L’artiste flamand Guillaume Bijl, 65 ans, crée des répliques à l’échelle de supermarchés, de vitrines de magasin, d’agences de voyages ou de mariage. Il nous a expliqué par email sa fascination pour le trompe-l’œil.
Pourquoi définir vos œuvres avec ce qu’elles sont et ne sont pas ?
Guillaume Bijl : Pour éviter les interprétations erronées. Je classe mes travaux. Installations de Transformation, c’est une réalité dans la non-réalité (un espace d’art). Installations en Situation, une non-réalité dans la réalité (un espace public). Compositions, des natures mortes archéologiques du temps présent. Œuvres Piteuses, des sortes d’œuvres absurdes et abstraites. Et ces dernières années, j’ai beaucoup œuvré à propos du « tourisme culturel ».
Demandent-elles une participation du public ?
Le spectateur devient une sorte d’acteur de théâtre, sans vraiment le savoir. Je crée des situations en trompe-l’œil et travaille dans le domaine de la fiction et de la réalité.
Dans votre jeunesse, vous avez peint des natures mortes. Vos œuvres en sont-elles des élaborations en trois dimensions ?
J’ai commencé par être un peintre autodidacte, mais je ne pouvais pas atteindre mon but avec ce médium. Je voulais faire participer mon public davantage, et j’ai commencé à faire des installations ironiques.
Jusqu’à traiter de l’aliénation ?
Oui, j’en joue beaucoup.
En 1979, vous avez écrit « un soi-disant manifeste écrit par l’Etat » : Le Projet de liquidation de l’art. Qu’y trouvait-on ?
L’idée, c’était que les autorités trouvaient l’art, en général, superflu et voulaient fermer tous les lieux d’exposition pour les transformer en institutions et en entreprises, comme des hôpitaux psychiatriques, des studios de photographe, des agences de voyages, des écoles de conduite, etc. Ce texte fut à l’origine de mes Installations de Transformation, qui insinuent que la galerie ou l’espace d’art a fait faillite pour devenir un supermarché ou une boutique de matelas au rabais.
Vos installations, une archéologie du présent ?
Je me reconnais dans cette phrase : « Je montre une archéologie de cette “civilisation”, maintenant » (si on le voit dans une perspective futuriste). Si Caravan Show était regardée dans mille ans, elle serait à la fois vue comme une abstraction et une aliénation totale face à un certain mode de vie. Exposer ces éléments dans un lieu d’art – non fonctionnel –, c’est les montrer au public avec une distance. Je me moque un peu de notre civilisation et de notre société de consommation parce qu’elles sont loin d’être optimales.
L’artiste allemande Joséphine Meckseper produit des vitrines dans lesquelles sont agencés des objets standard ou vernaculaires (une brosse pour toilette, les baleines d’un parapluie, des canettes de coca) et des images de mode, présentés comme « des cibles de violence potentielle. Leurs surfaces nettes incitent au vandalisme et à la violence. Elles représentent le moment juste avant qu’un manifestant ramasse une pierre et casse une vitre. » Comment négociez-vous cette tension avec le spectateur ?
Mon effet d’étalage réaliste parfait a pu mettre en colère, en particulier dans des lieux publics. Il y a eu des actes de vandalisme. La provocation et l’irritation font partie de mes principales expressions (bien que parfois de façon très minimale et subtile). Je veux que mon travail montre les paradoxes de cette société capitaliste folle, qu’il puisse déranger les gens de temps en temps.
Joséphine Meckseper dit aussi vouloir « rendre apparents les paradoxes inhérents à l’hystérie de la consommation ». Y a-t-il du grotesque dans votre travail ? Du tragi-comique ?
En règle générale, oui, c’est tragi-comique. Avec certains de mes travaux, j’essaie clairement d’atteindre ce but. Je suis très intéressé par notre grotesque. Parfois pour rire, mais aussi pour pleurer.
Par Timothée Chaillou, traduction Natalie Estève