Nicolas Maury : « Jouer est un désastre magnifique »
Pour le chic et nébuleux comédien, la nuit n’est pas près de tomber.
On l’imaginait héritier d’un appart’ rive gauche, génération Louis Garrel, mais il a grandi au sein d’une famille ouvrière du Limousin où devenir comédien fut un moyen de s’affirmer. Percutant au théâtre (chez Robert Cantarella ou Florence Giorgetti) comme au cinéma (dans Belle Epine, Les Beaux Gosses ou Let My People Go, qui lui valut une nomination aux Césars 2012 catégorie meilleur espoir), Nicolas Maury, 32 ans, a cartonné à Avignon cet été dans La Nuit tombe… de Guillaume Vincent. Dans la torpeur du Paris d’août, entre deux départs en vacances, il a accepté notre café maison.
Te souviens-tu de la première personne qui ait reconnu ton talent d’acteur ?
Nicolas Maury : A 16 ans, je jouais le jeune neveu dans Ceux qui m’aiment prendront le train, de Patrice Chéreau [1998]. On a continué à s’écrire après, et quand j’ai tenté le Conservatoire de Paris, il m’a conseillé de passer un extrait des Carnets du sous-sol de Dostoïevski. J’ai eu le concours, j’étais fier de le lui dire et ça a été très important pour moi que quelqu’un d’aussi immense dans ce métier me félicite.
Quand tu joues, tu as une rythmique très singulière, ton corps tout entier semble sollicité. Un enseignement du conservatoire ?
Plutôt une révolte liée à un état de corps transitoire, de têtard, adolescent, que j’ai eu très longtemps et que je n’aimais pas. Pareil pour ma voix. Certains artistes peuvent jeter ce qu’ils font, moi, le plateau me permet de sortir de mon corps. Et puis chaque texte a son propre corps, je suis un réceptacle. C’est presque chamanique de réussir à donner à un auteur ce dont il avait la prescience en écrivant.
Comment Guillaume Vincent t’a-t-il dirigé dans La Nuit tombe… ?
Il m’a dit que ça serait bien que je sois un peu fit, sans forcément faire de muscu mais qu’il y ait un truc bizarre entre la prime enfance et un corps puissant. Il voulait aussi que je sois dans des dominantes plus straight. C’est dans ce genre d’évocation que je commence à travailler, pas davantage, je déteste qu’on m’explique !
L’attente d’un metteur en scène, c’est intimidant ?
Je ne suis jamais timide quand on m’a choisi, mais si on me dit peut-être, je pourrais mourir ! Et puis je veux tellement que quelque chose advienne sur le plateau que je peux tout laisser entrer, sauf ma peur. Souvent, c’est ma violence. A Avignon, je me suis arrêté de jouer : une femme regardait sa montre de manière insistante. J’ai demandé : « Ça va l’heure ? C’est pas trop tard, pas trop tôt ? » Elle m’a répondu : « Oui, oui, c’est bon », et j’ai repris. Peut-être est-ce liberticide, mais pour moi, qui suis face au public, ça l’est aussi.
Comment a réagi Guillaume Vincent ?
Il a compris. C’était à la fin de la pièce, un moment de grande nudité où je dois être sans idée, presque l’idiot. Si on ne feint pas, si on est vraiment nu, ça amène cela. Il faut dire aussi que j’ai eu cette dernière partie du texte le jour de la répétition générale, ça n’arrive jamais normalement. D’ailleurs, ce soir-là, j’ai eu un blanc. De toute façon, jouer est un désastre, magnifique si l’on veut, mais tous les rendez-vous prévus n’arrivent jamais. Pendant une minute, la seule chose que j’ai donnée c’était mon désespoir de ne pas savoir la phrase d’après. Au cinéma, tu coupes, mais là… ça débarrasse de tout ego.
Comment t’en es-tu sorti ?
Dans mon texte oublié, j’avais un mot qui faisait office de top pour qu’une porte se ferme. Les techniciens attendaient. Là, en tant qu’acteur, tu peux prendre le pouvoir. J’ai fini par dire : « Est-ce qu’on peut fermer la porte s’il vous plaît ? » et la phrase ensuite est restée. Je crois que c’est ce qu’attendait Guillaume, que la fin soit dans une sorte de grand présent, qu’elle vienne du réel.
C’est la quatrième fois que vous travaillez ensemble. Qu’est-ce qui vous lie ?
La promesse de l’exigence. J’ai l’impression qu’on s’emmène loin. Ce blanc, par exemple, c’était très désagréable, je lui en ai beaucoup voulu, mais maintenant je me dis : « Quelle chance ! » Cultiver la notion de temporaire, d’impondérable, c’est ce qui me fait avancer. Au cinéma, si la prise est bonne, on passe au plan suivant. Au théâtre, c’est plus âpre. On va la refaire jusqu’à l’intégrer dans son corps, qu’elle soit bonne pour l’éternité, que chaque soir on arrive à la retrouver.
Nicolas Maury : « Jouer est un désastre magnifique »
Tu parlais de ta violence comme moteur de travail. Peu importe le rôle ?
Oui, je pars toujours d’une chose très noire, j’entre dans mes forêts profondes, même pour une comédie. Sur La Nuit tombe…, je lisais la très belle autobiographie de Liv Ullmann, Devenir. Elle écrit qu’elle a besoin de détester le metteur en scène quand elle joue. Elle part du principe qu’ils ne se rendent pas compte de ce que ça creuse en nous. C’est tellement juste, il faut être très fort pour juste donner.
Tu reprends la pièce en janvier. Et le cinéma ?
Je tourne cet automne avec Kate Moran, Eric Cantona et Arielle Dombasle dans le premier long-métrage de Yann Gonzalez, Les Rencontres d’après minuit. C’est entre Cocteau, Schroeter et Fassbinder, hyper-trash, hyper-cul. L’histoire d’un garçon dont on apprend qu’il est une bohémienne. Ce corps, c’est qui ? c’est quoi ? quel genre ? Ça me fascine, car c’est sûr, on n’est pas qu’une seule personne dans la vie.
Nicolas jouera « un immortel qui a le pouvoir de ressusciter les morts » dans Les Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez. Aux côtés d’Eric Cantona, Alain-Fabien Delon et Niels Schneider, il « arbore un uniforme de soubrette et je suis aussi gitane. . Bref, un rôle radical !! »
Entretien Mélanie Alves de Sousa Photographie Antoine Chesnais Stylisme Perrine Muller Décor Théâtre des Bouffes du Nord
La pièce
Nightcall
Après ses adaptations de Fassbinder et Cassavetes, le jeune metteur en scène Guillaume Vincent devient son propre scénariste avec La Nuit tombe…, où trois sombres histoires – celle de Suzann, de Wolfgang et de deux demi-sœurs – viennent hanter une chambre d’hôtel décatie, un espace-temps intermédiaire et crépusculaire où se logent peurs, angoisses et traumas d’enfance. La narration n’est pas linéaire, les récits se télescopent, les acteurs interprètent plusieurs personnages, on est comme dans un film de David Lynch, naviguant à vue entre rêve et réalité, visions fantastiques et fantasmées. Du théâtre de genre ? Oui !
M. A. d. S.La Nuit tombe…
Texte et mise en scène : Guillaume Vincent
En tournée à la Comédie de Reims, au CDN d’Orléans… jusqu’au 30 avril