Reconnu comme l’un des plus grands collectionneurs de livres dans le monde, Martin Parr compile tous ses ouvrages de photo favoris dans les indispensable Livre de photographie : une histoire, dont le troisième volume est prévu pour le 22 mars (éd. Phaidon). Un lancement en avant première mondiale qui aura lieu au Bal en présence de la star de l’agence Magnum, et du critique Gerry Badger, co-auteur des albums.

Notre interview de 2010 (à l’occasion de la sortie de Luxe) où le photographe prophétise le succès des réseaux sociaux/photo, a pas mal vieilli…

Autoportrait

Autoportrait

Librairie Artazart, au bord du canal Saint-Martin, un soir de novembre. Martin Parr arrive avec une attitude que son sourire voulait nonchalante et en tenue de gentleman farmer, on lui sert une théière. Un homme commun, trahi par le regard qu’il promène sur la file d’attente venue pour la signature de son dernier livre Luxe, avec le détachement amusé et l’empathie distanciée que l’on connaît de ses photos. Sommes-nous suffisamment criards et ordinaires pour captiver son œil ? Combien de clics a imaginé ce photographe qui déteste la mise en scène avant de prendre place à sa table apprêtée – drapeau anglais, joueur de cornemuse en kilt et bois de cerfs dorés ? Serait-ce honorifique ou insultant d’être capté par son viseur de manière aussi aiguisée qu’authentique ? Avec un peu d’humilité, ce serait un orgueilleux privilège.
Combien de temps aurons-nous pour l’interview, Monsieur Parr ? « Le temps qu’il faut tant que ce n’est pas trop long. » Evidemment, c’était trop court.

Aimez-vous mettre des mots sur votre travail ?
Martin Parr : Pas vraiment. Je n’aime pas faire des phrases d’introduction sur mes photos que je trouve assez parlantes.

Vous avez pourtant un blog avec pas mal de texte…
C’est différent, j’y écris sur ce que je veux [huit posts depuis 2007 dont le récit d’une descente d’avion en urgence et des considérations humanitaires], je peux entrer dans les détails et surtout, ça n’a rien à voir avec mes expositions. Vous n’y trouverez rien sur Luxe par exemple.

Vous pourriez tenter de nous y expliquer comment vous parvenez à cette émotion étrangement située entre la compassion et la moquerie que procurent les photographies de Luxe !
Ah ! Moquerie et compassion ? Les deux me conviennent. Comme d’ailleurs n’importe quels sentiments, du moment qu’ils soient mixés et provoquent l’ambiguité. Mes photos peuvent être lues de toutes les manières si, au final, on ressente une ambiguité. Tout est là.

C’est le mot-clé de votre d’humour ?
Oui, ou l’ironie. Mais en fait pour moi, l’ironie est différente du sens de l’humour.

Seriez-vous l’inventeur de l’empathie ironique ?
[Rires] Je crois que je n’ai rien inventé du tout !

Alors comment expliquez-vous l’engouement pour vos photographies ?
J’ai trouvé ma voie. La seule chose que j’ai pu inventer, c’est moi-même, au fil du temps. L’une des caractéristiques des Anglais, c’est qu’ils ne peuvent jamais parler d’eux sans avoir peur de passer pour quelqu’un de prétentieux.

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Martin Parr photographié avec l’appli Polarize, qui faisait sensation en 2010

Martin Parr : « Les riches se ressemblent dans tous les pays ! »

L’inverse de la population de Luxe ! Ces gens qui, en voulant se distinguer, se ressemblent tous…
Oui. Les riches se ressemblent, et dans tous les pays ! Les mêmes marques de vêtement, une boisson et un chapeau : l’uniforme standard. Le monde entier est stéréotypé de toutes façons.

C’est affreux pour un photographe, non ?
Au contraire, ça m’inspire d’autres projets réjouissants. La standardisation, ou l’uniformisation, est un changement comme un autre. A la fois triste et joyeux, de nouveau : l’ambiguité.

Quelle classe sociale éprouvez-vous le plus de plaisir à photographier ?
J’ai une grande compassion pour toutes. Et j’ai travaillé autour de cinquante autres thèmes parmi lesquels il m’est également impossible de choisir. Mes photos sont comme mes enfants.

D’où vient votre intérêt pour les loisirs ?
Le temps consacré au divertissement ou au tourisme est une grande part de ce qu’on fait, donc de ce qu’on est. Mais encore une fois, en quarante ans de carrière, je n’ai pas fait que ça et j’envisage très bien de travailler un jour sur le monde ouvrier.

Allez, avouez : les mondains de Luxe, vous les détestez !
Non non. Je les adore et les détestent tous. Vous aurez compris comment je fonctionne avec les sentiments contradictoires.

Vous n’avez jamais eu de problèmes avec un de vos « modèles » ?
Très peu et ce n’est jamais allé jusqu’au tribunal. Pour une personne à Dubaï et une autre en Allemagne, on a dû supprimer les photos de l’exposition. D’ailleurs, il n’y a qu’en France qu’on est obligé de faire signer des papiers. C’est un cauchemar de shooter chez vous !

Etes-vous plus sensible aux couleurs ou à la composition ?
La couleur est plus importante pour moi. Le cadrage est juste un moyen de mettre en valeur ce qu’on pense être important dans l’image.

Au vu des collections présentées lors de votre exposition au Jeu de Paume cet été, question pratique : où stockez-vous tous ces objets ?
J’ai une très grande maison et je ne mets rien dans des cartons. Je suis en train de faire construire un hangar pour mieux les entreposer quand la tournée mondiale sera terminée.

Ce besoin d’amasser rejoint-il celui du photographe : arrêter le temps ?
Les deux sont effectivement similaires mais, en appuyant sur le déclencheur, je n’essaie pas d’arrêter le temps puisque la photo le fait d’elle-même. L’horloge s’arrête bien sur la photo, mais ce n’est pas la raison pour laquelle je la prends. Je le fais pour interpréter la vie moderne en images. Quand aux collections, c’est devenu une maladie.

Parce que vous trouvez ces objets intéressants ?
Intéressants, magnifiques, affreux, tout ce que vous voulez. Je ne peux plus m’en empêcher, comme un addict à l’héroïne ou à l’alcool.

Quelle importance accordez-vous à la technique ?
Je travaille au numérique et j’adore tester les nouvelles technologies. L’argentique restera la passion artistique de quelques-uns, mais dans vingt ans, c’est fini.

Vous arrive-t-il de prendre des photos avec votre téléphone ?
Oui, mais pas beaucoup. Je ne les utilise pas en général. On a beaucoup progressé mais il y a encore à faire dans ce domaine.

Martin Parr : ” J’imagine très bien qu’un quick snapper puisse devenir célèbre “

Vous êtes sensible au côté low tech de certains clichés ?
Welcome à tout ça ! J’imagine très bien qu’un quick snapper puisse devenir célèbre grâce à son blog. D’ailleurs, la photo la plus célèbre sur la guerre d’Irak a été prise avec un téléphone.

La guerre, vous vous interdisez de la photographier, n’est-ce pas ?
Je ne pense pas en termes négatifs donc je ne m’interdis rien. Je fais seulement ce dont j’ai envie. Et je n’ai pas envie de photographier trois choses : la guerre, la famine et les malades.

Comprenez-vous que la photographie, pourtant sollicitée par le public, ne soit pas acceptée comme une discipline d’« art contemporain » ?
C’est sa caractéristique : le public fan, les institutions moins. Il n’y a pas d’explication à part que c’est un art très démocratique. Mais vous n’avez pas l’air de vous rendre compte combien vous êtes chanceux en France ! En Angleterre, elle est pratiquement ignorée par l’establishment. C’est un pays plein de mots et de musique et depuis peu d’art contemporain, mais la photo, non. Elle n’est pas prise au sérieux et n’a pas de statut. Aucun chroniqueur d’art n’y parle de mes expos, par exemple.

Comment faire pour se renouveler en gardant un style ?
Le renouvellement se fait automatiquement par l’excitation que je ressens en photographiant ce que je n’ai jamais photographié. Quant au style, je n’y pense pas parce ce que si je prends une photo, ce sera une photo de Martin Parr.

J’en veux une ! Combien coûte la moins chère ?
Il faut demander à la galerie Kamel Mennour, mon point de vente en France. Je ne vends rien directement car je protège mon dealer.

Referez-vous un jour du noir et blanc ?
Never again.

Standard n° 26 – avril 2010

 

Les livres : Une Parr de poésie

[twocol_one]Ce qui est passionnant devant ces gros plans de churros roses, de bouteilles de ketchup sales, de casquettes NY sur têtes burinées (le peuple de la série Mexico), ces plans larges sur coupes de Cherry, couronnes dentaires, Rolex et Vertu (les jet-setters de Luxe), c’est le zoom ajusté sur cette ère sacrificielle dont il est lui-même le consommateur en instance de béatification. Où s’arrête le bon goût, où commence le mauvais ? La graisse, les fruits sous plastique, les pantoufles, la viande grillée, les cuir-chevelus… De cette outrance colorée du quotidien international, Martin Parr a fait, l’humour en plus, ce que Rimbaud avait fait du mot « wagon » : il en a le premier crée l’usage. M. A.[/twocol_one][twocol_one_last]

Martin Parr : Luxe (Textuel)
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Livre de photographie : une histoire Tome 1

Livre de photographie : une histoire Tome 2