Nicolas Milhé : « J’ai besoin qu’on se marre »
« Aménageant son pessimisme », le plasticien français fait le mur à Belleville.
Sur le parvis du métro Belleville, vous exposez un bloc de béton à la forme épurée. Il s’agit d’un des morceaux du mur érigé entre Israël et la Palestine. Généralement vos pièces ont un titre, ironique, poétique, décalé. Pourquoi celle-ci n’en a pas ?
Nicolas Milhé : Sans connaître cet objet, qu’est-ce qu’on voit ? Un mur sans fondations, dont on peut faire le tour. Un élément d’architecture ou une sculpture, un genre de Richard Serra du pauvre [minimaliste américain célèbre pour ses sculptures monumentales en acier]. Je n’avais pas envie de mettre le paquet sur l’Israël et la Palestine. On peut aussi penser au mur entre le Mexique et les Etats-Unis, ou à ceux construits dans les banlieues huppées d’Europe. La pièce est monolithique, pure, minimaliste. Même si je suis content que les gens fassent le lien, c’est important de ne pas le référencer directement à un événement géopolitique. Pour reprendre l’expression d’une historienne de l’urbanisme, Wendy Brown, je le vois comme un « décor politique ». C’est-à-dire qu’il ne sert à rien, quelqu’un de déterminé pourra toujours le franchir.
Cette pièce a été montrée sur une place historique et bourgeoise de Rennes. Pourquoi Belleville cette fois-ci ?
C’est le point d’orgue. Dans ce quartier, la mixité sociale et communautaire se passe bien, il est un concentré de toutes ces histoires, ce qui prolonge le sens de la pièce.
Vous brassez cultures savantes et vernaculaires, époques et styles, intellect et humour…
Oui, j’ai besoin qu’on se marre, qu’on comprenne sans une notice d’exposition illisible, alors quand je mets des dents en or à une hyène empaillée [Untitled, 2009], charognard banni, bête détestée ou sauvage, évidemment je joue avec des clichés.
Parlant de clichés, pourquoi avoir collé des photos de paysages mirifiques au dos de morceaux de murs percés de meurtrières [Meurtrière, 2008] ?
Sans tourner au manichéisme, c’est une autre façon d’évoquer la différence entre deux mondes. Il y a une expression anglo-saxonne, beyond the pale (« au-delà du pieu »), qui évoque l’idée qu’après le poteau planté, ce n’est plus le même monde. D’un côté il y a des images sans droits, le décor parfait, paradis pour riches derrière lequel on se cache ; de l’autre, on ne voit que par la fente d’une meurtrière.
On en revient à l’idée d’engagement.
Je suis un plasticien. Je joue avec des formes. Bien sûr, mon travail s’enrichit de la littérature, du cinéma, de la politique… J’ai besoin de points de départ qui soient durs et référencés, mais je n’estime pas pour autant mon travail politique. S’il amène les gens à plus de prise de conscience, tant mieux. L’autre jour, je relisais Walter Benjamin, qui disait très justement que l’art politique est « l’aménagement du pessimisme ». C’est un peu ça, les artistes.
Biennale de Belleville
Place du Colonel Fabien, Paris
Jusqu’au 20 octobre
solo show
Lieu-Commun, Printemps de Septembre à Toulouse
Jusqu’au 21 octobre
Fiac
Parc de sculptures aux Tuileries, Paris
Grande Galerie de l’Evolution, Paris
Jusqu’au 21 octobre
La biennale
Une révolution de quartier
Pour Patrice Joly, l’un des commissaires d’exposition à l’origine de la biennale de Belleville, son quartier est idéal pour ce rendez-vous : « Sur les traces du squat de la Générale il y a dix ans, des galeries dynamiques se sont implantées ici. Il se concentre dans ces rues en mutation une scène artistique foisonnante et riche. » Alors que l’art contemporain se contorsionne vers le luxe, il choisit un endroit « à la fois très populaire, avec des cités, mais aussi en pleine gentrification ». En jouant sur le côté « village » de ce coteau « sinueux, escarpé, sans gestes architecturaux majeurs, sans grands centres d’art », les propositions sont plus intimes. « On va dans les belvédères, les ateliers d’artiste, on montre les trésors cachés de Belleville. »Une sensibilité nostalgique ? Pas du tout, puisque c’est le thème des révolutions qui s’est imposé cette année : « Ici, c’est un petit miracle au quotidien : noirs, Juifs, Arabes, bourgeois vivent ensemble. L’idée de révolution fait évidemment écho à l’actualité sans pour autant être restrictive. On fait aussi référence au passé révolutionnaire de Paris, la Commune ou mai 68, avec des pièces de Sam Durant et celle de Nicolas Milhé, qui peut rappeler un ready made minimal ou le mur de Berlin. » La deuxième édition de cette escapade qui change se tient jusqu’au 20 octobre. P. M.