Markus Öhrn : L’affaire Josef Fritzl sur scène pendant trois heures
Plus que deux jours pour aller voir Conte d’amour de Markus Öhrn.
L’affaire Josef Fritzl transposée sur scène pendant trois heures : l’horreur ?
« Malgré les nombreux rejets qu’elle a suscité, la pièce a été un très gros succès, à Avignon et ailleurs ; je me demande même s’il n’aurait pas été mieux de créer un plus grand malaise… », avoue Markus Öhrn, 39 ans, vidéaste suédois plutôt tendre aux allures de Renaud 1986, ayant « dans le fond, juste envie d’être aimé, comme tout le monde ». Cet engouement quasi-général –en Allemagne, en Finlande, aux Etats-Unis… – pour son éprouvante première pièce s’explique par la forte catharsis qu’elle génère, une fois passées trois heures d’oppression aux limites de nos tabous. Enfermés dans un box et séparés du public par une bâche transparente à travers laquelle on les aperçoit à peine, quatre performeurs enchaînent des rituels pervers et grotesques sur les thèmes de l’amour familial, du sexe et de la honte, que deux caméras retransmettent en direct sur des écrans vidéo juchés au-dessus de cette petite grotte.Un Conte d’amour prend pour matière première l’affaire Josef Fritzl, révélée en 2008 : pendant vingt-quatre ans, un Autrichien mit sa fille en cave et lui fit sept enfants. Sur scène : attouchements, jeux de rôles sadiques, hystéries, prières expiatoires, mais aussi, paradoxalement, beaucoup d’amour.
Le langage est minimaliste, la forme imparfaite et le jeu bouffon, primitif. « La pièce est assez répétitive, car je cherche à gratter suffisamment longtemps pour révéler quelque chose de profond et obscur. » Posés en voyeurs devant cette cage à lapin sordide, partagés entre nausée et fascination, « plaisir et culpabilité », on témoigne de l’horreur du désir, de la monstruosité de cette passion. « Des victimes d’inceste m’ont contacté pour me dire que c’était réaliste, que leur bourreau n’était pas un monstre, mais un ami. Il s’agit d’explorer notre conception naïve de l’amour. Tout désir est connecté à quelque chose que l’on ne veut pas toucher, considéré comme dangereux. »Comme pour laisser une ouverture romantique face à tant de cruauté, et peut-être un peu de répit au spectateur, la pièce est émaillée de classiques pop brillamment repris par les acteurs, comme Love Will Tear Us Apart de Joy Division qui sonne comme un grand pardon à mi-parcours, ou le Wicked Games de Chris Isaak qui accompagne le final libérateur. Si le ton évoque celui des gnomes maléfiques du Trash Humpers d’Harmony Korine (2009) ou les débiles forcés des Idiots de Lars Von Trier (1998), l’omniprésente bande-originale ramène, elle, aux transgressions de Coil, duo culte anglais des eighties très portés sur les pulsions déviantes. « Certains disent d’Un Conte d’Amour que c’est une comédie musicale, ça me va parfaitement. Je cherche à susciter la même sensation puissante et persistante que l’on peut avoir après un très bon concert. » A ceux qui oseront la séquestration volontaire, on assure que le but est atteint.
Un Conte d’amour
Mise en scène : Markus Öhrn
Jusqu’au 7 février
Théâtre de Gennevilliers