Levek : un évêque pop sauvé par le Net
Nostalgique et camarade, l’utopie épiscopale d’un évêque pop sauvé par le Net.
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C’est le genre de miracle dont seule la pop est capable. Un conducteur de bus scolaire de Gainesville, Floride, obsédé par l’âge d’or de Disney (de Dumbo au Livre de la Jungle, agitant derrière les dessins les meilleurs musiciens de la Nouvelle-Orléans), rêve sur son temps libre de chorales sinueuses et d’orchestres insolites, accroupi dans son garage. C’est David Levesque (alias Levek), ex-étudiant lunaire qui détournait ses cours d’économie en épisodes de La Quatrième Dimension pour parvenir à les mémoriser (plutôt visionnaire), éjecté de l’institution pour cause d’évasion permanente du ciboulot, et vivotant désormais entre dayjobs dignes et feux de camps délurés.
Evidemment, personne ne parie un kopek sur lui, ni sur sa tribu béate avec laquelle il reprend sur le pavé les Fleet Foxes ou Jeff Buckley. Un jour, pourtant, David rêve si fort avec son cercle d’égarés qu’il libère Look On The Bright Side, un authentique tube marginal fait d’étoffes solaires et de susurrements délicats, comme l’ère Internet aime tant à en sauver. Jeté sur Bandcamp en 2010, passé de main en main par la grâce d’une glande active, le joyau agrège un public large et militant, criant aux labels son étonnement de voir l’auteur lutter pour trouver une écurie où faire paître sa magie.
Phalanstère euphorique
Force des amours liguées : l’impatience populaire s’amarre aux oreilles futées de Lefse Records (patrie onirique de Youth Lagoon, Keepaway ou Ganglians), qui finit par lui ouvrir ses ailes, et presse aujourd’hui, pour les 24 ans du garçon, Look A Little Closer. Un premier album terriblement accrocheur, homogène bien que très varié, qui reprend les festivités là où le single préféré des modems les avait laissées : sous un arc-en-ciel des Everglades. Au milieu de terriers tribalo-jazzy à la Julian Lynch (correspondant évident), s’y mélangent dans la joie la bossa nova de João Gilberto comme la science amusée des grands-oncles de Air (Pierre Henry, Alain Goraguer ou François de Roubaix), les pastorales hantées de Bibio première manière comme le funk aqueux de Chin Chin. Addition impure : un concentré de nostalgie en même temps qu’une ode à la camaraderie, empruntant sans gêne à toutes les cultures (on y entend saxo, vocodeur, banjo, mélodica…) pour mieux tracer le chemin d’une colonie enchantée, d’un phalanstère euphorique, où tous les bienheureux pourraient trouver leur compte.
Des effets assez raccord avec la consonance un tantinet cléricale du pseudo de notre homme en français (« l’évêque ») ? Pas forcément un hasard : après des chansons qui traitent parfois de Cantorbéry ou de saint François d’Assise, Dead Baroque, son prochain projet, pourrait être carrément catho. On attendra pour mesurer la blague, mais on sait déjà que, pour une fois, l’hostie aura du goût, et même la belle gueule d’un pain surprise.
Look A Little Closer
Lefse Records