Carte blanche cinéma
Tout ce qui m’a marqué la rétine
par Nicolas Winding Refn en octobre 2011 dans Standard n° 33

 

Mon premier contact avec le cinéma, c’est un meurtre. J’avais 4, 5 ans et mon père regardait Nashville de Robert Altman (1975) : je suis arrivé à la fin, quand le type tue la fille sur scène. Le second, c’est tout de suite après : avec ma mère, j’ai vu Fat City de John Huston (1972), une histoire de boxeurs déboussolés. Puis j’ai quitté le Danemark avec ma mère et mon beau-père et nous avons emménagé à New York pour dix ans – c’est pourtant à Copenhague que j’ai découvert à 9 ans Mean Streets de Martin Scorsese (1973) et avec lui le pouvoir de la musique. A 10 ans, j’ai vu à la télé Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone (1968) qui m’a familiarisé sur les liens entre mythologie et réalité. Puis Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1974) m’a fait comprendre que le cinéma pouvait être douloureux ou expérimental – que l’important, ce n’est pas ce qu’on voit mais ce qu’on ne voit pas, que les images subliminales peuvent vous donner l’impression d’être le co-auteur de l’œuvre. A 17 ans, Meurtre d’un bookmaker chinois de John Cassavetes (1976) m’a confirmé que si je devais réaliser mes propres films, je voudrais ce genre de jeu. Puis j’ai écrit et tourné mon premier long-métrage, Pusher, à 26 ans.

Looking for Andy Milligan
J’aime le cinéma obscur. Pourtant, même en période de redécouverte des films d’horreur de seconde zone, certains réalisateurs passent sous le radar tant leurs œuvres sont violentes ou étranges. Parmi eux : Andy Milligan. Dans les années 60-70, cet Américain, marié mais investi dans une relation gay SM, fréquentait tous les dégénérés de New York. Ce n’est pas un très bon cinéaste, mais ses images étaient aussi personnelles qu’un tableau de Picasso – c’était le Douglas Sirk de la série B. A sa mort en 1991 à Los Angeles, le fils de son producteur, qui détestait son travail, a détruit tous ses films. Andy Milligan était considéré comme perdu.

Heureusement, aux Etats-Unis, il existe un organisme qui collecte les films sans copyright. Les copies étaient en très mauvais état et les couleurs avaient terriblement déteint, mais ils ont retrouvé Vapors (1963), The Ghastly Ones (1968), Torture Dungeon (1969), Bloodthirsty Butchers (1970) ou Fleshpot on 42nd Street (1972), vous voyez le genre. Et puis un jour, sur e-Bay, je me suis aperçu que l’auteur d’un bouquin sur lui vendait 25 000 dollars les copies originales de ses films, dont certaines en parfait état. J’ai donc tourné une pub pour me les payer. Quand ma femme a vu arriver toutes ces bobines à la maison, elle m’a traité d’idiot, mais j’ai répondu : « Chérie, ce type, ça pourrait être moi. » J’ai tout offert aux archives du British Film Institute, et nous pensons les ressortir prochainement en version remasterisée. Ça me rend très heureux.

BIO
Le Danois Nicolas Winding Refn a réalisé Drive, Prix de la mise en scène à Cannes, en salles.
Toujours avec Ryan Gosling, il s’apprête à tourner Only God Forgives en Thaïlande, « autour d’un flic qui se prend pour Dieu et d’un gangster qui se cherche une religion : les deux s’affrontent lors d’un match de boxe thaï ».