La Porte du Paradis : reprise du western maudit de Cimino. Monument.
Reprise intégrale du western maudit de Michael Cimino. Un monument.
On a raconté en long et en large la genèse de La Porte du Paradis, sortie sous les huées en 1980, et plus encore son échec financier (44 millions de dollars de budget pour moins de 5 millions de recettes dans le monde), qui enterra le Nouvel Hollywood en poussant son studio, United Artists, au bord du gouffre. Peu se sont penchés, en revanche, sur les raisons de ce fiasco en salles. Sa reprise en version director’s cut restaurée, et surtout intégrale (3h36), présentée par l’auteur à la dernière Mostra de Venise, nous ramène en face d’une œuvre immense sur la création de l’Amérique moderne, en revenant sur les événements de la Johnson County War : en 1892, dans le Wyoming, des grands propriétaires de bétail voulurent éjecter des petits éleveurs ; ceux-ci résistèrent et le conflit dégénéra en bataille avec l’arrivée de tueurs à gages, puis de la cavalerie.
Héritier en noirceur et en brutalité de Sam Peckinpah (La Horde sauvage, 1969), Robert Altman (John McCabe, 1971) et Sergio Leone (via sa « Trilogie du dollar », 1964-1966), Cimino, tout juste auréolé des cinq Oscars de Voyage au bout de l’enfer (1978), raconte avec morgue le crépuscule de l’Ouest à la lumière du classicisme des studios, et peint la part sombre de l’Histoire US avec la flamboyance du Panavision, parfaite antithèse de Naissance d’une nation de D. W. Griffith (1915).
Dynamiter le mythe US
La Porte s’ouvre sur un somptueux bal, giflant celui du Guépard de Visconti (1963), avant de suivre d’autres fauves, cette aristocratie naissante s’arrogeant droit de vie et de mort sur les éleveurs immigrants – le carnage qui s’opérera est l’écho des pogroms européens. Pour Cimino, la civilisation américaine à l’aube du xxe siècle n’est plus terre de liberté mais barbarie, jusque dans sa démonstration des débuts du capitalisme, personnifié par ces industriels de la viande dégageant par la force une mère-maquerelle à la tête d’un trop prospère bordel. Les westerns ont menti : les Etats-Unis sont nés dans la boue et le sang.
Vu d’Europe, ce Paradis-là apparut à l’époque comme un objet incroyable, infiltrant l’artifice hollywoodien pour dénoncer ses aspects révisionnistes. Mais aussi comme une ébouriffante fresque humaine, transformant les silhouettes iconiques des cow-boys en personnages fabuleux, évacuant les ranchs en carton-pâte au profit de cabanes en bois dont on sent presque la résine. Et installant Mickey Rourke, Christopher Walken, Jeff Bridges, Isabelle Huppert… (tous exceptionnels) dans des tranches de quotidien, posant les colts pour danser le quadrille en patin à roulettes, ou se racontant des histoires de chasse au loup au coin du feu. Le dernier acte – celui de la violence – n’en sera que plus douloureux, perturbant.
Trente-trois ans plus tard, l’épilogue est déchirant. Un homme y largue les amarres, sans parvenir à se débarrasser d’une impression de gâchis, de perte, prenant acte que la vie pleine de promesses que son pays lui avait garanti n’est désormais que dégoût et regrets. La réhabilitation tardive de ce film monumental laisse dans le même état d’amertume.
La Porte du Paradis
De Michael Cimino
En salles aujourd’hui