Carte blanche théâtre
La vie c’est des sauts.
par Laetitia Dosch en février 2013 dans Standard n°38

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Interprète délicieusement barrée pour le théâtre, la danse ou le cinéma, la Franco-suisse Laetitia (Dosch) refait péter (le festival) Artdanthé – au Théâtre de Vanves le 8 mars – dans une dernière version de son one woman show en décomposition et culotté, co-écrit et mis en scène avec Anne Steffens. En février, le court-métrage Vilaine Fille Mauvais Garçon de Justine Triet, dans lequel elle tient le premier rôle féminin, sera peut-être césarisé. Cet été, on la suivra en journaliste TV couvrant les élections présidentielles dans La Bataille de Solferino Solférino de la même réalisatrice.

Pour un théâtre handicapant
Ça commence par l’apparition pendant une minute face à nous de chaque protagoniste, handicapé mental, immobile, muet, comme donné en pâture à un public voyeur chez qui la gêne s’installe, fascination pour certains, énervement pour d’autres, contre un chorégraphe qui expose le handicap à des fins spectaculaires, exploitant leur statut, un statut qui est similaire à celui qu’ils ont dans la vie, celui de victime. Un sentiment qui est tout de suite contesté dans la deuxième séquence, où les mêmes se définissent l’un après l’autre comme des acteurs professionnels,  – le statut de victime disparaîtissant, ils deviennent des manipulateurs jouant avec nos idées reçues.

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C’est la grande force de Disabled Theater, initié par le chorégraphe Jérôme Bel avec les comédiens handicapés mentaux du Theater Hora de Zurich, où chaque séquence discute la précédente, mettant à mal les préjugés du public, semant la confusion et faisant disparaître l’homogénéité de la salle, poussant chaque spectateur à se servir de ses positions intimes face au handicap, et surtout face au spectaculaire, pour apprécier ou non ce qu’il voit. Au moment des solos, où sept acteurs exécutent chacun à leur tour une danse qu’ils ont créée, les réactions dans la salle divergent, certains applaudissent, par complaisance ou sincère contentement, on ne sait pas, d’autres rient, avec ou contre, c’est à voir, certains sont émus de la singularité de mouvement et de la liberté des corps, pendant que d’autres s’offensent des réactions du public. Ici, le spectacle est aussi dans la salle, à tel point qu’on pourrait presque se demander si les plus handicapés ne sont pas là assis dans le noir, livrés à une bataille jamais gagnée entre affection sincère, complaisance, ennui, admiration, gêne, morale, et joie simple d’enfant. Le moins handicapé de tous ne semble pas être Jérôme Bel, et c’est peut-être ça qui est le plus beau. En proposant en « bonus », comme en rappel, les cinq solos d’acteurs qu’il avait auparavant décidé de retirer, il assume sa propre ambivalence, laissant d’un côté libre cours à ses interprètes, tout en se dédouanant de l’intérêt scénique relatif de leur danse. Position ambiguë du chorégraphe, cruelle, puisque signe d’un classement entre les bons et les moins bons, position fragile d’un homme qui nous entraîne avec lui dans sa quête de rapport d’égal à égal avec son sujet et ses interprètes, se méfiant de la condescendance, quitte à faire revenir le jugement, l’ennui, la crainte, puisque ces sentiments sont présents dans n’importe quelle relation humaine.

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Disabled Theater
Concept : Jérôme Bel
Présenté à Avignon en 2012