Notre critique Gilles Baume voyait en cet artiste roumain le gagnant du prix Marcel Duchamp (voir encadré plus bas). Il avait raison : l’annonce est tombée la semaine dernière à la FIAC.
Retrouvez cet article dans la rubrique Palettes de notre numéro en kiosque.

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Tracking Happiness, 2009 ©Mircea Cantor Courtesy Mircea Cantor et Yvon Lambert, Paris

Au croisement du mysticisme, de l’éthique et de l’esthétique, les vidéos, installations et peintures de Mircea Cantor ont marqué les années 2000. Le centre d’art francilien le Crédac fait le point sur un travail économe dans ses moyens mais riche de sens. Une étape sur le chemin de la reconnaissance internationale qu’emprunte aujourd’hui cet artiste roumain.

Un groupe d’individus manifeste dans les rues d’une ville. Que revendiquent-ils ? Impossible de le savoir : leurs pancartes ont disparu au profit de panneaux-miroirs. Les slogans laissent place à des reflets déformés du monde. The Landscape is changing (le paysage change). Le dispositif créé pour cette vidéo constate et chronique l’évolution du paysage urbain environnant, se diffractant dans d’infinis éclats de lumière. Cette œuvre de 2003 est l’une de celles qui l’ont révélé. Elle constitue une tentative de fixer une idée du collectif, de l’ordre de l’insaisissable. Elle est emblématique de sa démarche, préoccupée par le « vivre ensemble », les utopies du changement, et qui oscille, paradoxalement, entre une approche très directe et une signification se dérobant.

L’interprétation du sens exact est en effet laissée au spectateur. Car de quoi exactement l’œuvre peut-elle être la métaphore ou le symbole ? De l’effondrement des idéologies ? De l’absorption de l’individu par la ville contemporaine ? De la fin d’une conscience de classes ? Ces formulations sont ici inopérantes, tant le travail de Mircea Cantor agit avant de disserter, comme autant de présences opiniâtres, en tension, et fortement politiques pour leur faculté à résister à l’instantanéité, au simplisme, au lieu commun.

Mircea_Cantor_Rainbow

Rainbow, 2010 ©Mircea Cantor Courtesy Mircea Cantor, Yvon Lambert, Paris et Dvir Gallery, Tel Aviv

Arc-en-ciel en fil barbelé
Tracking Happiness, vidéo lancinante, présente sept femmes, toutes vêtues de blanc, se livrant à un étrange rituel chorégraphique : elles évoluent en rond dans un espace blanc, chacune efface d’un coup de balai les traces laissées par celle qui la précède. Elle évoque une peinture académique, en quête d’une pureté inatteignable. Toute harmonie est impossible, à l’image des cadrages fragmentés, à la recherche de détails, en contradiction avec l’atmosphère de beauté imprégnée. La quête infinie d’une synchronisation dessine surtout un fascinant théâtre de l’absurde, une sorte de vanité. L’artiste semble ironiser sur la facilité de la traque du bonheur qui consisterait à emprunter la route d’un autre…

Le mysticisme frôle l’œuvre de Mircea Cantor, nourrie de questionnements existentiels, écologiques ou humanistes. Des symboles reviennent d’une pièce à l’autre, comme la forme de la molécule de l’ADN. Certains signes se trouvent constamment manipulés et ré-agencés. A proximité des sept femmes, on retrouve ainsi sept couleurs d’une vaste peinture murale figurant un arc-en-ciel. Mais ce fragile phénomène naturel coloré devient une barrière agressive : Rainbow, peint par les empreintes digitales, dessine des fils barbelés. L’empreinte du pouce, signature, est la marque d’une trace personnelle renvoyant à l’obsession sécuritaire contemporaine. Les fils de fer répulsifs contredisent la forme symbole de lien qu’ils représentent : un pont. Encore une fois, l’utopie d’un passage vers la beauté se fige en quête impossible.

Par Gilles Baume

More Cheeks Than Slaps
Mircea Cantor
Centre d’art contemporain d’Ivry
Le Crédac à La Manufacture des Œillets
Jusqu’au 18 décembre


 

Cyprien_Gaillard_Desniansky Raion

Desniansky Raion, 2007/ 30' / Béta num / coul. / son. ©Cyprien Gaillard, courtesy Cosmic Galerie, Paris

Good boy or bad boy?
Outre l’exposition du Crédac, Mircea Cantor est sélectionné pour le Prix Marcel Duchamp. Après la victoire du Bad Boy Cyprien Gaillard en 2010 – à l’honneur cet automne à l’Espace 315 au Centre Pompidou –, quatre hommes se disputent le titre cette année. Qui l’emportera des haïkus mystico-poétiques de Mircea Cantor, des sculptures minimalistes et bruts de Guillaume Leblon, des peintures de figures humaines de Damien Cabanes ou des objets et vidéos ludiques de Samuel Rousseau ? G. B.

Cyprien Gaillard
Prix Marcel Duchamp 2010 au Centre Pompidou, Paris
Jusqu’au 9 janvier