Carte blanche théâtre
Retrouver ses « oh ! » et ses « ah ! » dans l’Obludarium
Par Judith Davis, dans Standard n° 35

Judith Davis actrice actress par Nathalie Mazeas

Quand et où ai-je découvert l’Obludarium de la troupe des frères Forman ? Impossible de le dire. La trace de cette expérience sur ma mémoire est de celles qui effacent toute notion rationnelle du temps et de l’espace. Il faisait froid, il faisait nuit, et la forêt profonde alentour nous tassait, nous, public, autour d’un chapiteau-barraque bizarre, seule lanterne éclairée à mille milles à la ronde. L’expérience d’Obludarium, c’est tout d’abord ça : accepter de se rendre, l’espace d’une soirée, absolumentailleurs. Là où le GPS disjoncte, où Google Map n’a pas encore envoyé ses têtes chercheuses, là où personne depuis longtemps ne s’est aventuré. Du moins avons-nous envie de le croire. Pas tout à fait au cirque, pas vraiment au cabaret, un petit peu à la fête foraine, celle d’avant, la maison-roulotte où un géant inquiétant, mi-ogre mi-forgeron, nous pousse à entrer, est aussi haute du dedans qu’elle paraît minuscule du dehors. C’est la première grande force de l’Obludarium : ici, derrière le miroir, ou au cœur du terrier, ou comme il nous plaira d’imaginer, le réel échappe au normal, et le rationnel n’assèche pas la pensée de son jugement solaire et glorieux. D’ailleurs, ici, il fait sombre. Et c’est le public, chargé de dynamos par un Monsieur Loyal un peu voyou, dont la présence soudaine derrière notre dos nous fait sursauter, qui va tourner et pédaler pour qu’un peu de lumière instable parvienne tout juste à éclairer la piste. De ce clair-obscur surgissent alors dompteuse-géante, femme-poisson, écuyère-marionnettiste, monstres, grosses têtes insoumises, et nous public sommes tantôt au cœur de la lanterne magique, tantôt au fond de la mer ou au milieu du bal.

Obludarium – Matej et Petr Forman

Entre surprise et rire, frayeur et soulagement, l’émerveillement nous gagne ; on découvre autant qu’on reconnaît, et soudain on se surprend à retrouver les « oh ! » et les « ah ! », ceux d’il y a longtemps, ceux de nos étonnements les plus anciens. Alors, on se souvient… Le creux d’un arbre comme le fond noir des tiroirs sont des promesses et des passages, le monde des tout-petits vit derrière les plinthes, ils apportent murmures et craquements, et le grand Cosmos tombe à la surface des lacs. L’immense et le minuscule chutent l’un dans l’autre sans aucun souci des échelles et des plans, les esprits prennent des masques des soirs de fête ou bien l’allure du vent, et les vivants et les morts se regardent, se touchent et parfois même parviennent à s’aimer : la seconde grande force de l’Obludarium est ainsi de raviver un peu la lucidité loufoque de l’enfance, celle-là même que nous cherchons si avidement dès qu’il s’agit de créer un peu.

Obludarium
Conception Matej et Petr Forman

Après le succès de leur première création Tout ce qui nous reste de la révolution, c’est Simon (2010), retour engagé et décalé du collectif l’Avantage du doute, dont fait partie Judith Davis (avec Simon Bakhouche, Mélanie Bestel, Claire Dumas, Nadir Legrand), qui explore, toujours entre documentaire et fiction, la « toyotisation » de l’humain dans La Légende de Bornéo. A voir au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers du 30 mai au 8 juin et du 12 au 16 juin au Théâtre-Studio d’Alfortville.