Maïwenn : « Les acteurs sont des gonzesses. »
Deux ans après Pardonnez-moi, l’actrice-réalisatrice Maïwenn, 32 ans, épaissit son jeu d’équilibriste entre le réel et la fiction avec Le Bal des actrices, faux-documentaire exceptionnel chantant les coulisses du métier. Autour d’un petit crème, elle en est une.
Le film s’ouvre sur vous feuilletant Les Inrocks et les Cahiers, avant de les jeter nonchalamment. Un message à la presse ?
Maïwenn : C’était une manière d’annoncer la couleur concernant les acteurs qui ont ou non la fameuse « carte » [les faveurs de la presse intello]. Quoi qu’ils fassent, ils obtiennent un bon papier dans Libé ou seront détestés par Ciné Live. Ensuite, on me prend souvent pour une cinéphile alors que pas du tout. Jouer avec cette étiquette m’amusait.
L’amusement est au cœur du Bal des actrices, floutant la ligne entre fiction et réalité.
Absolument. Je suis arrivée à cette idée de me mettre en scène dans un documentaire sur les actrices au bout de huit mois d’écriture. C’était le meilleur moyen de parler de ce qu’elles acceptent ou refusent de montrer – de ce qu’elles font croire. Je voulais filmer différentes facettes : l’actrice prétentieuse [Mélanie Doutey, Karin Viard], celles qui pètent un câble [Marina Foïs, Karole Rocher, Muriel Robin], la has been [Romane Bohringer], l’intello qui veut jouer dans des films d’action [Jeanne Balibar]. Depuis toute petite, j’ai une fascination pour les œuvres qui parlent de l’envers du décor – jusqu’aux boîtes de Vache Qui Rit, dont le motif se répète à l’infini.
Vous êtes le pivot de l’histoire. Qu’est-ce que ça dit de vous ?
Ça fait longtemps que je ne me soucie plus de mon image. Avant ça me touchait, aujourd’hui je suis totalement blindée : c’est une bataille perdue d’avance.Mon personnage s’appelle Maïwenn Le Besco, mais ce n’est pas moi ; le plus marrant est que certains pensent que j’ai tourné chez moi, chez elles, que j’ai un fils avec Joey Starr [premier rôle masculin], alors que tout est faux. Je n’ai même pas grand-chose à voir avec le personnage, même s’il y a un peu de vrai ; ne serait-ce que dans l’idée qu’on ne peut pas faire ce job de manière mesurée. Pareil pour Pardonnez-moi [2006, deux fois nommé aux Césars], tout le monde pensait que c’était autobiographique, alors que j’avais semé le film de gros détails énonçant clairement que non.
Maïwenn : « Depuis toute petite, j’ai une fascination pour les œuvres qui parlent de l’envers du décor – jusqu’aux boîtes de Vache Qui Rit, dont le motif se répète à l’infini. »
Isabelle Adjani [que Maïwenn croisa à 5 et 7 ans sur les plateaux de L’Année prochaine si tout va bien et L’Eté meurtrier] s’est désistée. Pourquoi ?
On ne pouvait pas tricher avec son image. Encore moins avec celle d’Isabelle Adjani. Je lui avais écrit un rôle qui tenait compte de cela, celui d’une femme de 50 ans qui a du mal à vieillir, jouant sans arrêt des rôles sans âge, cachée par des lunettes ou des chapeaux. Visiblement, elle ne l’a pas supporté. Sans doute parce qu’elle ne voulait pas crédibiliser ce qui transparaît d’elle. Je l’ai rencontrée longuement, plusieurs fois, en amont. Elle est fascinante mais elle est surtout son propre pire ennemi, tellement dans l’auto-analyse que cette femme vraiment brillante, intelligente, a fini par être bloquée par ses qualités.
En revanche, vous faites jouer Bertrand Blier, réalisateur des Acteurs (2000), du même principe que le vôtre.
Même si j’adore son film, il n’a pas vraiment d’échos avec le mien. Je rêvais juste de le filmer. Quand je lui fais dire qu’il est normal voire nécessaire que les réalisateurs soient amoureux de leurs actrices, « au moins pendant les heures de travail », je parle d’elles à travers le metteur en scène. Quand je suis joue, si je ne sens pas cet amour, je suis malheureuse. Les actrices font ce métier pour être aimées, bordel !
Pas les acteurs ?
Si, aussi. De toute façon pour moi, les acteurs sont des gonzesses. Je ne connais pas d’actrices qui ne cherchent pas un supplément d’amour – sauf peut-être Karin Viard qui fait visiblement ça pour s’amuser.
Et réalisatrice, c’est pour quoi ?
Pas par égoïsme. Mon plus grand plaisir serait d’aller à la sortie des salles du Bal des Actrices et me cacher pour voir les réactions des gens.
Par narcissisme alors ?
Il y a un peu de ça. Même si faire un film est une forme d’échange, je n’écoute pas, je n’accepte pas tout, j’ai le dernier mot. Mais faire un film sur et avec ces actrices est enrichissant parce qu’il ne porte pas que ma signature. Si j’étais chanteuse et que je signais paroles et musique dans mon coin, ça ne m’intéresserait pas longtemps. Malgré tout, j’aime me nourrir des autres.
Récemment, les actrices françaises font des choix inattendus : Béart dans Vinyan, Marceau et Bellucci dans le prochain Marina De Van. Le Bal est-il audacieux pour vos comédiennes ?
Si elles ont pris un risque en le faisant ? Absolument pas. Que le film sorte des sentiers battus, oui, mais à part ça elles tournent toutes des œuvres très différentes les unes des autres : Karin Viard chez Danièle Thompson [dans Le Code a changé, en février] mais aussi dans le drame Haut les cœurs [1999], Marina Foïs double un hippopotame dans [les] Madagascar et joue une paumée dans Darling [2007]. Ce ne sont pas les actrices qui ont changé, mais le ciné français.
Comment ça ?
On voit de plus en plus de cinéastes très singuliers (Ozon, Honoré, De Van, Noé) alors que dans les années 80, ça ronronnait. Au-delà, je trouve normal que les actrices aient envie de films commerciaux : ça leur donne du crédit dans le milieu. Et puis c’est aussi normal de partir à l’aventure ! C’est du côté des producteurs – qui ne veulent que des comédies avec deux acteurs bankables alors que ce n’est pas le cinéma qu’on aime – qu’il faut déverrouiller la tendance au formatage.
Ça vanne à ce sujet dans le film : Cécile de France est l’actrice obligatoire du moment…
Parce que c’est la réalité. Je n’ai rien contre elle, mais elle porte cette étiquette d’actrice commerciale…
Avec votre casting, le film entre dans cette catégorie.
Même si je trouve que non, je peux accepter qu’il soit étiqueté « commercial »… Après tout il y a de l’argent, des actrices connues… Pourquoi j’aurais moins droit à cette appellation que Fabien Onteniente [Disco] ou Francis Veber [L’Emmerdeur] ?
Parce que leurs films sont devenus racoleurs et bas du caisson ?
Ouais, bon, ça après, c’est une question de goût ; n’empêche, ils ont un sens du dialogue et font un vrai travail. Alors quoi : le label « film d’auteur » serait réservé aux œuvres sans budget, sans humour ni légèreté ?
Standard n° 22 – janvier 2009
Le film
Carnet de bal
L’affiche est explicite : neuf comédiennes mises à nu mais qui continuent à cacher quelque chose – à rester dans la pose. A travers des histoires inventées mais sentant toutes le vécu, Le Bal des actrices enquête sur leur mystère et aussi, peut-être plus, sur la féminité, tentant de faire tomber le masque de stars (Charlotte Rampling, Julie Depardieu, d’accord, mais mêmes Estelle Lefébure et Muriel Robin sont crédibles, émouvantes) captées dans leur quotidien plus tout à fait comme les autres. Loin de l’autofiction à la Christine Angot, excepté les noms et le physique, tout est faux. Sauf, donc, ces femmes-là dans un milieu de façade rongée de frustrations. Ahurissant film de funambule, entre autoportrait et farce truculente : un tour de force. A. M.