Le questionnaire de Bergson de Mathieu Belezi
Sans cache-sexe, Mathieu Belezi dénude la mémoire coloniale.
Comment vous représentez-vous l’avenir de la littérature ?
Mathieu Belezi : Plutôt comme un sombre tunnel sans espoir. Mais justement, la littérature n’a-t-elle pas besoin de ténèbres pour produire de grandes œuvres ?
Cet avenir possède-t-il une quelconque réalité, ou représente-t-il une pure hypothèse ?
Regardez les tables des libraires, les sacro-saintes listes des meilleures ventes : tout est aplati, égalisé, raboté. Plus de critique mais de la promotion. Plus de hiérarchie. Un roman en vaut un autre. Pourvu qu’il se vende à cent mille exemplaires. Et si les ventes dépassent le million, l’auteur de ce succès « kolossal » devient le plus grand écrivain de son pays (je pense au phénomène Jonathan Franzen). Avec de tels comportements, vous comprendrez que la littérature n’est pas près de sortir de son trou.
Vous-même, où vous situez-vous dans cette littérature possible ?
Avec les autres, dans le tunnel. Où voulez-vous que je sois ? J’essaie simplement d’allumer des mèches, de trouver à travers ces ténèbres des échappatoires de lumière pour que les lecteurs qui ont encore de l’estomac puissent danser sur la corde raide de la littérature.
Si vous pressentez l’œuvre à venir, pourquoi ne la faites-vous pas vous-même ?
J’écris ce que j’estime devoir écrire. Au-delà des modes et des théories, au-delà des enjeux à venir. Il n’y a pas « d’à venir » pour moi. Il n’y a pas d’avenir à ce que j’écris. J’écris aujourd’hui, mais je ne sais pas si j’écrirai demain.
Question subsidiaire : concevez-vous que votre personnage, bourreau sans scrupule, et votre description des événements, sans « cache-sexe métaphorique », peuvent mettre mal à l’aise ?
Cet Albert Vandel, dépassant les 140 ans et les 100 kg est la représentation baroque et ubuesque de la colonisation. Les lecteurs qu’il met mal à l’aise n’ont qu’une connaissance très partielle de l’histoire de la colonisation algérienne ; ou bien ne savent-ils plus très bien ce que littérature veut dire. La littérature digne de ce nom doit éviter le cache-sexe métaphorique. Mais je n’ai jamais cherché, tout au long de ces quatre années d’écriture, à jouer d’une quelconque façon avec la violence facile.
Octobre 2011, Standard n° 33
Le livre
Pervers Bébert
« Albert Vandel Ier, ogre souverain des oasis », est bien placé pour pérorer sur un hypothétique âge d’or de la conquête de l’Algérie, les premiers temps de cette colonie de peuplement, la douce prospérité d’un climat qui l’a engraissé, ainsi que sa fortune : né au monde en 1830, ses contours grotesques dessinent ceux d’une Histoire poisseuse. Et le voilà, aux derniers soubresauts de la présence française, terré dans son fort Chabrol, « cent vingt mitraillettes fidèles prêtes à cracher le feu […] au garde-à-vous » devant ses fenêtres, (dé)blatérant comme le vieux chameau qu’il est. Sa langue nous gifle avec truculence, il nous gêne, nous fait vomir – bien fait pour nous. F. P.
Les Vieux Fous, Flammarion, 430 pages, 22 euros