Les dessins du maître de l’art conceptuel Sol LeWitt
Une boîte à outils. L’œuvre de Sol LeWitt (1928-2007) est une trousse utilitaire à la richesse abyssale dans laquelle les nouvelles générations puisent des formes à reproduire et surtout des systèmes, c’est-à-dire des méthodes. Il est ce que l’on appelle un « artiste d’artistes », souvent cité ou repris, interrogeant les notions fondamentales de l’art. Avec ses compatriotes et amis Donald Judd ou Dan Flavin, l’Américain est l’un des géants de l’art conceptuel. Contrairement à ce que le terme implique, ce mouvement, s’il donne la primauté à la pensée, est loin de rester cantonné dans une aride énonciation d’idées désincarnées. Ainsi, l’un des médiums favoris de Sol LeWitt est-il le wall drawing (dessin mural), une technique qui rappelle les fresques de la Renaissance. Une double rétrospective européenne, répartie entre deux musées, se concentre sur ce procédé, et présente 57 wall drawings sur les 1 200 répertoriés.
La distinction s’impose entre dessins en couleur au M-Museum de Louvain, et en noir et blanc au Centre Pompidou de Metz. Cette opposition fondamentale permet de définir un double parcours, voyage chronologique retraçant les grands motifs et évolutions de l’œuvre. Au-delà des différences entre les espaces, le visiteur a quelque peu l’impression de revivre une expérience assez analogue entre les deux étapes. Elles développent chacune le vocabulaire de l’artiste, se concentrant d’abord sur des formes géométriques simples (découlant du motif de la ligne), puis se complexifiant progressivement (avec des pyramides, des lignes courbes). On y découvre comment crayons, pastels, encre de chine… ouvrent autant de possibilités et d’effets graphiques variés. Cette double exposition offre le plaisir de percevoir l’étendue de multiples nuances et les forces paradoxales qui traversent l’œuvre : couleur/noir et blanc donc, mais aussi ordre/désordre, idée/geste, artiste/dessinateur, individu/collectif, passé/présent.
Instructions précises pour titanesque labeur
Ces tracés monumentaux prennent place directement sur les murs. Impossible de les faire venir depuis la collection LeWitt située dans le Connecticut, ou depuis les espaces des différents prêteurs internationaux. Il s’est agi de les redessiner pour l’occasion, avant de les effacer jusqu’à de prochaines expositions. Elles s’inscrivent dans un système de travail ultrarigoureux, répondant toutes à des instructions précises. Leur réalisation a engagé un titanesque labeur, associant les ayants droit de l’artiste, des écoles d’art locales et des techniciens. La notion de transmission se trouve ainsi au cœur de cette rétrospective, qui, loin de « figer » la pièce dans le temps historique de son invention, la réactive au présent, dans un nouvel ici et maintenant. Acteur de la réalisation artistique, le dessinateur a une place qui n’est pas celle d’un simple exécutant. Il joue un rôle, prend certaines décisions. Concrètement, chaque mode d’emploi est donné dès le sous-titre, explorant des modes de tracé et des propositions pour faire advenir la forme.
Les règles, jalons vers la liberté
A Louvain, l’une des premières salles offre une expérience sensorielle déroutante. D’abord presque invisibles, des milliers de lignes droites au crayon se révèlent, au fil du cheminement spatial et au fur et à mesure que l’œil s’habitue à la faible intensité lumineuse. En quatre couleurs primaires (noir, jaune, rouge, bleu) et dans quatre directions différentes, les traits se rencontrent dans un fourmillement précis et frénétique, leurs croisements produisant de grésillantes vibrations optiques. A Metz, on retiendra le dessin issu de la série tardive des Loopy Doopy, réseau sinueux et labyrinthique, reposant sur le tranchant contraste du noir et du blanc peint à l’acrylique. La ligne s’est comme gonflée de vie et ses mouvements produisent de fascinants effets baroques et organiques. Le regard se perd dans le cheminement. Sol LeWitt donne l’impression d’avoir passé sa vie à inventer des règles ultraprécises, comme autant de jalons pour atteindre une liberté vibrante et totale. Les murs, devenus supports directs de création, délimitent les espaces, mais ouvrent le champ perceptif et mental.
Sol LeWitt – Dessins muraux de 1968 à 2007
Centre Pompidou-Metz
Jusqu’au 29 juillet 2013
Sol LeWitt – Colors
M-Museum, Leuven (Louvain), Belgique
Jusqu’au 14 octobre