Mathieu Demy : « On peut aimer Bizet et Britney. »
Mathieu Demy forme une fratrie de Conquérants superstitieux avec Denis Podalydès dans le second film de Xabi Molia, un timide ovni à ajouter à l’inclassable filmo de ce garçon formidable.
De loin on dirait un plâtre, mais c’est avec un sac en tissus que Mathieu Demy a recouvert son pied gauche. Debout sur le trottoir de la rue de Picardie, il penche sur son téléphone. Ce sac ?! « C’est parce que j’ai une fuite d’huile sur ma moto, ça protège mes Creeps. » Le garçon formidable de Jeanne dans le film – au titre éponyme à remettre dans l’ordre – d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (1997) est Noé, le frère de Denis Podalydès dans Les Conquérants de Xabi Molia. Le second long-métrage de ce jeune auteur, qu’on avait découvert en 2011 avec le roman Avant de disparaître (Le Seuil), livre une quête familiale abstraite aussi inclassable que la filmographie de son comédien principal Mathieu Demy qui a touché à la comédie noire (Mes amis, Michel Hazanavicius 1999), au fantastique (Écoute le temps, Alanté Kavaïté, 2005) et à la comédie musicale (Jeanne et le garçon formidable, donc)… Les Conquérants est un french road movie fantasmagorique que, les deux excellents acteurs-randonneurs portent sur leur dos jusqu’au sommet des monts basques. L’histoire se tient, on rit et on suit volontiers ces deux frères à la recherche d’une mystérieuse grotte, mais certains trucs, l’envol d’un cheval ailé par exemple, ont un effet bœuf. De Xabi Molia, on retrouve l’humour littéraire de Huit fois debout (avec Julie Gayet et Denis Podalydès, 2010), mais on préfère encore un peu les livres…
Après Americano (2011), Mathieu Demy écrit un second long-métrage qui sera prêt « dans un an ou deux ». En attendant, il dénoue son petit sac au pied et prend place en terrasse.
Lors de notre séance photo, vous avez proposé de shooter une série mode pour Standard. Ce serait génial ! Mais pourquoi ?
Mathieu Demy : Parce que je l’ai déjà fait et que j’ai trouvé ça super, et pas seulement pour le principe de photographier des jolies nanas [rires]. C’était pour Elle et pour L’Officiel, qui m’avait contacté après Americano pour le regard que j’y portais sur les femmes. En fait, j’ai un rapport au cinéma qui passe davantage par la photo que par le théâtre. Et après tout le cinéma c’est la rencontre des deux, non ?
Vous photographiez beaucoup ?
Oui pas mal. Pour la gymnastique du regard. Je fais des photos de rue, quelques portraits. On peut en voir certains sur mon Instagram et mon Flickr, mes sites pro quoi [rires]. J’adore tripoter des objectifs. Au cinéma, même si tu tournes comme un malade, tu fais un film tous les deux ans. Je veux entretenir mon regard pendant tout ce temps. Alors je fais de plus en plus de photos pour exercer mon œil, ma compréhension des focales.
Quel(s) photographe(s) admirez-vous ?
Douen Micheal qui a un travail très personnel, très organique. Il dit qu’il photographie ce qu’il sent, pas ce qu’il voit.
Mathieu Demy : « Je suis plus sensible à la photo qu’au théâtre. »
C’est rare les acteurs ou réalisateurs français qui aiment la mode…
Ah bon vous trouvez ? Pourtant les costumes ont énormément d’importance. Ça permet de raconter beaucoup avec peu, ça identifie rapidement un personnage socialement, professionnellement. Je crois aux détails et travaille dessus. Dans la vie aussi : les vêtements donnent la première impression. [Il porte un pantalon noir et une chemise noire, tout en bas à gauche, à peine visible, le petit lapin de Playboy]
C’est vrai que dans Les Conquérants, Noé est un personnage assez défini par ses vêtements.
Ça va faire plaisir à la costumière… Avec Xabi Molia, on avait besoin d’arriver à une forme de licence poétique, une stylisation. On voulait que ça reste à la fois graphique et vraisemblable. Donc un jogging quand Noé fait ses entraînements de foot et des choses plus praticables quand il part en randonnée avec son frère, tout en restant dans des matières assez belles. Ce n’est pas parce que c’est un film réaliste, qu’il faut que ce soit « moche ». Les gens ne sont jamais moches, ils sont vrais.
Réaliste ? Les Conquérants sont en quête de rédemption pour une histoire de graal et de pouvoirs magiques !
C’est ce qui me plaît chez Xabi, il est sur plusieurs univers à la fois. C’est une comédie d’aventures qui tire vers le fantastique. Tout en étant aussi à la croisée d’un cinéma psychologique. Le film pourrait se situer entre le cinéma de De Broca [L’Homme de Rio, Le Magnifique, Tendre poulet] et Francis Veber [Les Compères, La Chèvre, Le Dîner de cons], par ce ton de comédie enlevée et quelque chose de plus sentimental… On est dans le registre du buddy movie antagoniste, entre deux personnages dépassés par leur situation, qui développent pour s’en sortir un drôle de rapport à la chance. Le cousinage avec La Chèvre [1981] me plaît beaucoup.
Votre filmographie a aussi quelque chose d’inclassable, avec pas mal d’incursions dans des registres précis comme la série B d’horreur (le court métrage Hillbilly chainsaw massacre, Laurent Tuel, 1995) ou le film noir (Les Marchands de sable, Pierre Salvadori, 2000)…
Le cinéma mainstream a quelque chose de calibré qui m’intéresse moins, sans que je n’aie rien contre en tant que spectateur ou même acteur. Même Americano est un film qui glisse. À la fois road movie et quête initiatique, qui cite pas mal de genres et de gens de cinéma. Mais je n’ai pas fait Les Conquérants pour cette histoire de registre, ça tient à la rencontre avec Xabi.
Comment s’est passé le tournage ?
Il nous a emmené sur ses terres au pays basque, dans ses montagnes. C’était formidable de voir ce qu’il voulait capter de cet endroit, un rapport à l’espace, à la solitude. Ça allait dans le sens de la quête du film, qui est plus large que celle du graal, métaphorique. La manière dont il nous a embarqué reste la meilleure pour faire du tourisme, chose dont j’ai généralement horreur, à moins qu’il y ait une entrée poétique et professionnelle. Qu’il nous fasse partager ce qu’il trouve beau dans cet endroit en nous faisant participer, c’était super. Surtout avec sa douceur naturelle, qui a amené une certaine légèreté qui a collé avec celle qu’on voulait amener avec Denis [Podalydès], pour la part de comédie du film.
C’est aussi une histoire de famille, chose qu’on ne peut écarter de vous, par vos parents, Agnès Varda et Jacques Demy, mais que vous entretenez aussi, par exemple dans Americano, ouvertement intime.
Mon film a été une expérience incroyablement personnelle, une prise de risques. Ça a été très difficile d’en venir à bout, et je suis fier d’y avoir survécu. Surtout aux à-côtés, à savoir la commercialisation. Il faut s’en protéger, pas pour se cacher, mais parce que le commerce est impitoyable, on en prend plein la gueule, ça peut être douloureux. Il est sorti à une date difficile : il y avait un embouteillage historique dans les salles, le succès d’Intouchables avait décalé toutes les dates de sorties et Salma [Hayek] n’a pas pu faire de promo parce qu’elle était liée par contrat avec Paramount pour Le Chat Potté [Chris Miller, 2011]… Pas de bol. Je l’ai accompagné tant que j’ai pu tout en faisant gaffe : il faut garder sa sensibilité pour le cinéma pas pour la promo, pour l’art pas pour le commerce.
Le road movie raconte généralement une fuite pour mieux se trouver…
Oui mais pas forcément volontaire. Ces films ont quelque chose à voir avec l’identitaire… Martin dans Americano fuit ses responsabilités face à une succession, mais va chercher des informations sur sa mère, interroger leur rapport. On est autant dans la fuite que dans la construction. Dans Les Conquérants, ils courent après le graal, alors qu’on s’en fout, ce n’est pas un film sur le sacré mais sur la malchance et la fratrie. J’adore le plan où on est tout petit sur la montagne. La « route » prête aussi à s’égarer dans des grands espaces.
Mathieu Demy : « Les gens ne sont jamais moches, ils sont vrais. »
Xabi Molia est connu comme auteur. Aviez-vous lu ses romans ?
Je connaissais son premier film, Huit fois debout que j’aimais beaucoup. Il est pudique et je ne savais pas qu’il avait écrit des livres ! Je ne lis pas beaucoup. Je suis en train de finir Le Ravissement de Britney Spear [de Jean Rolin, P.O.L, 2011], choisi parce que ça se passe à L.A., ville à laquelle je suis attaché : j’y ai vécu enfant puis vers 25 ans, pendant six mois, et pour le tournage d’Américano pendant deux semaines.
Le dernier film marquant que vous avez vu ?
Spring Breakers [Harmony Korine, 2013] pour la séquence où James Franco chante du Britney Spears à ses trois muses. C’est tellement inattendu ce bad boy qui montre son « sensive side » avec cette chanson mielleuse.
Tu approfondis le sujet Britney on dirait !
Elle fait de bonnes chansons, j’aime bien. On peut aimer Bizet et Britney. La Chèvre et Philippe Grand Rieux [Sombre, La Vie nouvelle, Un lac].
Question bateau : entre acteur et réalisateur, vous tanguez comment ?
C’est complémentaire. Je préfère jouer parce que ça ne dépend pas de moi, c’est comme un cadeau qu’on me fait et j’adore les cadeaux. C’est merveilleux quelqu’un qui a envie de te voir.
Dans un documentaire, votre père dit « Les gens heureux ne font pas de cinéma. » Vous le pensez aussi ?
C’est plus compliqué que ça. Il y a mille raisons de faire du cinéma. Qui plus est, elles évoluent. Mais pour moi ça reste une affaire de partage, de transmission, certes à un petit niveau sur l’échelle des choses qui nous aident à vivre, ce n’est pas la philosophie ou la politique. C’est une moindre préoccupation mais elle m’importe beaucoup. J’aime que ça puisse, même éventuellement, remettre en cause votre rapport à la vie, à la loose. Est-ce qu’on a plus envie de ce partage quand on est malheureux ? Je ne crois pas. J’ai dépassé ça.
Entretien Alex Masson
Photographie Franz Galo
Stylisme Adèle Cany
Maquillage et coiffure Aline Macoin