A new york, la Française Marie Losier, 37 ans, soigne un cinéma expérimental ludique et travesti. après une bataille de poissons sur gondole avec april March, elle prépare un portrait intime de genesis P-orridge.

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© Marie Losier

Comment est venue cette envie de portraits filmés d’artistes underground ?
Marie Losier : De moments d’amitié. J’ai toujours ma caméra Bolex à l’épaule. Je voulais des portraits plutôt que des documentaires chronologiques. Je crée des costumes, je reconstruis des scènes. Les personnalités choisies viennent avec leurs idées, me racontent des histoires. Mes premiers portaient sur les réalisateurs jumeaux George et Mike Kuchar, et le pionnier du théâtre d’avant-garde Richard Foreman. Le premier musicien fut Tony Conrad [The Dream Syndicate, entre autres], lié à la musique minimaliste, à Fluxus et au cinéma expérimental. Un film peut prendre cinq ans, car à côté, je dirige à plein temps la programmation cinématographique de l’Alliance française de NewYork.
Prochain sur la liste : Genesis Breyer P-Orridge, leader transsexuel de Throbbing Gristle ?
Je n’étais pas fan mais je l’ai vu jouer avec Thee Majesty après un concert absolument horrible d’Alan Vega. Elle m’a vraiment touchée. Le lendemain, dans un vernissage où il y avait beaucoup de monde (dont Björk), je lui ai marché sur les pieds et elle m’a fait un grand sourire avec ses dents en or ! J’ai fini par aller chez elle. J’ai rencontré [sa compagne] Lady Jaye et ils m’ont proposé de les suivre en tournée avec leur groupe Psychic TV, de faire partie de leur vie. Cinq ans que je suis sur ce long métrage ! Un montage de vingt minutes à été projeté à Beaubourg et à la Cinémathèque de Paris cette année. Je reprendrai en novembre, j’en ai encore pour un an et demi.
Vous arrivez à vous financer ?
Je cherche des bourses, car je n’ai aucun moyen. Il n’y a pas d’aide pour le cinéma expérimental. Je n’appartiens pas au monde des galeries puisque mes films ont des dialogues. Je ne vais sûrement pas dans les bons cocktails ! En même temps, il y a beaucoup d’entraide, pas de compétition. C’est une communauté que j’adore.

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@ Marie Losier

Et ce film tourné en août sur un bateau, Slap the Gondola, avec April March ?
Et aussi Guy Maddin [réalisateur de The Saddest Music in the World, 2003 ; voir Standard n° 22], et trente amis à moi en costumes, dont Tony Conrad et Genesis. C’est une commande de la Cinémathèque de Berlin sur les gens qui ont connu ou sont inspirés par Jack Smith [1932-1989, réalisateur de Flaming Creatures en 1963 et influence obscure de Warhol ou Fellini ; voir Standard n° 9]. C’est une sorte de scopitone sur un bateau abandonné à Brooklyn. On y voit une série de chorégraphies sur des chansons d’April March, avec des hommes déguisés en femmes, comme dans tous mes films. S’ensuit une bataille de poissons. J’avais besoin de ce break pour rester positive : Genesis est une très grande amie intime, mais aussi quelqu’un de très difficile qui me bouffe beaucoup, surtout depuis la mort de Lady Jaye [en 2007].
Contrairement à la plupart des films expérimentaux, les tiens sont joyeux et accessibles.
Je suis mon instinct d’autodidacte. Ça m’a pris des années avant d’être acceptée. Pour Genesis, on s’attend à un documentaire classique alors qu’il s’agit d’un film personnel, d’une facette inconnue en super 8 ou en 16 mm, sans images d’archive. On nous entend discuter. Ce qui me plaît, c’est le mélange de tous les moyens d’expression. Genesis écrit, peint, fait des collages. C’est une lady anglaise, on boit du thé, avec un humour très poussé que peu de gens connaissent. On veut la photographier, l’enfermer dans le côté rock’n’roll, mais c’est quelqu’un de très simple et plein de doutes, prête à entrer dans une panoplie de sirène avec joie. Réaliser ces films, c’est comme une lettre d’amour. Avec Tony Conrad ou Genesis, une amitié très profonde s’est installée et durera toute la vie.
Pourquoi travestir les hommes ?
Ça n’a jamais été une question de genre ou de considérations sociales. Cela vient juste de mon amour des costumes. Je conçois tous les chapeaux, les robes, les tutus. Renverser les rôles me semble être une bonne idée, cela génère de l’humour et de la joie. Un garçon avec du rouge à lèvres, c’est extrêmement intéressant quand ça bouge ou ça danse devant une caméra.

Entretien Jean-Emmanuel Deluxe dans Standard n°25