Loïc Raguénès : « pas nécessaire de gueuler »
Loïc Raguénès, 42 ans, peint des images à l’aide d’une trame colorée faite d’une multitude de points. Avec des crayons de couleur ou de la gouache, il les transforme en des vues pastel, aux coloris acidulés, presque abstraites et mélancoliques. L’effet visuel prime et le sujet s’en trouve d’autant plus souligné.
Les couleurs sont-elles toutes utilisables ? Ont-elles une valeur égale ?
Loïc Raguénès : 1) Oui. 2) Oui. Evidemment, ce n’est pas tout à fait vrai parce que c’est quelque chose de caractériel, l’usage de la couleur.
Tentez-vous de neutraliser la charge idéaliste, mystique, parfois contenue dans l’art abstrait ?
Non, ne vous inquiétez pas.
Vos images sont-elles sensuelles ?
Disons que ce n’est pas nécessaire de gueuler.
Elles ont, par leur facture, parfois par leur sujet, un degré d’iconicité faible ?
Je repense à cet entretien de Serge Daney avec Régis Debray quelque part au Japon. C’est très touchant, c’était les derniers moments de sa vie. Il dit qu’à la vérité, sa passion c’étaient les cartes postales*. Les bonnes règles de sémantique se font discrètes face à cette confidence.
Pourriez-vous expliquer le choix des œuvres que vous réutilisez ? Hokusai, Seurat, Courbet, Fra Angelico… Pour des raisons marketing : appliquer la trame pho- tomécanique qui m’occupe à des œuvres célèbres est tout à fait à propos pour approcher la fédération des copistes.
Vous n’utilisez pas que des toiles de maîtres. Trouvez-vous que certaines sont des images moyennes, presque sans qualité ?
Oui, elles sont peu loquaces, certaines sont même peut- être un peu en bout de course, car ce que je cherche, c’est cet endroit où l’image hésite entre faire l’image ou s’éparpiller en petits ronds de couleur.
Que reste-t-il du film d’Eric Rohmer dans votre tableau Une autre aventure de Reinette et Mirabelle (2011) ?
C’est un tableau que j’ai peint pour répondre à une invitation du Consortium et d’Olivier Mosset à l’occasion d’une sorte de grand Sabbat qu’il organise autour la N6 à Saulieu (Bourgogne). Les motards s’y rendent chaque été. J’ai fait cette œuvre pour une petite annexe vitrée du musée Pompon (sculpteur animalier du XIXe et du coin). J’ai essayé de peindre quelque chose pour être dans l’humeur des festivités, j’en avais envie. Mais je déteste les motos et la route, un cauchemar. L’évo- cation de Reinette et Mirabelle, de l’heure bleue, n’est qu’un souvenir.
L’artiste new-yorkais Kelley Walker définit ainsi le sublime : « Quelque chose qui se situe entre disparition et conservation. Comme la dissolution des identités nationales alors que nous essayons de main- tenir des traditions nationales. Je pense le sublime en termes de confusion et d’incertitude » Qu’en pensez- vous ?
Cette dissolution des identités nationales est une rêverie new-yorkaise, non ? Cette ville a une grande idée de la (des) civilisation(s). C’est un joyeux chantier où il fait bon respirer à pleins poumons. Ici, en France, cette manière xénophobe de penser à ça commence à couper le souffle, et l’air de la conservation est vicié.
entretien Timothée Chaillou
* Critique majeur et rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, Serge Daney (1943-1992) ne prenait pas de photographies. Pour lui, elles représentaient des « actes de prédation ». Il préférait acheter des cartes postales, c’est-à-dire une vision des habitants sur leur propre territoire.