Sous le pseudo Miss Press, Mélissa Bounoua rallie presque 300 000 followers. Cette jeune journaliste inconnue connaît-elle la formule du tweet magique ? Réponse en DM.
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©Marie Planeille

Avec 265 000 twittos à ses petites chaussures (à titre de comparaison, Mediapart est à 431 000 et François Hollande à 560 000), la petite brune qui nous rejoint en terrasse rue de Charonne est la française la plus active de Twitter. Son profil est affublé du petit « vu » des identités « vérifiées », qui certifie qu’on est sur sa page officielle. « Comme les stars, c’est absurde, personne n’a jamais usurpé mon identité ! » Déesse du réseau ailé, Mélissa Bounoua est en charge de la rubrique politique au Plus du site du Nouvel Observateur. Pour ne pas se cantonner à la Toile, elle écrit en heures sup’ pour Vice, Causette ou Stylist.
D’abord fantasmé plus excitant qu’internet « parce qu’on prend le temps de mieux te lire et que les mises en pages sont belles », le papier, Miss Press en est « revenue ». Le manque de place (« Sur le Web, on ne compte plus les feuillets. ») et l’impossibilité de cliquer sont très frustrant. Biberonnée aux 140 caractères depuis ses études, elle n’a pas trouvé le bon compromis entre les journaux qu’elle lit encore, et l’information qui feed Google en mots clés. Des questionnements sur la presse de demain, qu’on est ravis d’aborder avec cette FollowFriday.

Comment as-tu récolté autant d’abonnés ?
Mélissa Bounoua : Depuis 2009 et jusqu’à la semaine dernière, j’étais suggérée sur la page d’accueil, dans la liste de comptes que Twitter propose aux nouveaux adhérents. Je m’y suis retrouvée simplement parce que je me suis inscrite très tôt : en septembre 2007, six mois après leur lancement. La sélection est faite par un algorithme qui repère le temps passé en ligne, le nombre de tweets et de replies. Parmi la centaine d’élus, il y a Xavier Ternisien, journaliste médias du Monde ou Alice Antheaume, responsable de la prospective à Sciences Po. Je m’en suis aperçue dès le premier jour : j’avais gagné 150 personnes. Ça ne s’est jamais arrêté, c’est exponentiel, mais attention : ils te retirent de la liste si tu ne tweetes pas assez.

A raison de 500 nouveaux suiveurs par jour, tu distances de loin Vincent Glad (87 000), le « jeune connecté » des médias (Slate.fr, GQ, Le Grand Journal en 2012…)
Oui parce qu’il ne faisait pas partie de la liste initiale que j’ai eu la chance d’intégrer aux premières heures de Twitter parce que je men servais beaucoup pour un cours à l’Université de Columbia, Missouri, au moment de la campagne d’Obama.

Cette liste t’a apporté beaucoup ?
Je ne peux pas le nier. Je faisais un stage dans une boîte de prod pour Arte et quand ils se sont aperçus que j’étais super suivie, j’ai été prise en CCD comme community manager avant d’avoir fini mes études à Sciences Po. Mais c’est à double tranchant : je reste cataloguée « journaliste web ».

Mélissa Bounoua : « Il y a une limite de cent tweets. Je le sais, j’ai été stoppée. »

Tu passes combien d’heures par jour sur la Twittosphère ?
C’était mon job chez Arte donc je ne faisais que ça. Maintenant j’arrive à décrocher pendant les vacances mais le reste de l’année, sur l’ordi, j’ai toujours l’onglet ouvert avec les tweets qui tombent, de 7h à 1h du matin. J’ai peur de rater un sujet qui monte. Je m’en sers pour discuter avec des collègues, sur des sujets d’actu. Parfois j’en peux plus : il y en a tellement, c’est toujours la même chose et je n’arrive plus à lire les gens que je suis vraiment.

C’est une drogue !
Oui un peu. J’ai toujours beaucoup lu. Quand j’avais 11 ans, c’était les mags pour ados comme 20 ans que j’étais trop jeune pour comprendre. En seconde, j’avais envoyé une lettre au rédac chef de Muteen qui m’a répondu et je leur ai fait une petite chronique littéraire. Comme j’étais bonne élève, on me disait « sois scientifique, médecin ». J’ai hésité deux secondes mais non, c’était bien le journalisme. Aucun événement n’a déclenché ma vocation, je me voyais faire ça, écrire pour gagner ma vie, parler à pleins de gens.

Ton follower le plus connu ?
Je ne retiens jamais. Tu ne vois pas si la personne ne te retweete pas. Comme je suis suggérée à tout nouvel inscrit, il y a de tout. Ils doivent se demander qui est cette nana ! Je sais que j’ai pas mal de confrères, de chefs de rédac parisiens, de politiques. Il y a le directeur des nouveaux médias de Radio France et un des directeurs du Monde.

Tu te manifestes dans ces cas-là ?
Twitter est plein de dents qui rayent le parquet. Je préfère envoyer des mails. Les responsables de médias sont submergés : « hey j’existe, trop bien, regardez je suis un peu maligne ». Je l’ai un peu fait en 2009, en relayant mon billet intitulé Est ce que je suis un forçat de l’info ? Les journalistes web ont la réputation de ne pas aller plus loin que la dépêche AFP et sont mal payés. Est ce que j’allais faire ça toute ma vie : être payée 1200 euros pour faire de la dépêche ? Ça a été repris par Libé et j’ai organisé un débat avec d’autres journalistes web et des chefs de rédac web comme Slate.fr. C’est comme ça que j’ai été repérée.

C’est quoi un bon tweet ?
Il faut trouver puis reformuler ce qui est original dans un article pour donner envie de le lire. C’est tout le boulot du community manager de ne pas juste retweeter. En 2008, 2009, il n’y avait que quelques politiques, du coup tu pouvais tomber sur des perles et sortir des infos. Maintenant, ça retweete en masse, on l’a vu avec le soutien de Valérie Trierweiler à l’adversaire de Ségolène Royal aux législatives [juin 2012]. La première fois que cet outil a été très bien utilisé, c’était pour la Révolution Verte en Iran [en juin 2009]. On n’était pas sur le terrain, c’était le seul moyen de trouver des sources journalistiques.

Le bon rythme ?
Cinq, six par jour, pas plus. Pour ne pas flooder les gens. Sauf si tu live-tweetes dans un événement particulier. En 2009, je pouvais en faire cinquante par jour. Il y a une limite de cent, je le sais parce que j’ai été stoppée.

Comment tu sais si un tweet est encore frais ?
On colle le lien dans le champ recherche. Je le publie d’office si je trouve à dire quelque chose d’intéressant que personne n’a dit. David Doucet était bloggeur, bossait pour Pearltrees, et a repéré des trucs énormes sur les forums du FN. Il vient d’en faire un livre [avec Dominique Albertini, éditions Tallandier, 2013]. Il savait trouver ce que personne ne voyait. Son blog était bien suivi. Après un stage chez Slate.fr, il est passé aux Inrocks. La preuve qu’on peut encore être autodidacte dans ce métier.

Tu sais quel média tu bats ?
Je peux battre des médias en nombre d’abonnés – exemple Vanity Fair (13 800) –, mais je suis beaucoup moins retweetée qu’eux. Quand je suis arrivée au Nouvel Obs, on m’a présentée comme « Melissa : 90 000 followers ». Beaucoup attendaient un CDI à la rédac web et j’en ai eu un direct. J’en ai marre qu’on me présente par mon compte Twitter, ça ne prouve pas que j’écris bien.

Le basculement « social » entre les rédactions papier et web, c’est pour quand ?
Pas tout de suite ! On a des salaires plus bas, moins de temps pour écrire. On ne t’écoute pas de la même manière quand tu bosses en ligne. Ça a beaucoup évolué ces cinq dernières années, nos demandes sont mieux prises en compte mais je ne pense pas que le système est prêt à se renverser. Je crois à une certaine presse imprimée, celle qui fait des trucs originaux, pas lu partout, qui est très exigeante, bien relue, bien maquettée, avec des formats longs. En revanche, je ne vois pas comment les quotidiens pourront survivre. Libé, je le lisais très souvent, maintenant j’arrive plus, je déjà tout lu vingt fois sur le Net ! Seuls les reportages et les portraits sont intéressants, donc je lis Libé comme un magazine.

Beaucoup de marques proposent du tweet sponsorisé ?
Ça n’arrête pas. Dernier en date, Monoprix. On peut te proposer 200 euros pour un post sponso. Il y a des boîtes qui font que ça. Ça pourrait m’être rentable, c’est ce que font les bloggeuses mode, mais je refuse en bloc. Ça serait tuer mon activité journalistique. J’applique la même règle à mon compte Twitter qu’à mon job.

L’information sur le web doit-elle être gratuite ?
Grand débat, on en a pour deux heures ! En gros, tout le monde s’est dit « ouais on va faire de l’internet » en mettant un peu de moyen, du coup c’était un peu nul. Après ils se sont dit « bon, on va mettre des moyens, ça va rapporter un jour », mais ça ne rapporte toujours pas. Il y a trois catégories : tout payant comme Mediapart, moitié payant, moitié gratuit comme Lemonde.fr et nous, à l’Obs, gratuit. Nous sommes en train de mettre en place une version partiellement payante, mais pour le moment, c’est le magazine qui paie pour le web.

Mélissa Bounoua : « On ne fera jamais une conférence de rédaction sur Twitter. »

Quels sont les meilleurs web médias ?
Le site du New York Times est génial : dix articles gratuits puis c’est payant. Il emploie une centaine de journalistes, il bénéficie d’une renommée internationale et rapporte. En France, on n’a pas cette économie, qui nous permettrait de travailler dans de bonnes conditions. Mediapart tient un bon filon mais le danger des rédac web est la course aux clics. On publie papiers sur papiers à une vitesse folle sans les règles journalistiques de base. On cherche à faire de l’audience avec des mots clés, pour amener de la pub alors que la pub en ligne est encore ridicule par rapport à une quatrième de couverture.

Pourquoi le site du Nouvel Obs n’a pas fait le choix du payant ?
Lemonde.fr, Lefigaro.fr c’était pareil. Au début c’était juste de l’info très chaude que le magazine n’avait pas. Le web s’est enrichi, ils se sont rendus compte qu’ils pouvaient faire pleins de choses et que c’était un endroit où il fallait être sans savoir vraiment pourquoi. On fait des investissements, sauf que c’est la crise, il n’y a pas d’argent, alors on fait des trucs un peu sales pour obtenir des clics, on travaille comme des maboules à des salaires moindres.

C’est quoi un truc sale ?
Quand un sujet clique bien, au lieu d’en faire un article on va en faire douze, même si on n’a pas eu plus d’infos entre temps. Il y a cinq ans on ne t’aurait jamais demandé ça. Le journaliste pourrait passer son temps à faire autre chose !

C’est vrai qu’il y a beaucoup de copié/collé sur les sites…
Non en fait, ce sont des dépêches AFP. Brutes, fournies à tous les sites d’info, publiées en flux. C’est mentionné : « par AFP » personne ne fait attention, c’est horrible parce qu’on se dit : « qu’est ce qui foutent ces journalistes ? », et pour peu que l’AFP ait fait une faute « Oh lala ils ont tous la même erreur c’est n’importe quoi ! »

Quels médias consultes-tu ?
Sur Twitter, le matin, les Américains encore connectés; dans la journée, tous les médias généralistes et les politiques. Je suis aussi des journalistes, des dessinateurs, des stars américaines… Ça demande deux heures par jour en semaine et je mets ce que je n’ai pas le temps en favori pour les lire le week-end. Sinon j’achète Libé, 20 Minutes, Le Monde week-end, Vanity Fair

Quelle est ta définition du journalisme ?
Raconter des histoires avec du factuel, ce que les gens te disent. Recouper, parler de choses dont on ne parle pas. Quand je dis « histoire », c’est que j’en ai marre de lire toujours les mêmes choses sur les sites d’info. J’aime ce qui t’emmène quelque part. Chez quelqu’un qui fait un truc fou dans le trou du cul de la France et que personne n’a fait parler. C’est ce que fait XXI. Mais je sais que ça ne fait pas assez d’audience…

Quelles sont tes règles ?
Je ne suis pas encore assez organisée pour avoir de vraies méthodes de travail. J’enregistre tout ce qu’on me dit, je laisse parler les gens. C’est Causette qui m’a appris le plus sur le journalisme, contre-vérifier dans tous les sens, tu ne peux pas dire « certains mecs disent ça… », il faut une extrême précision, sinon ça donne des propos « tendance » brodés à partir d’un ressenti infondé. Pour Grazia, j’en ai écrit un sur « Twitter et le couple », amusant, mais il n’y avait pas de quoi l’étayer. Parmi tous les pigistes, pour vendre ton idée, tu la tires dans tous les sens. Je le ferai plus. Aujourd’hui je suis capable de dire « il n’y a pas de sujet ».

Les journalistes, derrière leur écran perso ne connaîtront plus l’ambiance d’une rédaction ?
Si, pour le web, on est obligés d’échanger sur place, ça va tellement vite ! Pour les magazines, je trouve ça assez aberrant de venir au travail tous les jours, mais un journal sans brainstorming est un mauvais journal. On ne fera jamais une conférence de rédaction sur Twitter. Même si cela y ressemble selon le concept de la « supra rédaction » pensé par Alice Antheaume : quand un sujet monte, que plusieurs journalistes commencent à tweeter et que chacun cherche une info originale, ils se regardent travailler les uns les autres, ça permet de construire mine de rien un travail en commun.

Un compte perso pourrait remplacer un support à voix multiples ?
Aux USA c’est déjà le cas. Il y a d’énormes bloggeurs comme Gawker, Jezebel ou Go fug yourself, qui ont plus de pouvoir de prescription qu’un média français. Ici, on en est encore loin, mais Edwy Plenel sur Twitter, ça joue énormément pour Mediapart. Les gens préfèrent les comptes de personnes car globalement, les médias republient leurs papiers sans interactivité. Du coup, on consomme à la fois le site du média et le compte du rédac chef qui a un style différent.

Combien de temps penses-tu tenir à ce rythme ?
Je ne sais pas si Twitter existera encore dans cinq ans. Google + que je n’utilise pas du tout va prendre de l’importance car il génère du trafic. C’est un bon mix de Facebook et Twitter et en plus, un +1 sur un article le fait monter dans les résultats de recherches. Google est patient, il sait que qu’on y sera tous bientôt accros.

 

Melissa Bounoua portrait Marie Planeille

Time line
« Ce nom est assez ridicule mais je ne peux plus changer. » Née en 1986 d’un père chargé d’études à la mairie de Champigny-sur-Marne (94) et d’une mère responsable du patrimoine dans une société HLM, Miss Press suit une scolarité en collège en ZEP puis en lycée mal classé. « À Sciences Po on me demandait si j’étais un dossier prioritaire, mais non j’ai passé le concours. » En 2009, elle poste l’article Est ce que je suis un forçat de l’info ? sur son blog et le tweete. Mini buzz sur la twittosphère naissante. Libé la cite dans une enquête sur les rédactions web. Ce ne sera pas la dernière fois. Mélissa Bounoua devient « la nana qui sait parler du web » aux côtés de Guy Birenbaum (Lehuffingtonpost.fr) et Vincent Glad, avec lequel elle fonde une sorte de think tank sur les rédactions web, « les OS de l’info », avec Sylvain Lapoix (Marianne), Alexandre Hervaud (ex-Libé), Benjamin Ferran (Lefigaro.fr), Samuel Laurent (Lemonde.fr)…
Depuis la fondation dans les couloirs de Sciences Po du magazine Mégalopolis en 2008, elle rêve de publier de longs reportages de société. Le support estudiantin ne survit pas à l’économie des kiosques, Mélissa continue de développer son activité en ligne : « Une fois que tu as fini ton papier, ce n’est pas terminé. Tu dois aller voir les réactions sur Twitter. C’est à la fois agréable et prenant. Là, ça fait deux jours que j’argumente avec des bloggeuses pour défendre L’Économie des blogueuses mode paru sur Lenouvelobs.com en septembre. » Sans commentaire ? Impossible pour les journalistes 2.0…

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