Maria Pourchet : « Sourire de la médiocrité »
Rome en un jour, promet Maria Pourchet. Derrière ses yeux bleus se cache une sociologue au regard affûté, qui écrit pour réenchanter le monde… ou le désenchanter, quand il l’a bien cherché.
Chaque écrivain a sa légende : celle de ses débuts dans l’écriture. La vôtre ?
Maria Pourchet : Celle d’une fille qui a décidé à sept ans qu’elle écrirait mais qui, à trente ans, n’avait toujours pas pondu une ligne! Je suis né à Epinal, classe moyenne, valeurs républicaines, lectures classiques. Ecrire me semblait relever du surclassement social. Puis j’ai rencontré Romain Gary, qui a occupé mes années de pensionnat. Il m’a appris que la littérature rendait le monde tolérable ; il accordait l’éternité à ses personnages, le pardon à l’Histoire, avec tant d’aisance… Je me suis dit que si c’était ça, écrire, alors j’avais droit de le faire.
Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
J’ai enchaîné tous les boulots d’intello précaire pour repousser le moment de m’y mettre. J’ai pigé dans la presse locale, torché des rapports d’étude, je suis « montée à Paris » pour finir une thèse de socio sur la médiatisation des écrivains, co-réalisé un documentaire sur le sujet… Mais interviewer des écrivains connus, ce n’était pas ça que je voulais ! Il y a trois ans, n’en pouvant plus, je me suis enfin décidée à rendre justice à la gamine qui avait voulu écrire. J’avais un titre (Avancer), un personnage au bord d’un précipice… et je me suis lancée.
La sociologie, utile à l’écrivain ou ennemie de la littérature ?
Les deux. Rédiger des rapports, ça vous dessèche un écrivain. En même temps, la curiosité et l’observation, toute l’écriture part de ça. En fait, deux mouvements me sont naturels : l’analyse sociologique, qui désenchante le monde, et l’écriture qui le réenchante. Le défi, ensuite, c’est de créer des personnages et de les faire vivre en les confrontant à des situations burlesques pour aller au-delà des sociotypes.
Votre premier roman commençait sur un balcon, celui-ci sur un toit. Vous aimez prendre de la hauteur !
Pour Rome en un jour, le point de départ est réel. J’étais invitée à une soirée sur le toit d’un hôtel, ne connaissais personne, les hôtes n’arrivaient pas… et personne ne nous servait à boire. Je me suis posée en spectatrice : il y avait là tellement de possibilités comiques et dramatiques ! Le scénario de base m’est venu en quelques minutes. Ensuite, je me suis imposé des règles narratives : une seule journée, deux lieux (le toit de l’hôtel, l’appartement de Paul et Marguerite), cent jours d’écriture. Je n’aurais jamais imaginé pratiquer un jour l’écriture sous contrainte, mais ça a marché. J’y ai même découvert un plaisir que je ne connaissais pas : quand un personnage picaresque refuse de se soumettre à la contrainte – Gary contre Pérec, en quelque sorte. J’ai explosé gaiement mes consignes initiales dans quelques passages.
L’humour naît des situations, mais aussi de cette voix narrative tout en ironie, qui s’autorise des commentaires en passant…
Ces commentaires ne sont pas de moi, c’est une sorte de « narrateur embusqué », qui interprète chaque scène et oriente la lecture. Je ne l’ai pas vraiment choisi : il s’est invité tout seul pendant que j’écrivais Avancer. Il m’arrive de l’interrompre quand il est trop bavard, ou trop péteux… mais il est souvent économe et bizarrement, toujours précis. Et il s’autorise parfois des opinions auxquelles je ne souscris pas ! Laisser venir ce double de narration, ça fait partie des moments jouissifs de l’écriture.
Maria Pourchet: « Pratiquer l’écriture sous contrainte, ça a marché »
On rit beaucoup, mais vos romans ne sont pas seulement drôles…
L’humour a longtemps été mon arme de défense, pour prendre le monde de biais et pas en pleine face. Sourire de la médiocrité, comme du drame, c’est une façon d’arriver à les fréquenter. C’est la forme la plus aboutie de la tolérance : prenez Flaubert, Aymé, Queneau, Ajar… Pour ma part, je considère le sourire comme une courtoisie due au lecteur, surtout quand on lui parle des aspects les moins reluisants de ce qui nous entoure. Mais parfois cette politesse prend toute la place : les lecteurs (ou les critiques) ne voient plus que l’humour. Il y a un vrai malentendu avec le rire dans la littérature.
On ne rit pas beaucoup, avec la littérature contemporaine…
On retrouve un (sou)rire de connivence avec les auteurs de chez Minuit (Oster, Chevillard, Echenoz et Toussaint dans leurs premiers livres…). On rit aussi avec Houellebecq, mais sa noirceur finit par tout écraser. Ce qui nous manque aussi, c’est le grand roman social. Pour ça, il faut aimer l’humain, les « loques magnifiques », mais ça ne suffit pas. Il faut aussi la vision historique et sociale, celle qu’avaient Flaubert ou Aymé. Au fond, il manque peut-être un Houellebecq qui ne serait pas si vite rattrapé par ses démons misanthropes. Mathias Enard pourrait être celui-là, mais comme beaucoup de contemporains doués, il préfère aller voir ailleurs [d’autres pays, d’autres époques] alors que le roman social, lui, est forcément un peu hexagonaliste… Reste Jérôme Ferrari, peut-être ?
Écrire sur le couple, c’est compliqué quand on vit à deux ?
Pas pendant qu’on écrit, mais après, parce que même quand vous écrivez de la pure fiction, certains ne peuvent pas résister à la tentation de chercher des clés dans le texte, d’en faire l’exégèse, pour pouvoir dire : « Ah oui, je savais, que ça n’allait pas si bien que ça ! » Mon mec, lui, comprend bien que je ne parle pas de nous… Enfin, j’espère.
Le couple idéal selon Maria P. ?
Hum ! Un couple où chacun tolère la solitude de l’autre et respecte ses secrets ? Je ne crois pas du tout à la fusion, elle conduit à demander des comptes en permanence. Autre gros facteur d’échec : aimer l’autre pour son potentiel et non pour ce qu’il est. Quand une femme dit d’un homme (ou l’inverse) « n’aime pas ce qu’il est devenu », en réalité, c’est qu’il ne correspond pas au potentiel qu’elle estimait au départ. C’est comme une promesse trahie, sauf qu’il n’y avait pas de promesse. Ah ! Et puis, de l’argent, évidemment, plein, et un appartement de 500 m². Quoique, on peut réussir sans, la preuve, pour moi. Au fait, les consos, c’est pour vous j’espère ?
Par Bertrand Guillot
Photographie Antoine Chesnais
Stylisme Jean-Marc Rabemila
LE LIVRE
Autopsie d’un couple
Marguerite avait organisé un anniversaire surprise pour Paul mais Paul ne veut pas sortir, il y a du rugby à la télé. A quelques kilomètres de là, sur le toit d’un hôtel, les invités désespèrent qu’on leur serve à boire en attendant le couple qui n’arrive pas. Il y a là un bavard impénitent, un entrepreneur belliqueux, une collègue qui bavasse, un serveur qui s’en fout, une semi-vedette de cinéma et même une belle inconnue. Le roman alterne entre les deux lieux, où tout se déchire chapitre après chapitre sous le regard malicieusement désabusé d’un narrateur qui a déjà tout compris et joue avec le lecteur.
On peut penser à Pour un oui ou pour un non, de Nathalie Sarraute, pour le crescendo implacable, au duo Jaoui/Bacri pour le regard social à la fois acéré et bienveillant, à Jaenada pour la joie dans l’écriture et l’art de la digression énergique… On se réjouit surtout de voir que Maria Pourchet tient toutes les promesses de son premier roman, Avancer (2012), et on se dit qu’elle ira loin, avec une plume qui fait rire parce qu’elle fait mouche.
B. G.EXTRAIT
« Marguerite seule à la cuisine, mains posées à plat sur le plan de travail, veine temporale légèrement enflée, mauvais signe. On la sent tendue dans sa robe neuve, atteinte d’une légitime inquiétude, trop tôt cependant pour parler de panique. Marguerite pianote sur le plan de travail, ses ongles longs jouant sur l’inox une sorte de marche militaire qui atteindrait les nerfs de n’importe qui, à commencer par les siens. Interruption de la partition, constat désolé des dégâts causés sur la manucure professionnelle, mais on sait déjà que Marguerite l’achèvera à coups d’incisives dans l’heure qui suit, relativisons. »Rome en un jour
Gallimard
180 pages, 16,90 €.
11,99 euros ici.