Carte blanche Cinéma
Incendie, suicide et lapins.
Par Kenneth Anger, dans Standard n° 37

Je refuse d’avoir la télé. Ça absorbe ton cerveau. Une trop grande pluie d’images, c’est comme la peste. Mais depuis tout petit, je connais très bien l’Histoire du cinéma. En 1950, j’arrive de Californie pour montrer mes films projetés au Festival d’Antibes, où Jean Cocteau remettait les prix. Je voulais le voir, donc je l’ai rencontré, ainsi qu’Henri Langlois, qui m’a proposé de travailler à la Cinémathèque pour retrouver les titres originaux de nombreux films muets. J’ai travaillé pour lui pendant douze ans. Un jour il y a eu un incendie, j’étais là, c’était la fin du mois d’août, il faisait chaud, on déjeunait à deux pas. Henri avait laissé à l’intérieur d’une porte cochère, sous une vitre, la seule copie connue de Mariage de Prince, la seconde partie de La Symphonie nuptiale, film rarissime d’Eric von Stroheim (1928). La chaleur l’a fait exploser. De la folie. Il aurait dû le copier. On y pense davantage, par la suite.

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Je tourne depuis que j’ai 8 ans, et toujours en 8 mm. Le terme « cinéaste underground » est pratique pour désigner ceux qui travaillent en dehors de l’œil de l’industrie. Cependant, je ne mérite pas l’adjectif « monstrueux », même si mes films contenaient des éléments choquants. Le Hollywood moderne, lui, est monstrueusement ennuyeux. Il y a juste du business et plus de bons scandales. Les scandales sont la force vitale, le sang d’Hollywood. J’étais un petit garçon quand les premiers ont éclaté. Comme la mort de Thelma Todd, une comédienne très belle ayant joué avec Laurel et Hardy ou les Marx Brothers, suicidée au gaz d’échappement, dans son garage, à l’intérieur de sa voiture, en 1935. N’était-ce pas un meurtre, ou un accident ? Ça m’intrigue, ces spéculations. Je lis des ouvrages sur la magie depuis mon plus jeune âge – de la magie sérieuse, pas celle avec des lapins. Mon tempérament se marie bien avec la magie, ce n’est ni extraterrestre et étrange. C’est naturel. J’ai réalisé La Lune des lapins à Paris (1950, 1972, 1979). J’ai trouvé la vie dans cette ville très sympathique.

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Le Californien Kenneth Anger, 85 ans, mystère vénéneux du cinéma expérimental, auteur de dizaines de courts-métrages occultes, hypnotiques et souvent muets, expose jusqu’au 3 novembre à la galerie du Jour Agnès b., à Paris, le néon Hollywood Babylon et le cycle de films Magic Lantern, dont Puce Moment (1949, qui influença Isabella Rossellini dans Blue Velvet) ou le très culte Scorpion Rising (1964, variation cuir de L’Equipée sauvage). Le tome III de son livre Hollywood Babylon, anthologie des pires scandales de la Mecque du 7e art, serait prêt à sortir – si Tom Cruise et l’Eglise de Scientologie arrêtent de bouder.