont les membres cravatés se prendraient le chou à dénouer les fils de leur communauté virtuelle, qui maintient en contact plusieurs dizaines d’anonymes aux fonctions complémentaires : paroliers, musiciens, performeurs, affichistes, vidéastes, monteurs…
United colors of revolution
Gros problème pour les agents de la paix : l’engouement autour de la smala arc-en-ciel brouille les pistes en entraînant des dizaines de fausses confessions d’encagoulées sur YouTube (« Oui, je suis une Pussy Riot »). Vite rapproché du collectif street-art Voina, connu pour ses orgies éclairs dans les lieux publics et ses bites géantes taguées sous le nez du FSB (ex-KGB) sur le pont de Saint-Pétersbourg, Pussy Riot est devenu en quelques semaines la coqueluche de la jeunesse russe et des milieux alternatifs – s’attirant même, au-delà des happenings reproduits par des fans et des couv’ de magazines arty, le soutien imprévu de vieux loups barbus du hard-rock du pays.
Hilare à l’idée de cette confusion régnant dans les bureaux du pouvoir, l’escouade jette de l’huile sur le feu. A les entendre, Poutine flipperait tellement sa race qu’il aurait des notes de teinturier aussi salées que les fientes qui garnissent les frocs des froussards. Si le père fouettard, reconduit, n’a pour le moment pas vraiment de souci à se faire, ses sbires verraient déjà dans la manœuvre l’éventualité d’un complot américain faisant fleurir des groupuscules d’ennemis intérieurs pour faire sombrer l’empire ; une grosse ficelle sur laquelle il pourrait tirer à mort dans les prochains mois, si jamais venait à son peuple l’idée saugrenue de contester sa légitimité.
Heureusement, dans l’ombre, Pussy Riot s’échauffe déjà à parasiter les propagandistes et pimenter les hosties, faisant confiance à l’Histoire pour lui apprendre s’il est le dernier souffle d’un corps résigné, ou bien l’oracle d’une révolution.
INTERVIEW
Et toi t’en dis quoi ?
« Culotté et nécessaire »L’écrivain Wendy Delorme, ex-membre de la troupe énervée Kisses Cause Trouble, réagit à l’arrestation des deux Pussy Riot.
Perturber façon punk une cérémonie religieuse, tu trouves ça drôle ? Culotté ?
Wendy Delorme : Culotté et nécessaire. Pour se faire entendre, la provocation est souvent de rigueur. Cette stratégie révèle la fonction phatique du langage militant : capter l’attention. Les Panthères Roses, un groupe parisien qui lutte contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie et le classisme, ont employé cette méthode en interrompant une messe à Notre-Dame en 2005 [pour protester contre un livre de Jean-Paul II, Mémoire et Identité, qui faisait un parallèle entre la Shoah et l’avortement] de même que les militant-e-s d’Act-Up.
Avec Kisses Cause Trouble, vous ridiculisiez aussi les codes du culte…
Effectivement, dans la scène néo-burlesque, il y avait le personnage de « Miss S. Purple », joué par la performeuse Nadège Piton, qui remettait en cause le poids des principes catholiques sur le corps et les esprits, et sur l’image des femmes et des minorités sexuelles. Déguisées en religieuses, nous jouions des tableaux de vie assez punks.
Et si vous viviez à Moscou ?
Il faudrait réagir, bien sûr. Début mars, le gouverneur de Saint-Pétersbourg a voté une loi réprimant « la propagande homosexuelle » [les auteurs de tout « acte public » faisant la promotion « de l’homosexualité et de la pédophilie »] ; le texte, qui pourrait être adopté par d’autres villes du pays, est assez flou, et pourrait concerner aussi bien une affiche de film montrant deux hommes ou deux femmes en train de s’embrasser qu’une manif’ de type Gay Pride… Angoissant. Et très grave, puisqu’il fait encore l’amalgame entre homosexualité et pédophilie.
Dans le documentaire Too Much Pussy (Emilie Jouvet, 2009), qui suit une tournée néo-burlesque, la performance finale, à laquelle tu participes, parodie une communion…
Ce n’était pas une parodie. Maîtresse de cérémonie, la performeuse Sadie Lune sortait un œuf de son vagin, notre « hostie », qu’elle écalait et partageait entre les quatre filles agenouillées autour d’elle. Un acte de communion, un geste symbolique qui nous reliait et qui partait du ventre.Propos recueillis par Richard Gaitet
La Mère, la Sainte et la Putain (Lettre à Swann)
Au Diable Vauvert, 2012